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Dette sexuelle : on ne doit de sexe à personne

Pourquoi accepte-t-on d’avoir des relations sexuelles sans en avoir envie ?

Par
Catherine Montambeault
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Avez-vous déjà accepté d’avoir des rapprochements ou une relation sexuelle avec quelqu’un même si vous n’en aviez pas vraiment envie, parce qu’il vous avait payé un verre, invité.e à dîner ou rendu service ?

C’est ce qu’on appelle la « dette sexuelle » : ce désagréable sentiment d’être « redevable sexuellement » envers quelqu’un, d’être obligé.e d’avoir un rapport sexuel parce qu’on a accepté un cadeau ou un service, ou simplement parce que l’on croit que c’est ce qui est attendu de nous.

Cet état de malaise particulièrement toxique nous ramène sans surprise à la notion de consentement. « Il y a derrière ça l’idée que si tu acceptes un cadeau, tu devrais en redonner un, et surtout, que la sexualité est une chose, une ressource qu’on donne, qu’on perd, qu’on se fait prendre, plutôt qu’une activité faite pour le plaisir de toutes les parties prenantes. Comme si c’était un échange économique. C’est une vision très problématique de la sexualité », souligne d’emblée Léa Séguin, chercheuse en sexologie et consultante sexologique pour l’organisme Club Sexu.

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La faute à l’hétéronormativité ?

Selon une étude menée en Suisse en 2018 auprès de jeunes âgé.e.s de 26 ans en moyenne, 53 % des femmes interrogées avaient déjà accepté une relation sexuelle sans désir, contre 23 % des hommes.

Dans le cadre d’une autre recherche datant de 2017 et portant sur les transactions sexuelles impliquant des jeunes en Suisse, plusieurs femmes « ont exprimé avoir parfois consenti sans forcément en avoir envie, mais par sentiment de redevabilité, à s’engager dans des expériences sexuelles avec des hommes », en expliquant « qu’elles auraient dû se douter qu’en acceptant [les faveurs des hommes], elles créeraient des attentes sexuelles chez eux ».

« Les femmes sont socialisées à accepter une invitation et pas nécessairement à initier un rapport sexuel ou à inviter les hommes à sortir. »

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Pourquoi ce phénomène semble-t-il affecter davantage les femmes ? Selon les professeur.e.s derrière cette seconde recherche, ce serait en raison de l’hétéronormativité, ce système de normes sociales qui considère l’hétérosexualité comme l’orientation sexuelle « par défaut » et qui veut que les hommes et les femmes aient des rôles sexuels différents et complémentaires. La sexualité masculine serait alors caractérisée par l’assertivité et la performance, tandis que la sexualité féminine serait liée à l’affectivité et à la conjugalité.

« Les femmes sont socialisées à accepter une invitation et pas nécessairement à initier un rapport sexuel ou à inviter les hommes à sortir. Et c’est l’inverse chez les hommes : ils sont socialisés à inviter les femmes et, même si c’est un peu vieillot, à payer pour la date. Ça fait en sorte que les femmes sont plus souvent placées dans la position de “j’accepte ou je refuse” », résume Léa Séguin.

La chercheuse précise cependant que ces scripts sexuels ont aussi des effets pernicieux chez les hommes, qui peuvent par exemple ressentir une pression d’initier des rapports sexuels même s’ils n’en ont pas envie, puisque c’est ce que leur dicte leur rôle sexuel.

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« Est-ce que je vais être considérée comme une allumeuse ? »

Amélie* se souvient bien de la dernière fois où elle a couché avec un homme sans en avoir envie. « Je ne me sentais vraiment pas bien après en revenant chez moi, se remémore-t-elle. Je me suis dit que c’était la dernière fois que je faisais ça. »

Elle venait de souffler ses 30 bougies et avait accepté d’aller souper au restaurant avec un homme rencontré sur une application de rencontre. « C’était un gars avec qui j’avais eu deux dates avant ça, indique-t-elle. On s’était embrassés au deuxième rendez-vous, mais rien de plus. »

Alors que le dîner tire à sa fin, le jeune homme invite Amélie à prendre un dernier verre chez lui. « J’ai hésité, mais j’ai fini par dire oui même si ça ne me tentait pas tant que ça. J’avais bu et la conversation était sympathique, alors je me suis dit : “Why not? Ça sera un dernier verre pour vrai et je rentrerai après.” Je pense que je ne voulais peut-être pas le décevoir. »

«On dirait qu’on a une pression de ne pas être prude.»

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Un peu plus tard à l’appartement, lorsqu’Amélie annonce qu’elle va appeler un taxi, l’homme se met à l’embrasser vigoureusement et à la caresser. « Je sentais que je n’avais pas particulièrement envie de coucher avec lui, mais j’ai eu ce feeling-là de me dire : “Mais si je ne voulais pas coucher avec lui, pourquoi j’ai accepté de venir ici?” Comme si parce que je m’étais rendue là, je me sentais obligée de continuer. »

« Finalement, on a couché ensemble, mais j’ai eu l’impression de subir le truc : lui était vraiment dedans, mais pas moi », relate-t-elle.

La jeune femme croit aussi qu’une partie d’elle craignait de passer pour une allumeuse si elle refusait les avances de l’homme. « On dirait qu’on a une pression de ne pas être prude, souligne-t-elle. Si on a passé la soirée à flirter et à discuter de sexualité de façon ouverte, est-ce que si je refuse d’aller chez le gars, je vais être considérée comme une allumeuse ? Est-ce que j’ai vendu du rêve ? »

Pas juste chez les célibataires

Si ce sentiment de dette sexuelle est souvent vécu chez les célibataires, il peut aussi exister au sein des couples. « Certaines personnes vont accepter d’avoir des relations sexuelles avec leur partenaire quand ça ne leur tente pas parce qu’elles vont ressentir une pression de “maintenir” le couple, de garder leur partenaire heureux ou heureuse, surtout si ça fait un certain temps qu’il n’y a pas eu de sexualité entre eux, explique Léa Séguin. Ça peut aussi être parce qu’on veut éviter que l’autre soit en colère, ou qu’il ou elle nous quitte. Ce n’est jamais positif; on sort de cette relation-là en ne se sentant pas bien généralement. »

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La chercheuse nuance toutefois en précisant que des raisons « positives » peuvent aussi nous pousser à avoir des relations sexuelles avec notre conjoint.e même si on n’en meurt pas d’envie. « Ça peut arriver qu’on ait le goût de faire plaisir à l’autre et que ça nous fasse plaisir de le faire, même si on ne ressent pas nécessairement un grand désir sexuel nous-même sur le moment. La différence, c’est que l’idée de dire “non” ne nous donne pas d’anxiété, et on sort de cette relation-là satisfait.e. »

Dans le cas de Maude*, une jeune femme qui a eu des relations non désirées avec son ex-conjoint à plusieurs reprises, le sentiment de redevabilité sexuelle qu’elle ressentait n’avait rien de positif.

« Je me sentais mal de lui refuser si souvent d’avoir des relations sexuelles alors que nous n’avions que quelque mois à passer ensemble. »

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Alors qu’elle était en relation à distance avec son copain depuis quelques mois, celui-ci est venu habiter avec elle le temps d’un été. « Au fil des semaines, je sentais que notre niveau de libido n’était pas le même, raconte Maude. Les hormones de mon moyen de contraception avaient tout coupé côté désir sexuel pour moi. »

Un soir, alors qu’elle refusait de faire l’amour avec lui, son conjoint s’est plaint que « ça lui faisait mal », qu’il avait les « blue balls » à force de se retenir. Elle a fini par céder.

« Je me sentais mal de lui refuser si souvent d’avoir des relations sexuelles alors que nous n’avions que quelque mois à passer ensemble avant de retourner à la vie de couple à distance, confie-t-elle. La pression est devenue très grande. Plus je refusais, plus je me sentais mal et plus je cédais. »

Céder n’est pas consentir

Comment faire alors pour éviter que notre partenaire ou qu’une personne avec qui on flirte ait l’impression d’être redevable sexuellement envers nous ou qu’on se sente soi-même ainsi?

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« Je pense que la clé, c’est vraiment la communication, fait valoir Léa Séguin. Quand on va sur une date, on peut dire d’emblée à l’autre : “Moi, je suis plus à l’aise qu’on paie chacun notre addition.” Sinon, la personne qui invite ou qui offre de payer peut aussi clairement juste dire : “Ça me fait plaisir de payer pour toi, no strings attached.” Il faut mettre l’accent sur le fait que ça nous fait plaisir, qu’on ne le fait pas pour obtenir quelque chose en retour. »

Au moment d’avoir de possibles rapprochements, on peut aussi rassurer l’autre en lui mentionnant que c’est correct s’il ou elle n’en a pas envie, et bien sûr, toujours s’assurer d’avoir son consentement.

Léa Séguin rappelle que le consentement doit être clair et donné de façon libre (donc sans pression ni manipulation pour céder) et éclairée (la personne doit savoir à quoi elle consent et être en état de le faire). Le consentement est aussi spécifique et révocable en tout temps, c’est-à-dire que dire « oui » pour une activité sexuelle en particulier ne signifie pas donner son accord pour toutes, et on peut changer d’avis à n’importe quel moment.

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L’experte estime d’ailleurs que la réduction de la dette sexuelle passe notamment par l’éducation sur le consentement. « Et il faut mettre l’accent sur le fait que la sexualité devrait être source de plaisir, mentionne-t-elle. Normalement, quand on voit que notre ami.e ou notre partenaire fait quelque chose – même de non sexuel – uniquement pour nous faire plaisir, et que ça ne lui tente pas du tout de le faire, ce n’est pas le fun. Ça devrait être la même chose pour le sexe. »

*Prénoms fictifs