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Dix minutes avec Denis Villeneuve
Denis Villeneuve a vécu une grosse semaine.
Deux ans et demi après le succès colossal de son adaptation de Dune, le réalisateur québécois en a présenté la suite très attendue (et très réussie). Même s’il est peut-être la personne la plus demandée du Tout-Hollywood, par les temps qui courent, il a dégagé (avec l’aide de quelques intermédiaires bienveillants) dix minutes dans son planning pour répondre à mes questions sur la création de ce qui pourrait bien être son meilleur film jusqu’à présent.
Pour moi, Denis Villeneuve est une sorte de licorne. Un personnage auquel je ne croyais plus dans l’écosystème hollywoodien actuel : un réalisateur capable de raconter une histoire avec ambition et originalité sans jamais perdre de vue les sensibilités de monsieur et madame Tout-le-Monde. C’est un artiste qui fait découvrir de nouvelles façons de raconter à de grands auditoires et qui fait évoluer son médium. Bref, j’avais très hâte de lui parler.
On a parlé de son film, de travailler avec Timothée Chalamet et Zendaya au quotidien, de son désir de raconter différemment et plus encore!
Faire des suites et rouvrir des propriétés intellectuelles pour créer plus de contenu est, en quelque sorte, devenu un sport extrême, à Hollywood. Plusieurs s’y sont cassé les dents, mais Dune : deuxième partie est une excellente suite. C’est quoi, le secret ?
Dans mon cas, l’avantage que j’avais, c’était que les événements les plus importants du livre étaient encore à venir. C’était pas un vrai sequel, mais plutôt une continuité du premier film. Tout était déjà là, j’avais la matière nécessaire pour faire un film.
J’ai aussi beaucoup appris de l’expérience du premier et j’avais une volonté agressive de ne pas répéter les mêmes erreurs. C’était la première fois que je revisitais un univers en connaissance de cause. Que je savais où j’allais remettre les pieds. C’était un privilège.
Quelles étaient ces erreurs auxquelles vous faites référence ?
Ce serait trop long à expliquer, mais je trouvais qu’au niveau de la scénarisation, il y avait quelques écueils. Au niveau du rythme et de l’efficacité, surtout.
Dune : deuxième partie est un film immense, mais qui brille dans ses moments d’intimité. Au moment de l’écriture du scénario, comment ces choix ont-ils été faits? Quelles étaient les priorités thématiques ?
La partie « immense », c’est assez facile. Le problème, c’est effectivement de préserver le côté intime du récit. Dans le cas de Dune: deuxième partie, c’était important que je m’assure que ce soit au cœur du récit, parce que tout le drame du film se déploie à travers la relation entre Paul et Chani (ndlr: les personnages de Timothée Chalamet et Zendaya).
C’était très important, parce que Chani, progressivement, allait amener une nouvelle perspective sur Paul. C’est Chani qui fait en sorte qu’il ne soit pas perçu comme une figure héroïque, mais plutôt comme un antihéros.
Je souhaitais être fidèle aux intentions de Frank Herbert, qui voulait que Dune soit un avertissement. Une exploration des dangers reliés aux figures messianiques.
J’ai utilisé Chani pour ça. C’est moins fidèle au roman, mais ça se rapproche beaucoup plus de l’idée initiale de Frank Herbert. Le cœur du film, c’est cette intimité-là. C’était ma préoccupation principale.
Tout le reste, ce sont des gros jouets. C’est compliqué, techniquement, à porter à l’écran, ça prend du temps, des ressources, mais c’était pas compliqué, pour moi, de m’assurer qu’on saisisse les enjeux reliés aux scènes à grand déploiement.
Timothée Chalamet et Zendaya ont vraiment atteint un autre niveau, en tant qu’acteurs, dans le film. En interview, le respect que toute la distribution vous porte est palpable. Comment est-ce qu’on emmène des icônes comme ça à élever leur jeu ?
Avant d’être des icônes, ce sont d’abord et avant tout de grands acteurs. Deux acteurs qui ont un immense talent brut, comme on en voit peu dans une génération. Ils ne sont pas motivés par l’égo. J’ai une relation très simple avec eux.
J’essaie de créer autour de la caméra une zone de sécurité où les acteurs sentent qu’ils peuvent évoluer, prendre des risques. Une zone sécuritaire, de pure création, comme c’est le cas sur le plateau d’un film indépendant.
J’entends souvent ça, de la part d’acteurs ayant travaillé avec moi, qu’ils ont l’impression d’être sur le plateau d’un film indie, et non sur celui d’un film à grand déploiement. Qu’ils y sont libres de se concentrer sur leur monde intérieur.
La distribution a aussi beaucoup parlé de cette relation de confiance et d’expérimentation. Pourriez-vous donner un ou deux exemples de ces paramètres où vous vous êtes permis d’expérimenter ?
Il n’y a pas de place pour l’improvisation dans un film comme Dune : deuxième partie. C’est plus dans les nuances et les détails du jeu que je suis toujours ouvert aux suggestions quand je travaille avec des acteurs que je respecte, qui me stimulent. Ils ont souvent des intuitions fortes et des bonnes idées.
C’est sûr qu’on travaillait sur un film extrêmement préparé et calculé, mais on essaie quand même d’aller chercher le chaos de la vie dans leur jeu. J’essaie de laisser cet espace-là ouvert pour que mes acteurs sentent qu’ils ont la liberté d’explorer.
Quel genre de relation développe-t-on avec de tels talents dans un projet de longue haleine ? Par exemple, qu’avez-vous appris à propos de Timothée Chalamet, au fil des tournages ?
(il prend un moment pour réfléchir).
C’est une bonne question. On a passé plusieurs mois ensemble.
J’ai appris que c’était quelqu’un qui avait une force qui n’était pas propulsée par son égo. Il est la star du film, mais il a néanmoins établi autour de lui un esprit de collégialité avec ses pairs.
Par exemple, il a merveilleusement bien accueilli Austin Butler. Il aurait pu y avoir une rivalité entre eux. Une tension. Mais il a vraiment installé un climat amical avec lui. Avec Florence Pugh, ça existait déjà. Même chose avec Zendaya. Je sentais que Timothée avait envie d’être avec eux, et non pas en compétition. Ça se ressent beaucoup, dans la promotion du film, je trouve. Ils ont l’énergie d’un groupe de musique.
C’est admirable, l’espace que Timothée peut laisser à ses pairs, même si c’est lui, la star du film. Il a amené une légèreté sur le plateau. Un bel esprit.
Et à propos de Zendaya ?
C’est une jeune femme qui a une discipline absolument incroyable. C’est aussi quelqu’un d’extrêmement curieux, qui veut toujours en apprendre plus sur le métier. Je ne serais pas surpris du tout qu’elle se mette à la réalisation, un jour.
Elle était toujours par-dessus mon épaule ou celle du directeur photo Greig Fraser. C’est réjouissant, de côtoyer quelqu’un avec une si grande soif d’apprendre.
Vous avez aussi souvent dit que vous faites confiance à l’auditoire. C’est d’habitude une de mes grosses critiques, face aux blockbusters, mais je ne l’ai pas eue, ici. Pourquoi est-ce si important, pour vous, de faire confiance à l’auditoire pour un projet comme celui-ci ?
Parce que ça me permet d’aller plus loin (rires). De prendre des risques et de faire des films qui essaient d’explorer des territoires nouveaux. Je ne dis pas que je réussis, mais j’essaie, en tout cas.
C’est dans ce sens-là que je fais confiance aux gens pour suivre l’histoire, même si j’utilise des codes différents, que je n’utilise pas nécessairement tous les paramètres du genre et que je ne m’astreins pas aux règles.
Ça m’arrive souvent de les briser pour défier les notions préconçues par rapport à la narration cinématographique. Je m’amuse avec les codes et j’espère que les gens vont suivre. Pour le meilleur ou pour le pire.
En terminant, quel est le plus beau souvenir que vous gardez du tournage de ce deuxième film Dune ?
Ma collaboration avec Tanya Lapointe, sur le plateau. C’était quelque chose de très émouvant, pour moi, de partager le cinéma avec la femme que j’aime. De créer avec elle.
Elle a fait les deux films ?
Elle est productrice sur les deux films, mais elle a aussi travaillé comme second unit director sur le deuxième film. C’était comme avoir une extension de moi, qui comprenait parfaitement ma vision et qui était là pour m’aider à accomplir ce que je voulais porter à l’écran. Je n’avais jamais vécu une pareille complicité créative, auparavant, et de la vivre avec la personne avec qui je partage ma vie, c’était une expérience incroyable.