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Des pistes de ski reconverties en eldorado pour les oiseaux

Tout schuss pour sauver la biodiversité

Par
Elise Gilles
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Une étude scientifique réalisée dans les Alpes franco-italiennes suggère qu’une certaine gestion des pistes de ski pourrait, à l’avenir, permettre de préserver des communautés d’oiseaux. Elles auraient ainsi la capacité de servir de refuge de substitution pour certaines espèces menacées par la perte de leur habitat naturel en montagne.

Eh non, désolée mes petits fadas de la glisse hivernale, faire du ski à Courchevel ne sera pas le nouvel étendard à brandir pour pouvoir se dire militant écolo. À 48,9 kg d’équivalent CO2 généré la journée au ski selon l’ADEME (soit la même empreinte carbone que 35 nuits au camping), faut quand même pas rêver. Pour autant, les pistes de ski pourraient devenir une nouvelle façon de protéger certaines communautés d’oiseaux. Car je ne sais pas si vous êtes au courant, mais ça va pas fort fort pour nos amis les piafs ces derniers temps. Selon une étude parue dans Global Change Biology en 2019, 7 % des oiseaux de montagne ont déjà disparu en Europe entre 2002 et 2014. Et tout ça, c’est grandement lié à perte d’habitat de certaines espèces. À cause de quoi ? Je vais vous le dire de ce pas !

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Les oiseaux de montagne sous pression (et on parle pas de la bière)

Tourisme hivernal en altitude, expansion urbaine, pollution par les pesticides, ou encore abandon des pâturages… Les humains ont causé de sacrés dégâts. Ajoutez à ça le réchauffement climatique, qui engendre depuis plusieurs années une migration en altitude de nombreuses espèces végétales et animales pour retrouver des températures convenables et nécessaires à leur croissance. D’après le Centre des ressources pour l’adaptation au changement climatique du Ministère de la Transition écologique, “les forêts sont […] remontées d’environ 30 mètres ces cinquante dernières années” (c’est pas la taille qui compte, mais 30 mètres, c’est beaucoup). Chez les animaux, la chenille processionnaire, le lièvre commun ou encore le rouge-gorge se réfugient, eux aussi, en altitude pour retrouver des conditions favorables à leur survie. Bref, je vous raconte pas le niveau de concurrence entre les espèces pour la nourriture et les habitats, mais c’est plus violent qu’à Koh-Lanta.

Rare image d’un Tarier des Prés envisageant de remplir une demande d’allocation logement pour la CAF
Rare image d’un Tarier des Prés envisageant de remplir une demande d’allocation logement pour la CAF
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Pour venir en aide fissa à nos amis les oiseaux, qui voient leurs lieux de vie de plus en plus menacés à cause de tous ces facteurs (pas les postiers), une équipe de chercheurs s’est penchée sur la recherche d’habitats de substitution dont les résultats ont été publiés en octobre 2024 dans la revue ornithologique Ibis. Et aussi complètement déglingos que cela puisse paraître, les scientifiques en ont conclu que les pistes de ski seraient potentiellement de bonnes options B niveau logement. QUOI, QU’OUÏE-JE, QU’ENTENDS-JE ? C’est pourtant véridique : les pistes de ski pourraient, sous certaines conditions, servir d’habitat de substitution pour certaines espèces d’oiseaux. Mais comment ça se fait ???

C’est tout simplement parce que les pistes de ski sont le pendant artificiel des couloirs d’avalanche – aka les corridors où surviennent les coulées de neige – avec qui elles ont beaucoup de caractéristiques communes à commencer par être riches en biodiversité (presque autant qu’un bac à légume pas ouvert depuis 2015). Pour vous aussi, le concept d’avalanche ne rime pas du tout avec une biodiversité foisonnante ? C’est bien normal. En fait, les destructions d’arbres que peuvent entraîner les avalanches permettent à de nouvelles espèces végétales de pousser grâce à l’arrivée de lumière et au gain d’espace. Et un paquet d’animaux, notamment les oiseaux, peuvent ainsi squatter les arbres morts, kiffer le microclimat généré localement et se nourrir de cette végétation inédite, comme les gros profiteurs qu’ils sont.

Sous vos yeux ébahis, un couloir d’avalanche prêt à accueillir plein d’espèces en week-end spa.
Sous vos yeux ébahis, un couloir d’avalanche prêt à accueillir plein d’espèces en week-end spa.
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Alors je vous vois venir : on va pas du tout se mettre à pondre des pistes de ski partout juste parce que ce sont les jumelles artificielles des couloirs d’avalanche. En l’état actuel, les pistes de ski ont littéralement un potentiel de compensation nul. Pour qu’elles puissent potentiellement être utilisées comme habitat de substitution par certaines espèces d’oiseau – comme le sont les couloirs d’avalanche – l’étude précise bien que certaines conditions sont indispensables. Les pistes de ski doivent avant tout être gérées d’une manière naturelle, durable et respectueuse de la biodiversité, donc en privilégiant la restauration de pistes déjà existantes et en conservant/recréant des éléments naturels clés des couloirs d’avalanches comme des arbustes ou des petits arbres. Cette gestion des pistes doit ensuite se faire à une altitude assez basse car à haute altitude, les pistes de ski montrent au contraire des effets négatifs sur certains oiseaux à cause de la destruction de la végétation au moment de la construction.

Les avalanches ont aussi le moral dans les chaussettes

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Chercher de nouveaux habitats de substitution semble d’autant plus pertinent que les couloirs d’avalanche sont, eux aussi, potentiellement menacés par le changement climatique. Faut voir comment il quémande de l’attention celui-là. La hausse des températures notamment entraînerait des hivers plus doux et donc une baisse des précipitations, limitant la création du manteau neigeux instable, nécessaire pour former une avalanche. D’après les derniers résultats d’une étude menée dans le massif vosgien et publiée en 2021, on observe “une division par sept du nombre d’avalanches, un raccourcissement de la saison des avalanches et une réduction de leur taille”. Et cela ne devrait pas aller en s’arrangeant : le Centre d’étude de la Neige de Météo France prévoit ainsi “une diminution globale projectée de l’activité avalanche de 20 à 30 % au cours du 21ᵉ siècle”. Pour autant, l’impact direct du changement climatique sur la fréquence et la gravité des avalanches est encore incertain car ce phénomène reste assez imprévisible (comme un enfant de 5 ans, vous voyez ?) et qu’on manque de données sur le sujet.

Vous vous dites sûrement “Eh bah du coup, heureusement qu’on sait qu’on peut foutre des graines partout sur les pistes de ski pour éviter la mort de plein d’espèces d’oiseaux, eh !”. Cessez tout de suite de crier victoire tout en chaussant vos après-ski. Car malheureusement, ce n’est pas non plus en végétalisant toutes les pistes de ski des Alpes qu’on va sauver tous les oiseaux de montagne. Les résultats de l’étude publiée dans Ibis montrent des limites aux effets compensatoires des pistes de ski : d’abord, la biodiversité reste bien plus diversifiée et nombreuse dans les couloirs d’avalanche que sur les zones skiables, tout simplement parce que les couloirs se recolonisent et revégétalisent naturellement beaucoup plus vite. Et ensuite parce que toutes les communautés d’oiseaux alpines ne tirent pas profit de ces pistes. Le Bruant fou (un peu psycophobe son pseudo) a par exemple besoin de rochers pour vivre, ce qui n’est pas conciliable avec la sécurité nécessaire sur les pistes de ski – rapport au fait que c’est dangereux, genre.

Les transports utilisés par les touristes représenteraient 52 % des émissions totales de CO2 liées aux sports d’hiver, tandis que l’alimentation des stations représenterait seulement 8 %. Et on ne parle pas d’une soirée fondue.
Les transports utilisés par les touristes représenteraient 52 % des émissions totales de CO2 liées aux sports d’hiver, tandis que l’alimentation des stations représenterait seulement 8 %. Et on ne parle pas d’une soirée fondue.
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Comme l’explique aussi Mattia Brambilla, chercheur à l’Université de Milan ayant travaillé sur l’impact du ski alpin sur les oiseaux, cette étude fournit des résultats motivants, “mais il est important de noter qu’il s’agit de la première de ce type, réalisée dans une seule zone. Il est donc difficile de dire si cela s’applique à d’autres zones ou communautés d’oiseaux et toute généralisation est impossible à l’heure actuelle”. “Ces résultats montrent qu’il faut s’efforcer d’atténuer l’impact des pistes de ski existantes, en maximisant leur potentiel pour les espèces sauvages, précise le chercheur, mais l’altération des habitats, les collisions avec les câbles, et les perturbations dues au ski sont autant de sources d’impact qui doivent être prises en compte si nous voulons rendre le ski (plus) durable pour les oiseaux et la biodiversité en général.”

Bin oui parce que ça serait quand même bien ballot d’oublier que si une gestion plus écolo des pistes de ski est souhaitable, ces pistes et les sports d’hiver en général engendrent avant tout de très nombreuses dégradations environnementales qui impactent la biodiversité alpine. Surexploitation des ressources en eau pour les canons à neige, pollution sonore et lumineuse, déchets touristiques, artificialisation des sols, détérioration de la végétation par le ski lui-même, utilisation de produits chimiques contre l’érosion des sols, émissions de CO2… la liste des crasses que le ski fait à la nature est longue comme mon bras (et j’ai le bras très long). Oubliez les séjours à Megève et à La Clusaz pour votre prochaine mission de volontariat environnemental, donc.

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