Logo

Disco : l’interview vrai ou faux

Saviez-vous que le disco a été victime d'un autodafé raciste et homophobe ?

Par
Anais Carayon
Publicité

Vendredi dernier s’est ouverte à la Philharmonie de Paris la vraie première grande expo sur le disco : “Disco I’m Coming Out (du nom du tube – que dis-je de l’hymne – de Diana Ross) Mais au fait on dit le disco ou la disco ? (spoiler : vous le saurez plus bas). On a soumis l’un des commissaires de l’expo, le journaliste Patrick Thévenin, à un vrai ou faux sur ce mouvement des 70’s qui est pourtant loin d’avoir dit son dernier mot.

Le disco est une musique noire et queer : vrai ou faux ?
Oui, clairement à ses débuts – vers le début des années 1970 – et aussi de latinos. Beaucoup, quand on évoque le disco, pensent à Abba, Sheila, Dalida et Claude François, mais non ! Le disco, et tout l’écosystème clubbing qui s’invente autour, est exactement au croisement des droits civiques pour les afro-américains, du féminisme (et particulièrement de l’afro-féminisme) et des luttes pour les droits des LGBTQ+. On peut affirmer sans problème que le disco est la bande-son de l’émancipation queer. Les premiers clubs à façonner la musique disco, telle qu’on l’entend aujourd’hui, sont des clubs queers et noirs, n’en déplaise à Donald Trump et aux Village People.

Publicité

Le disco a inventé la culture club : vrai ou faux ?
Totalement, c’est le début du DJ star qui raconte une histoire sur le dancefloor, du mix (et aussi des platines disques à vitesse variable et des tables de mixage rudimentaires), du club comme « safe place », lieu d’émancipation et de réinvention de soi, de l’attention portée à la diffusion du son avec les meilleurs sound-systems de l’histoire… Il n’y aurait pas de culture-club au sens large aujourd’hui, pas de Berghain, pas de festivals, sans tout l’apport, autant technique que spirituel ou humain, du disco.

Scénographie de l’expo Disco © Studio GGSV
Scénographie de l’expo Disco © Studio GGSV
Publicité

Le disco a failli mourir dans un autodafé avec le mouvement raciste et homophobe Disco Sucks (que Trump aurait validé) : vrai ou faux ?
Disons que c’est plutôt l’épidémie de sida qui est arrivée au début des années 1980 qui a décimé les principaux acteurs de la scène disco : les DJs, les clubbers, les danseurs, les producteurs, les patrons de clubs… Cela a vraiment mis un coup fatal au genre. Même si, en réalité, il ne s’arrête jamais et renaît avec la house que Frankie Knuckles, son père spirituel et fondateur, nommait la revanche du disco. Mais oui, la Disco Demolition Night, organisée dans un stade de baseball de Chicago le 12 juillet 1979, qui a fini par un feu de joie de vinyles (principalement des disques réalisés par des noirs ou des gays), a mis un sérieux coup de frein à la production. Les majors du disque ont fermé leurs divisions disco du jour au lendemain, le mot devient presque tabou et on parle de boogie pour effrayer personne. Mais le genre persiste, retrouvant ses racines underground, particulièrement gay, avec la Hi-NRG qui en est un dérivé plus mécanique, sexuel et défoncé, et des tubes comme High Energy de Evelyn Thomas, Do You Wanna Funk de Sylvester ou Menergy de Patrick Cowley.


On dit le disco (et non pas la disco) : vrai ou faux ?
C’est un débat très complexe, mais disons que les détracteurs du disco de l’époque (des hommes blancs hétéros la cinquantaine, tiens, ça me rappelle quelque chose) qui ont lancé le Disco Sucks – une campagne de dénigrement du disco qui a fini en émeutes lors de la Disco Demolition Night le 12 juillet 1979, avec un autodafé de vinyles – féminisaient exprès le disco. Parce que pour eux, c’était une musique facile, superficielle, sans intérêt, un truc de gonzesses et de pédés, pour résumer, et qui risquait d’attaquer leur virilité. Contrairement au rock, une musique sérieuse avec de bonnes grosses balloches ! Du coup, c’est une manière de leur faire un joli doigt d’honneur des années plus tard. Mais je ne dénoncerais personne qui dit « la disco » aujourd’hui…

Publicité

La plus grande artiste disco de l’histoire, c’est Donna Summer : vrai ou faux ?
Il est certain que le disque le plus symbolique du disco, c’est I Feel Love de Donna Summer, mais pour moi, le plus grand artiste disco de l’histoire, c’est de loin, et très loin, Sylvester. Diva et queer jusqu’au bout des ongles, Sylvester est l’incarnation du disco dans toute sa splendeur, de ses débuts dans la soul music à son explosion mondiale avec la Hi-NRG et un des morceaux les plus symboliques et magiques du disco, You Make Me Feel (Mighty Real).

Le meilleur producteur disco de l’histoire était blanc et italien (Giorgio Moroder) : vrai ou faux ?
J’ai une immense admiration pour Moroder et toutes ses productions de l’époque, mais j’aurais tendance à penser que le plus grand producteur de l’histoire était Tom Moulton. Un immense fan de musique noire, mannequin à ses heures perdues pour Marlboro, gay revendiqué, qui a composé le premier un mix disco sans coupures en utilisant la vieille technique du couper-coller de bandes magnétiques, puis a inventé le maxi 45 tours et s’est retrouvé, par sa science du dancefloor, à produire, remixer et éditer d’innombrables classiques du disco dans les studios du label PIR (Philadelphia International Records), et notamment les trois premiers albums disco de Grace Jones, qui sont de parfaits petits bijoux.

Publicité

Il faut blacklister les Village People : vrai ou faux ?
Non. Je pense, au contraire, que les queers doivent se réapproprier les Village People pour en faire le groupe le plus pédé de l’histoire, juste pour faire chier Victor Willis, le leader hétéro, qui, depuis plusieurs années, essaie de nous convaincre que le groupe n’a rien de gay et multiplie les déclarations réacs. J’ai juste envie de lui rappeler que les Village People ont été inventés de toutes pièces par Jacques Morali, un homo français flamboyant qui a produit d’innombrables standards disco et de lui conseiller de bien relire les paroles des gros tubes de ce boys band. Et donc, si Willis n’est pas à l’aise avec le fait de chanter des paroles pro-gay, qu’il rende l’argent qu’il a piqué à la communauté !

L’expo Disco I’m Coming Out est la meilleure expo disco de l’histoire : vrai ou faux ?
Vu que c’est la première véritable exposition sur le disco au sens large, j’aurais tendance à dire oui. Mais je rajouterais quand même que le catalogue du même nom que j’ai dirigé est le livre le plus beau et le plus complet sur le disco à ce jour. C’est une bible pour tous les queers qui veulent connaître leur histoire et comprendre quand et où se sont inventés les concepts de safe place, de communauté, d’intersectionnalité, de gender, mais aussi pour tous les autres. Et oui, le disco ce n’est pas que des paillettes, mais c’est surtout s’émanciper, et se faire respecter, en dansant.

Publicité

Exposition “Disco, I’m Coming Out” à la Philharmonie du 14 février au 17 août 2025.
Catalogue “Disco, I’m Coming Out“ – 224 pages – 39,90 euros (Éditions de la Martinière / Philharmonie de Paris) – sortie le 28 février 2025.