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D’où vient le terme féminazi ?

Par
Hanneli Victoire
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Néologisme créé par les masculinistes, entre le féminisme et le nazisme, cette insulte désigne les féministes “qui en feraient trop” selon les hommes qui l’utilisent. L’idéologie nazie, étant, en toute logique, à l’opposé des principes du féminisme, ce terme répandu fait pourtant un dangereux amalgame et construit une certaine idée du féminisme comme trop extrême. Décryptage des origines du terme.

Une sémantique fallacieuse

“Comment est-il possible d’appliquer l’adjectif «nazi» précisément aux corps que le nazisme considérait infrahumains et dispensables ?” C’est la question rhétorique que se pose le chercheur et auteur transgenre Paul B Preciado dans une de ses chroniques pour Libération, en 2019. La distorsion semble en effet lunaire. Le terme féminazi est une véritable injure, qui circule au sein des milieux réactionnaires et conservateurs pour disqualifier les combats et luttes féministes. La “féminazi” est caricaturée comme une féministe extrémiste, misandre, laide et forcément lesbienne.

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Le chercheur en science du language Albin Wagener décortique l’usage du terme dans un article scientifique consacré au sujet dans la revue Sextant, en 2023 : “Le terme « féminazi » est devenu un véritable emblème antiféministe ; véritable néologisme, il est utilisé pour donner une mauvaise image du féminisme et ridiculiser ce combat social et politique.” Un peu plus loin, il expose en quoi sa référence au fascisme est un procédé réactionnaire. “Ainsi, quelles que soient ses déclinaisons énonciatives, « féminazi » dispose d’une charge résolument antiféministe dans la mesure où ce terme assimile le féminisme à un extrémisme fasciste – ce qui en fait une authentique métaphore injurieuse”.

Une insulte aux fondements anti-IVG

Pourtant, si le terme est de nos jours régulièrement balancé à la tête des féministes et de leurs alliés qui “desserviraient la cause”, son invention remonte à 1992. Aux États-Unis, l’animateur de radio Rush Limbaugh, ultra-conservateur, s’en sert pour désigner celle qui est, selon lui, “une féministe dont le but ultime est de s’assurer que le plus d’avortements aient lieu”. Avec cette citation, Limbaugh compare les avortements à “un holocauste”, d’où le rapprochement entre le féminisme et le nazisme, ce qui rend l’injure à la fois misogyne, mais aussi antisémite.

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Une des premières femmes qualifiées ainsi est l’icône Gloria Steinem, figure féministe étasunienne, connue pour ses nombreux engagements pour le droit des femmes à disposer de leur corps, comme elle l’explique dans son ouvrage Outrageous Acts and Everyday Rebellions, publié en 2012. Peu importe leur combat et peu importe l’époque, droit à l’avortement, accès à la contraception, critique du patriarcat, ou bien mouvement MeToo, depuis plus de trente ans, ce terme fallacieux circule pour discréditer les féministes, à la fois dans les milieux réactionnaires, mais aussi dans des espaces plus grands publics comme les médias ou les réseaux sociaux.

Un retour en flamme via les courants masculinistes online

Si le terme peut faire soupirer, voir être retournée avec ironie par les féministes, à l’instar des insultes comme “pédés” ou “gouines” dont certains membres de la communauté LGBT+ assument l’usage pour “retourner le stigmate”, son usage peut cependant mener à de véritables campagnes de cyber-harcèlement envers des femmes.

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C’est le cas en 2015 quand une avocate britannique, Charlotte Proudman, 27 ans à l’époque, s’insurge publiquement d’avoir reçu un commentaire déplacé sur LinkedIn de la part d’un collègue. Elle se fait abondamment cyber-harceler et traiter de “féminazie”, au point que certains titres de presse la renomme “l’avocate féminazi ”.

Dans son étude, le linguiste Albin Wagemer a compilé plusieurs citations retrouvées en ligne, tweet, billets de blogs, commentaires sur les réseaux sociaux, issus des cercles masculinistes. Pêle-mêle (et sans corrections orthographiques), on retrouve des prises de position d’une bêtise qui laisse sans voix telle que : “Le feminazisme met pourtant les choses au clair… Nazisme de la pensée l’extrémisme du féminisme… Mais les critiquer est interdit ? Non mais on va où l ?” ou bien “Les feminazies ne sont pas des féministes. Le féminisme croit en l’égalité des droits pour tous, le féminazisme nous fait juste passer pour des gens stupides” ou encore “Les féminazis n’empêcheront pas les hommes d’être des hommes”. Loin d’être has been, l’injure est encore largement utilisée par les trolls en ligne.

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Mais comme le rappelle Paul B Preciado dans une longue énumération : “Quand vos jambes trembleront lorsque vous traverserez une rue sombre et que vous chercherez avec crainte les clés de votre porte dans vos poches pour entrer chez vous le plus vite possible, quand une silhouette féminine au fond d’une allée vous fera vous retourner et courir, lorsque les rues de toutes les villes seront nôtres, alors vous pourrez nous appeler des féminazies.” Mais pas avant !