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Dora Moutot, exploratrice du pet

Sa websérie documentaire vient de sortir sur Arte.

Par
Isabelle Delorme
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«Bonjour, je cherche à faire insonoriser mes toilettes. Est-ce que vous faites ça ?». Dès la première phrase du nouveau documentaire de la journaliste Dora Moutot, le ton est donné. Mais derrière la dérision, siège une vraie souffrance et beaucoup de courage. Car Dora Moutot n’a pas hésité à partager avec la France entière, l’enfer que lui fait vivre son trouble digestif sans tourner autour du pot : pets, ballonnements, heures passées aux toilettes, lavements au café pour soulager sa constipation…

Avec son compte Instagram et son livre A Fleur de pet paru en 2019, l’ancienne rédactrice en chef adjointe de Konbini, qui «boit du café par le cul», a fait connaître une pathologie alors très peu connue en France : la pullulation bactérienne de l’intestin grêle, appelée aux Etats-Unis, «SIBO» (Small intestinal bacterial overgrowth). Dans sa websérie documentaire de six épisodes – qui sort sur Arte ce 21 octobre, elle enquête pour trouver les méthodes qui marchent lorsque les «100.000 milliards de potes» qui vivent dans nos intestins (les bactéries), sont en vrac.

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Un trouble invisible très handicapant

Les problèmes de Dora Moutot ont commencé après un voyage en Inde où elle a attrapé un parasite. «D’un jour à l’autre, j’ai commencé à avoir des ballonnements incessants, avec des douleurs et des gaz à n’en plus pouvoir. Au départ, j’ai cru que c’était l’alimentation», raconte la journaliste qui réalise petit à petit que le problème est ailleurs.

«J’ai fait le parcours d’examens classique et les médecins ne voyaient rien, se souvient la jeune femme. On m’a dit que c’était dans ma tête ou que j’avais une colopathie fonctionnelle. Je suis restée comme ça pendant des années, à harceler les gastroentérologues en essayant un nouveau médicament tous les six mois… A un moment, j’étais hyper mal dans ma tête car ces problèmes commençaient à empiéter sur ma vie personnelle et professionnelle. Soit je me jetais par la fenêtre, soit je me prenais en main !».

Dora Moutot se lance alors dans des recherches sur internet, va de groupes en groupes sur Facebook et achète de nombreux livres sur les intestins. Elle tombe sur un article anglophone, sent qu’elle touche quelque chose et contacte une clinique en Angleterre, qui lui demande de vérifier si elle a un SIBO. «Il fallait que je trouve quelqu’un en France qui connaisse cette maladie, raconte la journaliste. Je suis tombée sur un chercheur qui s’y connaissait dans un hôpital de la région parisienne. Pour une fois, j’étais prise au sérieux !». Il diagnostique le trouble et lui fait essayer des traitements.

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Malheureusement, le SIBO est très compliqué à traiter. «J’ai un problème invisible, mais très handicapant», confie celle qui a décidé de partager le fruit de ses recherches. «A force de creuser cette pathologie et d’essayer des traitements, je me suis dit que ce serait égoïste ou dégueulasse de ne pas le dire, car je détiens une information qui va peut être changer la vie de certaines personnes. Je passais ma vie à faire des articles qui ne servent à rien et je me suis dit que j’en avais marre ! », explique la journaliste.

Car beaucoup de Français ignoraient – avant la publication de son livre A Fleur de pet – l’existence de ce trouble qui faisait son apparition dans la presse anglo-saxonne mais était très peu médiatisé en France et inconnu de la plupart des médecins. «En France, les médecins n’ont pas forcément le temps ni l’envie de continuer à s’informer, notamment sur le microbiote, analyse Dora Moutot pour qui les praticiens sont moins challengés par les malades qu’aux Etats-Unis. «Je crois qu’en France, les gens sont persuadés que péter tout le temps c’est normal ! Pour eux, c’est impossible que ce soit pathologique».

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Une enquête journalistique sur les problèmes de microbiote

Dans la websérie documentaire en six épisodes, Comment j’ai hacké mes intestins (en ligne sur Arte dès aujourd’hui), Dora Moutot explore les pistes évoquées à la fin de son livre pour les patients atteints de maladies du microbiote. Elle part ainsi à la rencontre de spécialistes en probiotiques, nutrition, transplantation fécale, thérapie par vers (à ingérer…), en quête du traitement qui la soignera définitivement. «C’est vraiment une enquête journalistique à travers laquelle j’ai exploré ces solutions, raconte la journaliste. Cela m’a donné pas mal d’espoir car je pense que la solution existe, mais il n’y a pas de financement car les colopathes dépensent beaucoup d’argent dans des traitements qui ne servent à rien», souffle la combattante avec amertume.

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L’humour décalé avec lequel la journaliste traite le sujet laisse parfois place à des crises de larmes devant la caméra. «J’ai décidé de rendre ce problème le plus léger possible, mais la réalité du quotidien est épuisante, avoue Dora Moutot. Aujourd’hui je vais mieux car j’arrive à avoir une vie tout à fait normale, mais je dois faire des lavements depuis des années». La journaliste espère réveiller une forme d’activisme pour améliorer des maladies chroniques qui ne sont pas prises au sérieux. «C’est un scandale et les malades doivent s’emparer de tout cela. Il faut en parler ! Et cela touche énormément les femmes. Pourquoi ?», s’interroge Dora Moutot, très engagée dans d’autres combats féminins.

Son nouveau livre, actuellement en préparation, abordera d’ailleurs le thème de la sexualité féminine. «Suite au succès de mon compte T’as joui (ndlr : elle a créé ce compte Instagram pour décomplexer la sexualité féminine) je me suis posé beaucoup de questions. Pourquoi la vie sexuelle féminine est-elle compliquée ? J’y explique notamment comment on emmène le patriarcat sous la couette avec nous». Accouchement prévu en 2021.

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