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*** URBANIA et SEPT magazine unissent leurs forces pour vous proposer une série d’articles autour du thème de la gourmandise.
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Rappelez-vous un peu votre enfance : petit·e, on vous servait une assiette et vous mangiez ce qu’il y avait dedans, sans trop poser de questions. Et même, parfois, en faisant un peu la grimace. Mais en sortant de ce cercle familial, en commençant à aller à la cantine, chez des ami·e·s, dans d’autres familles… On prend conscience que, si tout le monde mange, tout le monde ne mange pas la même chose. A la maison, vous mangiez casher, mais chez votre meilleur·e ami·e, c’est sans porc. Chez Chloé, il n’y a pas de viande à table. Étienne, quant à lui, a droit au poisson tous les vendredis. Vous n’avez jamais compris pourquoi.
Historiquement, ces habitudes et ces interdits sont liés à une culture, à des croyances et à des convictions d’ordre religieux. Aujourd’hui, on remarque que certaines personnes se soumettent à d’autres interdits plus sociétaux tels que la privation d’œufs, de viande ou de poisson par exemple.
Manger est un besoin vital et physiologique, mais cet acte endosse également une dimension culturelle très forte. Des sept péchés capitaux de la religion catholique, celui de la Gourmandise est sans doute le plus célèbre. Les trois religions monothéistes les plus popularisées continuent aujourd’hui d’imprégner et de rythmer les consommations alimentaires quotidiennes, occasionnelles et festives d’une bonne partie de la population. Comprendre les habitudes alimentaires et sociologiques demande de s’intéresser aux relations qu’entretiennent les religions avec la nourriture. Alors, mêlons-nous un peu des pratiques bien spécifiques imposées par les religions et tentons de comprendre les interdits.
Pourquoi certaines religions interdisent-elles de consommer tel ou tel aliment ? Comment se fait-il que ces interdits soient encore respectés ? Les croyant·e·s sont-iels les seul·e·s à être soumis·es à des restrictions alimentaires ? Quelle est la place des animaux dans les croyances ?
Selon l’anthropologue et spécialiste du droit musulman, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études et membre du Groupe “Sociétés, Religions, Laïcités”, Hocine Benkheira, il est aujourd’hui nécessaire de comprendre les religions contemporaines, qui posent des règles dans la société, dans le domaine de l’alimentaire. Hocine Benkheira explique que si les religions aiment à s’immiscer dans nos assiettes, c’est parce qu’il s’agit d’une manière plutôt simple d’identifier les croyant·e·s et de leur rappeler l’importance de la religion deux à trois fois dans la journée. D’autant que l’alimentation se soumet facilement à diverses règles. On peut d’ailleurs remarquer que tous les pouvoirs s’immiscent de plus en plus dans notre alimentation, comme l’État, en nous “recommandant” 5 fruits et légumes par exemple.
Selon Hocine Benkheira, la religion cherche à encadrer nos comportements par des lois, des règles et des interdits, et la nourriture porte en elle des valeurs symboliques propres à chaque religion.
Les habitudes alimentaires religieuses concernent, en grande partie, les animaux. L’abattage rituel d’un animal signifie qu’il faut le tuer d’une certaine façon, sous certaines conditions. L’animal étant considéré comme une créature, voire une création de Dieu, il n’appartient pas à l’homme ni à la femme de mettre fin à sa vie de n’importe quelle façon.
Une anecdote de l’anthropologue nous a fait sourire. Il explique que dans l’Antiquité, les grec·que·s et les Romain·e·s avaient un rapport à l’animal comme nourriture pas si différent des musulman·e·s ou des juif·ve·s. Pour ces communautés, la mise à mort était sérieuse. La civilisation grecque pratiquait la “boufonnie”, la mise à mort d’un bœuf sur scène, devant la foule. Pour cela, celui qui entamait la mise à mort devait arriver sur scène en dissimulant son couteau et devait obligatoirement lancer une accusation contre la bête : on l’accusait alors d’avoir blessé quelqu’un·e ou d’avoir fait des dégâts par exemple. Cette exécution se justifie alors, tel un procès dans lequel l’animal est puni fatalement.
Dans le judaïsme, la consommation de certaines espèces est interdite, et de manière bien spécifique : les animaux sont classés par le biais de critères comme celui de la locomotion (façon de se déplacer), de l’existence d’ongles fendus ou non, la rumination (par exemple, le porc est exclu car il ne rumine pas). Chez les animaux marins, le critère principal est de savoir s’ils possèdent ou non des écailles et des nageoires. S’ils n’en n’ont pas, ils ne doivent pas être mangés : les anguilles ou encore les crustacés sont donc bannis de la nourriture juive.
Les musulman·e·s ne mangent pas d’animaux sauvages s’ils ne ressemblent pas à des animaux domestiques consommés habituellement. L’interdit du porc différencie remarquablement les musulman·e·s des chrétien·ne·s : ces dernier·e·s en consomment. Or cette nourriture est considérée comme infâme et infamante par l’islam, créant alors une frontière idéologique entre les deux religions monothéistes, à l’heure où les frontières physiques n’existent pas encore.
Le christianisme quant à lui, interdit l’hippophagie* (fait de consommer du cheval) au IV ou Vème siècle car les peuples qui arrivaient d’Asie consommaient du cheval et l’Église avait besoin de se démarquer de ces “barbares”.
L’interdit religieux alimentaire s’illustre alors comme une stratégie parfaite, alliant revendication, visibilité et démarcation. Il renforce le sentiment d’appartenance au groupe et le soude. Il est intéressant de voir que lors du ramadan, la communauté musulmane offre son endurance et sa patience à Dieu, de manière sociale avec le jeun.
Jusqu’au XIXème siècle en France, l’hippophagie était interdite par l’Église. Elle avait été rendue illicite en 732 par le Pape Grégoire III, car il l’estimait semblable à une pratique païenne. Cette interdiction a donc été levée en 1866, sous la pression des autorités sanitaires et le corps médical qui la considérait comme : riche d’un point de vue nutritionnel, plus accessible financièrement que la viande de bœuf ou de porc et réputée excellente pour les enfants… Le pic de consommation de viande de cheval arrive entre les années 60 et 70 en France. Aujourd’hui, on fait face à un effondrement de cette consommation : la viande de cheval représente 0,4% de la viande consommée en France -à titre comparatif, le porc c’est 36%.
Si on consomme moins de cheval c’est parce qu’on considère cet animal comme un être vivant noble, un compagnon plus que comme un aliment potentiel. La religion n’est donc pas la seule responsable de nos habitudes alimentaires, surtout dans les cultures chrétiennes où sa pratique diminue considérablement : on se raccroche alors à d’autres critères.
Beaucoup de religions, monothéistes ou non d’ailleurs, ont assimilé dans leurs pratiques le concept d’offrandes. En matière religieuse, l’offrande est un sacrifice que l’on fait à Dieu. Cette pratique est également un moyen de négociation : celui ou celle qui offre négocie sa place d’être humain auprès de Dieu.
M’enfin,
Chacun·e ses habitudes, religieuses ou éthiques, chacun·e ses préférences, chacun·e ses goûts. Après tout, nous ne sommes pas obligé·e·s d’aimer les mêmes choses pour s’aimer les un·e·s les autres. Alors, chrétien·ne, musulman·e, juif·ve, orthodoxe, protestant·e, bouddhiste, athé·e, hindou·e, ou encore mangeur·se de coriandre, ne vous méprenez pas, nous sommes toutes et tous capables de partager la même table.
Maëva Zanoni pour 7 magazine
Numéro « Gourmandise »