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Des dragons, des elfes et le désastre woke

« J’ai sincèrement de la difficulté à comprendre pourquoi la "wokitude" fait peur. »

Par
Marie-Hélène Racine-Lacroix
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Il y a deux semaines, Bioware, une compagnie de développement de jeux vidéo, a annoncé le titre du prochain jeu dans ma série préférée, Dragon Age. Alors que je participais à la foulée d’amatrices et d’amateurs trop investis dans un univers fictif qui déliraient sur Twitter, un petit mouvement en particulier a attiré mon attention. Un lanceur d’alerte nous avertissait : il avait appris de sources sûres que le prochain Dragon Age serait un DÉSASTRE WOKE.

Outre le fait que « Désastre Woke » serait assurément mon nom de lutteuse, l’expression m’a fait rire. Bien sûr, c’est loin d’être la première fois que j’entends parler de la peur des wokes. Je serais moi-même, dit-on, « une putain de woke avec des noms composés de woke ». Bien que je n’utilise pas ce mot pour me décrire, et que je ne connais personne qui ne le fait autrement qu’ironiquement, j’ai sincèrement de la difficulté à comprendre pourquoi la « wokitude » fait peur.

Selon certains dénonciateurs, on devrait craindre Dragon Age: Deadwolf en raison de son équipe de conception qui, horreur, est diversifiée. Une rumeur dit même qu’on pourra peut-être y choisir les pronoms de nos personnages. (Veuillez imaginer ici un coup de tonnerre dramatique.)

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Comme je l’ai souvent entendu pour plusieurs autres franchises de la culture populaire, on craint une diversité « forcée ». Ce concept a mis en colère des amateurs de Lord of the Ring quand des images de l’imminente série télévisée ont été publiées et que, à leur grand désarroi, ils ont appris qu’un des personnages nains est joué par une actrice noire.

La représentation est importante et bénéfique pour les personnes marginalisées et, au pire, inconséquente pour la majorité.

Plusieurs choses me laissent perplexe dans cette crainte de la diversité dans nos écrans. Premièrement, je ne comprends pas comment on peut voir la diversité comme une mauvaise chose. La représentation est importante et bénéfique pour les personnes marginalisées et, au pire, inconséquente pour la majorité. J’ai souvent vu la véracité historique être citée comme raison pour ne pas être inclusif, mais je ne comprends pas comment on ne peut pas voir le ridicule de cet argument quand on parle d’œuvres basées dans des univers inventés. Il n’existe pas un monde où les dragons et les elfes sont réalistes, mais que les personnes racisées ne le sont pas. Et croyez-moi, il existait plein de lesbiennes au Moyen Âge.

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Il y a aussi ça qui m’exaspère. Le fait qu’on traite la personne blanche, hétérosexuelle et cisexuelle comme la base. Tout ce qui en diffère est une exagération, même une fantaisie. Lorsque Mary Simon a été annoncée comme nouvelle gouverneure générale du Canada, un défunt chroniqueur de radio poubelle avait tweeté : « C’est quoi la prochaine affaire, une lesbienne handicapée ? », comme si cette idée était complètement absurde et risible. Mais moi, je suis une lesbienne handicapée ! Et j’existe ! Sans exagération et sans agenda autre que mon droit d’être là. Oui, ça serait ridicule que je sois gouverneure générale, mais ce ne serait pas à cause de mon orientation sexuelle !

Dans le cas de Dragon Age (je vous lâche avec ça bientôt, promis), le ridicule n’est qu’encore plus exagéré quand on connait réellement la série et qu’on sait qu’on peut y jouer des personnages queers depuis le début. En plus, les jeux, les livres et les bandes dessinées, que j’ai avidement consommés, contiennent tous une belle et grande diversité de personnages. Pff, fake gamer boys.

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Quand un sujet me chicote, j’essaie habituellement de comprendre le point de vue des autres, mais je dois avouer que celui des dénonciateurs et dénonciatrices de la culture woke me laisse plus que perplexe.

On est loin d’en être à notre première panique morale face à un « envahissement » des idées progressistes.

On est loin d’en être à notre première panique morale face à un « envahissement » des idées progressistes. On a eu droit à la peur du politiquement correct dans les années 2000 et 2010, puis à celle de la cancel culture dans les dernières années. Dans les deux cas, alors que certains médias se régalaient des mêmes histoires marginales prouvant, selon eux, les dérives de la gauche, on observait une réelle montée des idées d’extrême droite. Chaque fois, on critique les groupes dénonçant des violences et injustices vécues et on traite leurs demandes comme des attaques. Je ne nie pas que des excès existent, mais je suis frustrée qu’on les équivaille aux violences de l’extrême droite.

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Peut-être que le cerveau humain est fait comme ça. On n’aime pas la critique, et on craint le rejet, alors peut-être que se faire traiter de raciste nous fait vraiment plus peur que les conséquences de notre racisme. Peut-être que si on est pas conscient.e de ce qui irrite quelqu’un, sa colère va nous sembler excessive. Sauf que je ne comprends pas qu’on ne pousse pas la réflexion plus loin. Pourquoi les grands dénonciateurs et dénonciatrices de la wokitude ne se demandent pas pourquoi les gens sont fâchés comme ça ?

Sur ce, Dar’eth Shiral.