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Día de Muertos : la mort est une fête
« La première fois que j’ai été en contact avec la mort, ce n’était pas dans l’horreur. J’arrivais de l’école et à la maison il y avait des fleurs, il y avait des gens dans la cuisine qui préparaient à manger, avec de la musique. C’était comme une fête qui commençait. Mais en réalité, c’est mon grand-père qui venait de mourir. Quand la mort survient, oui, il y a des pleurs et du chagrin, mais en même temps, il faut faire honneur à la vie. »
Une fête, c’est exactement l’ambiance que je perçois quand j’entre dans la Libreria Española, rue Saint-Laurent à Montréal. Juan Mendoza Hernandez est assis à une table pleine de couleurs. Derrière lui, un autel avec des fleurs, des churros, des chandelles, des guirlandes de papier et des figurines de différentes formes. C’est magnifique et apaisant.
Une fête plus importante que Noël
« Pour les Mexicain.e.s, le Día de Muertos (le jour des Morts, célébré le 1er et 2 novembre), c’est une fête presque plus importante que Noël, m’explique Juan, un éducateur en garderie d’origine mexicaine établi au Québec depuis 30 ans. Pour nous, cette fête vise à honorer ceux et celles qui nous ont quittés, et que l’on a eu la chance de connaitre et d’aimer de leur vivant. C’est pourquoi tout est tourné vers la célébration de la vie. »
«Pour nous, cette fête vise à honorer ceux et celles qui nous ont quittés, et que l’on a eu la chance de connaitre et d’aimer de leur vivant. C’est pourquoi tout est tourné vers la célébration de la vie.»
Juan, pour qui la préservation des traditions de son pays d’origine est très importante, m’explique que le Día de Muertos comporte différents rituels, que chacun est libre de revisiter à sa manière. « Traditionnellement, on installe un autel sur lequel on dispose des objets, des offrandes et des mets que la personne appréciait. On représente aussi les quatre éléments: le vent, avec du papier, la lumière avec des chandelles, la terre avec des fruits et l’eau avec…de l’eau. »
Il poursuit son explication des différents symboles: « On place également une croix sur l’autel. Mais ce n’est pas la croix catholique. La barre la plus longue symbolise la mort, et la plus courte, représente la vie. Le 2 novembre, à l’occasion du Día de Muertos, c’est le croisement, la rencontre entre le monde des morts et le monde des vivants. C’est pour ça qu’on rend hommage aux personnes décédées ce jour-là. ».
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Des petits crânes en sucre
Ce qui m’a donné envie d’aller rencontrer Juan à la Libreria Española par un beau samedi d’automne, ce sont des crânes en sucre. Vous avez bien lu. Avant de m’y rendre et de discuter avec Juan, je n’avais jamais entendu parler de cette tradition: « Les crânes en sucre, c’est une tradition pour les enfants, m’explique Juan, patiemment. Au Mexique, les enfants ne récoltent pas de bonbons. Ils demandent de l’argent pour acheter des crânes en sucre. »
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À son arrivée au Québec, Juan ne trouvait pas de crânes en sucre pour perpétuer la tradition. Qu’à cela ne tienne: au fil des années, il a décidé d’en fabriquer lui-même. Et si vous vous posez la question: « Est-ce que ça mange? », la réponse est oui! « J’ai commencé à fabriquer des crânes en sucre moi-même, parce que j’adore cette tradition, me confie l’artiste gourmand. Pour ça, il faut travailler le sucre à 130°C, et forger une forme de crâne. Ensuite, on les décore et on les personnalise, avec des couleurs, des fleurs, ce qu’on veut. Ils servent à se remémorer une personne chère qui nous a quittés. On peut aussi les offrir en cadeau. »
Une fête qui appartient à tout le monde
Juan me parle pendant qu’il décore un crâne en sucre coloré, qu’il orne d’orange et de bleu. Je suis hypnotisée par sa minutie. Il lève les yeux de son oeuvre et me demande: « Aimerais-tu que je t’en fasse un ? » Instantanément, mes yeux se remplissent de larmes. Nos regards se rencontrent.
« Oui, j’aimerais beaucoup en avoir un pour honorer la vie de ma grand-mère. » que je lui réponds. Même si je ne connais Juan que depuis 15 minutes, je lui confie que j’ai perdu ma grand-mère en mars dernier et que ça me ferait plaisir de lui rendre hommage à travers cette belle tradition mexicaine. Mais est-ce que j’ai le droit? « Bien sûr, même si c’est une fête mexicaine, selon moi, ça appartient à tout le monde. Avant la COVID, j’organisais des fêtes pour souligner le Día de Muertos chez moi, avec des amis de diverses origines. La table se remplissait de plats de toutes les nationalités. J’aime que notre belle tradition circule et que chacun puisse la personnaliser. »
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Juan me tend un morceau de papier et me demande d’y inscrire le nom de ma grand-mère. Je trace les neuf lettres de son prénom avec précision: G E N E V I È V E.
Je choisis un crâne en sucre avec une couronne de fleurs rouges et violettes, parce que ma grand-mère a toujours aimé les fleurs. Juan s’exécute doucement et inscrit le nom de ma grand-mère sur son oeuvre sucrée. Je le regarde faire, pleine d’émotions.
Célébrer la vie
Juan me tend mon crâne en sucre, et ajoute: « C’est la première fois que je décore mes oeuvres à l’Española. Les propriétaires, qui sont des amis, ont été assez généreux pour me recevoir ici. D’habitude, je fais ça chez moi, mais la pandémie nous empêche de nous rassembler cette année. L’an prochain, tu es la bienvenue à la maison. »
Je quitte la Libreria, émue et apaisée. Je pense à ma grand-mère et je me dis qu’en effet, elle aurait préféré que je célèbre sa vie plutôt que je pleure sa mort. En rentrant à la maison, j’ai acheté un bouquet de fleurs, j’ai cuisiné et écouté de la musique.