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Discrimination à l’embauche: Uniqlo piégé par un candidat

C'est oui pour Julien, mais pas pour Brahim.

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« J’aimerais vous remercier pour votre candidature au Uniqlo Management Graduate Program. Je suis ravie de vous informer que votre candidature a passé la première étape de notre processus de sélection. » Tout juste diplômé d’un master 2 et à la recherche de son premier emploi, Brahim* aurait dû être heureux de recevoir ce message d’Uniqlo dans sa boîte mail ce vendredi 24 octobre. De quoi passer un bon week-end.

Sauf que ce n’est pas à Brahim que la marque japonaise a écrit, mais à Julien, un compte test créé par le jeune homme pour vérifier s’il n’avait pas été victime de discrimination à cause de son origine. Quelques jours plus tôt, il avait reçu dans sa véritable boîte de réception le mail suivant : « Nous avons le regret de vous informer que nous avons sélectionné d’autres candidats qui, selon nous, correspondent davantage à ce que nous recherchons dans ce poste spécifique. »

Un candidat dont le nom a une consonance maghrébine a 20 % de chances en moins d’être recruté par rapport à un candidat avec un nom à consonance européenne.

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Pourtant, les candidatures sont similaires en tous points. Le CV est exactement le même, à la seule différence du nom du candidat, de l’adresse mail et d’une absence de photo pour « Julien ». Face au résultat sans appel de ce test, Brahim décide alors d’interpeler Uniqlo France sur Twitter afin d’avoir des explications. Le tweet, envoyé le vendredi après-midi, est partagé des milliers de fois. Mais la réponse de l’entreprise se fait encore attendre.

https://twitter.com/CritiqueTout/status/1319631226492289024

D’après une enquête s’appuyant sur le même type de tests et menée à plus grande échelle par le ministère chargé de la ville et du logement publié en février dernier, un candidat dont le nom a une consonance maghrébine a 20 % de chances en moins d’être recruté par rapport à un candidat avec un nom à consonance européenne. Une précédente enquête réalisée en 2016 par le ministère du travail a montré un écart entre 11 et 35 % entre deux candidatures aux profils similaires.

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Malgré sa connaissance des statistiques, Brahim a eu du mal à en croire ses yeux et évoque la violence qu’est ce rappel de la réalité du racisme en France. C’est la première fois qu’il est confronté de manière aussi frontale à la discrimination dans le milieu professionnel : « C’est fou de se dire qu’une identité créée en quelques instants puisse tout changer à une candidature alors que je porte fièrement mon nom et prénom depuis 23 ans. »

Un autre cas de discrimination chez OCS

Cette affaire de discrimination sur la base de l’origine n’est pas sans en rappeler une autre qui a eu lieu ce mois-ci du côté de chez OCS. Kévin, d’origine portugaise et qui habite Fleury-Mérogis, a postulé pour un poste d’assistant éditorial cinéma. Juste après avoir envoyé sa candidature, il reçoit la réponse suivante : « Ok un autre Kevin portugais, en plus apparement il est en prison. » Un message visiblement écrit à la va-vite et destiné aux collègues du recruteur… et envoyé par erreur au candidat.

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« 1 minute. Il a transféré mon profil à ses collègues en 1 minute. Mon CV est blindé, ma lettre de recommandation fait 1 page. Il s’est arrêté à la case “Contact” de mon CV », explique le jeune homme sur Twitter. Kévin finira par recevoir un appel de la direction des ressources humaines de l’entreprise, ainsi que des excuses de l’auteur du mail. La plateforme de streaming avait annoncé à Europe 1 qu’une rencontre serait organisée, mais l’entreprise n’a pas encore recontacté Kévin à ce sujet.

De son côté, Brahim a décidé de saisir le Défenseur des droits afin de faire remonter ce cas flagrant de discrimination. Joint samedi matin, le service communication d’Uniqlo France n’a pas répondu à notre sollicitation. La marque japonaise a finalement répondu à Brahim par message privé et évoque un cabinet extérieur basé à Londres chargé de la pré-sélection des candidats : « Nous avons contacté ce dernier pour éclaircir la situation et nous prendrons les mesures qui s’imposent. » Les explications et les excuses devront donc attendre.

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À la recherche de solutions

En 2019, l’emploi était le premier domaine évoqué concernant les saisines pour discrimination reçues par le Défenseur des droits. « Le ressenti de discrimination est très fort en France, et parmi les plus élevés » en Europe d’après l’OCDE. Pour rappel, la discrimination à l’embauche est punie de trois ans de prison et jusqu’à 225 000 euros d’amende pour une personne morale.

La France pourrait également s’inspirer du Canada où le CV est épuré et réduit à l’essentiel : pas de photo, pas d’adresse, pas de situation maritale, pas de mention de l’âge.

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Plusieurs solutions comme le CV anonyme ont été évoquées pour lutter contre ces discriminations à l’embauche. En septembre dernier, Terra Nova a proposé la création d’un organisme indépendant. « Pour démontrer qu’elles remplissent les objectifs qu’elles se fixent, les entreprises devraient pouvoir objectiver la diversité dont elles se réclament », souligne le rapport du think thank de gauche. Une solution également partagée par le Défenseur des droits qui a suggéré cette année de monter un observatoire des discriminations.

La France pourrait également s’inspirer du Canada où le CV est épuré et réduit à l’essentiel : pas de photo, pas d’adresse, pas de situation maritale, pas de mention de l’âge. Le candidat est présenté par son expérience, sa formation et ses compétences. Une solution qui n’est certes pas parfaite, mais que j’ai personnellement adoptée lorsque j’y habitais et que j’ai continué à appliquer à mon retour en France.

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Mais en tant que personne d’origine maghrébine, je pense que la mesure la plus efficace est toute simple : arrêter d’embaucher des recruteurs aux biais racistes.

  • * Le prénom a été changé.