Au mitan des années 90, Gwyneth Paltrow et Brad Pitt promenaient partout leurs chevelures décolorées. Quelques années plus tard, en 2001, Brit-brit et Justin Timberlake s’affichaient en look 100% denim sur le tapis rouge des American Music Awards.
2023 : grâce aux cycles de la mode et au dieu du bon-goût ; l’époque où le comble du chic consistait à assortir son chapeau de cow-boy en jean à la robe-bustier délavée de son/sa partenaire du moment paraissait révolue. Mais l’apparition récente du couple formé par Billie Eilish et son amoureux Jesse Rutherford en pyjamas de soie assortis et grosse couverture Gucci lors du LACMA Art Film Gala semble malheureusement indiquer le contraire. Tout comme elle met en lumière une nouvelle tendance qui agite le petit monde des stars outre-atlantique.
Alors non, il ne s’agit pas de faire la tournée des grands ducs habillé.es en dessus de lit : mais de la mode du it-boyfriend. Ces petits copains “accessoires”, qui apparaissent parfois comme des figurants de second plan dans la vie de leurs célèbres moitiés.
Des looks alternatifs au service d’une même fonction : l’accessoirisation
Qu’ils soient musiciens indie comme Jesse Rutherford (le copain de Billie Eilish) ou comédiens edgy comme Pete Davidson (l’ex-copain d’Ariana Grande et actuel amoureux de Kim K), les hommes qui font craquer les comédiennes et les divas de la pop semblent avoir tous deux choses en commun : leur rejet des stéréotypes genrés et leur amour du cuir tatoué. Mais attention, on ne parle pas ici de fascination pour les chaussures en croco – ces nouveaux sex-symbols sont tous plus ou moins végétaliens – mais bien d’épiderme recouvert de dessins. Un look de mauvais garçon qui tranche résolument avec leur posture de gendre idéal ou de gars sensible.
Les gros biceps et les looks de porte-flingue dopés à la testostérone n’ont plus la côte, vive l’androgynie et la confusion libératrice !
Et comme si ce mélange des genres n’était pas encore assez perturbant pour la génération de leurs parents (qui ont érigé la moquette de torse de Bruce Willis dans Die Hard comme le summum de la virilité), ces nouveaux apollons ringardisent la figure du macho tête brûlée à grands renforts de tenues excentriques, de vernis coloré et de jupe unisexe. Les gros biceps et les looks de porte-flingue dopés à la testostérone n’ont plus la côte, vive l’androgynie et la confusion libératrice !
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Mais cette subversion des genres salutaire ne leur permet pas pour autant de se faire remarquer et d’exister en dehors de l’entité “couple”, qui semble définir l’essentiel de leur identité. Du moins, pas pour la génération Z. Travis Barker fait désormais davantage parler de lui pour son histoire avec Kourtney Kardashian que pour sa carrière au sein du groupe mythique Blink 182.
Quant à Jesse Rutherford, son seul et unique tube “Sweater Weather” a connu un regain de popularité depuis qu’il a officialisé sa relation avec l’auteure de “Bad Guy”. Alors est-ce parce qu’ils sont recouverts des pieds à la tête de mirifiques motifs qu’ils donnent parfois l’impression de faire tapisserie ? En réalité, cette nouvelle lubie de la presse n’est qu’une énième actualisation d’une longue tradition d’objectification.
Car les décennies précédentes avaient déjà leurs potiches. Des femmes trophées dont le talent était toujours relégué à l’arrière-plan, loin derrière leur plastique. Ainsi l’immense actrice hollywoodienne Rita Hayworth reste à jamais associée à la figure écrasante d’Orson Welles qui promettait, après l’avoir vue dans un magazine, d’en faire sa future épouse.
Quant à l’artiste plasticienne, Jacqueline Lamba, elle a vécu toute sa vie dans l’ombre de son mari, le surréaliste André Breton, qui ne manquait jamais une occasion de mettre sa beauté en avant au détriment de son art. Elle dira d’ailleurs à propos de leur relation : « Il me présentait à ses amis comme une naïade parce qu’il jugeait cela plus poétique que de me présenter comme un.e peintre en quête de travail. Il voyait en moi ce qu’il voulait voir mais en fait il ne me voyait pas réellement ». La pensée du poète est sans équivoque : aux femmes la sensualité et l’oisiveté, aux hommes le génie créatif.
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Alors doit-on pour autant se réjouir que les tables aient tourné ? Peut-on se féliciter que la figure de la muse gracile, exaltant l’imagination d’un artiste torturé, ait été remplacée par celle de l’éphèbe pop-punk, faire-valoir de sa compagne ? Rien n’est moins sûr. Et si la célébration de nouvelles manières de déconstruire la virilité doit être saluée, l’empouvoirement des femmes ne peut pas devenir un prétexte à la persistance de la chosification. Les êtres humains ne sont pas des accessoires de mode que l’on peut présenter comme le dernier must-have de la saison. Et la presse ne devrait pas entretenir ce fantasme du partenaire décoratif. D’une part, car cela participe d’une logique d’exploitation dans laquelle le rôle de l’amant.e est uniquement ornemental. D’autre part, car cela alimente encore et toujours la même idée réac : celle qu’une personne – et a fortiori une femme – aussi talentueuse soit-elle, ne peut puiser son inspiration et sa force que dans la petite institution du couple. Enfin, car subvertir une stratégie patriarcale ne devrait pas être, faute de mieux, le seul horizon d’émancipation.
La subversion est un bon début, mais pas une fin en soi
Soyons honnêtes : cette tendance générale à porter aux nues les anti-mascus fait tout de même du bien. Et quitte à édicter des nouveaux standards, on préfère mille fois l’apparente délicatesse d’un Timothée Chalamet, d’un Maxx Morando (ancien batteur du groupe The Regrettes et nouveau mec de Miley Cyrus) ou d’un Tom Holland – qui interprète magistralement et sans une once de sarcasme le morceau Umbrella en combo mini short/dos-nu – aux injonctions virilistes d’un Chuck Norris en treillis.
Mais cette déconstruction ostensible des stéréotypes de genre ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt des abus.
Ainsi, il ne suffit pas de porter une jupe comme Brad Pitt lors de l’avant-première de son dernier film ou Travis Barker au dernier Met Gala pour prétendre être le nouveau héraut du féminisme. Déjà parce qu’assumer de montrer ses mollets seulement sur un tapis rouge cantonne le port des vêtements étiquetés “féminins” aux grandes occasions et pas au quotidien. On attend d’ailleurs avec impatience la nouvelle génération d’hommes célèbres qui ira chercher son journal en robe à crinoline.
Ensuite, parce qu’explorer la fluidité du genre à travers des tenues ne doit pas affranchir les hommes d’un nécessaire et profond travail de déconstruction. La subversion ne peut pas être une simple posture ou bien un blanc-seing pour tous les comportements toxiques.
A cet égard, les expérimentations vestimentaires de Brad Pitt et Travis Barker ont tendance à faire oublier les accusations qui pèsent sur eux (Angelina Jolie a dénoncé des gestes violents envers elle et ses enfants, et Shanna Moakler, l’ex compagne de Barker, des menaces de mort). Et bien qu’ils clament tous les deux leur innocence, leur image ne doit pas les absoudre a priori de toute brutalité.
Car la dernière chose dont nous avons besoin est que le rouge à lèvre devienne une cape d’invisibilité.