Logo

Donnie Darko, c’était si bon que ça ?

20 ans plus tard, ça tient encore la route.

Par
Benoît Lelièvre
Publicité

Le film culte de Richard Kelly Donnie Darko a célébré son vingtième anniversaire il y a quelques semaines. Déjà *soupir mélancolique* ! Ce petit bijou indépendant avait explosé sur le marché de location après une discrète sortie en salle. Son approche révolutionnaire de la santé mentale chez les adolescent.e.s et sa vision philosophique du voyage dans le temps nous avaient tou.te.s conquis.es à l’époque. On connaissait tou.te.s quelqu’un qui avait le Director’s Cut en DVD.

Dans mon groupe d’ami.e.s, cette personne-là, c’était moi. Je le possède d’ailleurs toujours.

Fait curieux s’il en est un, Richard Kelly n’a jamais vraiment connu de succès après Donnie Darko. Son film suivant, Southland Tales (mettant en vedette nul autre que The Rock et Sarah Michelle Gellar), fut un cuisant échec tant au box-office qu’avec les critiques. C’était tellement mauvais qu’il n’a presque plus travaillé par la suite. Le film S. Darko en 2017, ce n’était pas lui. Il n’a pas du tout été impliqué dans le projet. Son dernier film remonte à 2009 : le très oubliable thriller pseudo-fantastique The Box avec Cameron Diaz.

Publicité

Ça m’a emmené à me demander: c’était si bon que ça, Donnie Darko, ou est-ce qu’on s’est tous et toutes fait avoir par une crapule avec des idées séduisantes, mais faussement profondes. J’ai revu Donnie Darko cette semaine en quête de réponses et rassurez-vous : le film tient toujours la route vingt ans plus tard… mais peut-être pas pour les raisons que vous croyez.

La violence de la conformité

Pour les non-initié.e.s, Donnie Darko, c’est l’histoire d’un jeune adolescent avec des problèmes de santé mentale somme toute très lourds : somnambulisme, hallucinations, épisodes dissociatifs, etc. On le retrouve en pyjama sur un terrain de golf au petit matin en début de film. Pendant son sommeil, un lapin géant avec une tête de mort lui annonce que la fin du monde est prévue dans 28 jours, 6 heures, 42 minutes et 12 secondes. Lorsqu’on le ramène chez lui, Donnie découvre qu’un mystérieux moteur d’avion est tombé sur le plafond de sa chambre.

Compliqué ? Intrigant ? Attendez, j’ai pas fini.

Publicité

Les jours suivant sa crise de somnambulisme majeure, Donnie se met à écouter son ami lapin imaginaire et à commettre des actes de vandalisme alors qu’il croit rêver. Pour résumer, il met en branle une série d’événements tragiques qu’il ne pourra seulement arrêter que s’il revient dans le temps au moment où le moteur d’avion tombe sur sa chambre à coucher. C’est un film complexe, mais c’est le gros de l’histoire.

Ce qui a bien vieilli à propos de Donnie Darko, c’est sa critique de la conformité. Situé dans la ville de Middlesex (10 000 habitant.e.s) aux États-Unis à la fin des années 80, le film met en scène une communauté monolithique, habillée aux couleurs pastel de l’époque Ronald Reagan. La vie à Middlesex est très hermétique à la nouveauté et à la différence. Tout ce qui rassure les membres de la communauté dans leurs croyances et leur mode de vie est mis de l’avant tant sur le plan municipal que scolaire. Tout ce qui les confronte est violemment critiqué et mis à l’index.

Si Donnie Darko résonne encore aussi fort aujourd’hui, c’est parce que le film explore le pouvoir de choisir dans un climat politique tendu. C’est « empowering » pour une jeune personne.

Publicité

Cette dualité est merveilleusement illustrée par le conférencier Jim Cunningham (joué à la perfection par feu Patrick Swayze) et la professeure d’anglais Karen Pomeroy (Drew Barrymore). Le premier vend à la communauté un schéma de pensée pseudo-scientifique ayant pour but d’éliminer l’ambiguïté émotionnelle alors que Pomeroy, elle, fait lire les classiques de la littérature aux étudiant.e.s pour les aider à développer leur esprit critique. Cunningham est célébré et rémunéré alors que la professeure est démise de ses fonctions.

Entre les deux se trouve Donnie, un jeune homme troublé et en quête de réponses à propos de son destin. Si on s’était autant attaché à lui à l’époque, c’est qu’il était en quelque sorte un représentant de notre libre arbitre, notre capacité inhérente à utiliser notre pensée critique pour choisir notre camp en dépit des pressions sociales. Quand Donnie rejette la conformité au péril même de sa santé mentale, c’est un peu nous aussi qui faisons ce choix. Si Donnie Darko résonne encore aussi fort aujourd’hui, c’est parce que le film explore le pouvoir de choisir dans un climat politique tendu. C’est « empowering » pour une jeune personne.

Publicité

Causalité, déterminisme et désobéissance civile

Bon, on ne le cachera pas : les histoires de voyage dans le temps, c’est cool aussi. Surtout via la manière dont Donnie interagit avec les prophéties de Frank afin de créer une instabilité civile dans la petite communauté de Middlesex. À travers ses actes de vandalisme, Donnie crée une tension sociale qui mène vers une série de confrontations et ultimement vers un drame qui viendra donner un sens aux apparitions de son ami imaginaire.

Là, les gens qui ont vu le film hochent la tête avec un sourire nostalgique et tous les autres sont complètement perdus. C’est cool, vous n’avez pas à tout comprendre pour vous intéresser au film et à son héritage culturel. Si ça vous donne envie de le voir, c’est tant mieux.

Il y a 20 ans, Donnie Darko avait créé, sans trop le voir, un microcosme de la société d’aujourd’hui en faisant une relecture d’une époque tourmentée dans l’histoire des États-Unis.

Publicité

Oui, la thématique du voyage dans le temps est toujours pertinente de nos jours, parce qu’elle s’intéresse à l’impact des actions d’une personne sur le tissu social. Est-ce qu’un individu unique peut libérer idéologiquement sa communauté ? Est-ce possible d’ébranler les convictions des gens sans menacer leur mode de vie ? Ce sont des questions qui sont plus pertinentes et importantes que jamais en 2021. Il y a 20 ans, Donnie Darko avait créé, sans trop le voir, un microcosme de la société d’aujourd’hui en faisant une relecture d’une époque tourmentée dans l’histoire des États-Unis.

Richard Kelly a disparu du paysage hollywoodien depuis plus d’une décennie, mais l’influence et l’héritage de son chef-d’œuvre Donnie Darko perdure. Ce n’était pas une arnaque. C’était peut-être le seul bon film qu’il avait à nous offrir, mais il mérite encore d’être apprécié et célébré aujourd’hui. (Re)regardez-le.