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Depuis #MeToo, les porcs sont « féministes »

En partenariat avec la ZEP (Zone d’Expression Prioritaire).

Par
La ZEP
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Ce récit provient des ateliers d’écriture animés par les journalistes de la Zone d’Expression Prioritaire (la ZEP), un média qui accompagne l’expression des jeunes pour qu’ils et elles se racontent en témoignant de leur quotidien et de toute l’actualité qui les concerne.

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J’ai rencontré un garçon l’année dernière dans la coloc de ma meilleure amie, Mouna. C’était la folie. Je ne comprenais plus ce qu’il se passait dans ma tête, dans mon corps. Il était fougueux, intelligent et il parlait bien.

« Je suis le plus féministe de mes potes, j’ai grandi avec mes sœurs et ma meilleure pote, je les respecte trop » ; « Ça me dégoûte le comportement des vieux mecs » ; « J’ai un cœur tout mou moi, je prends les causes des femmes super à cœur. »

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C’est allé très vite, tellement vite que mes émotions me faisaient nier la réalité. J’oubliais les gestes déplacés, les mots, et les actes non consentis, arrivés dès le début.

Ma vie sexuelle a commencé l’année de l’affaire Weinstein. Avec #MeToo, je pensais savoir à quoi m’attendre en tant que femme. J’ai grandi dans ce mouvement, dans la vigilance et la révolte. Comme on apprend les valeurs de la famille ou de l’école, j’ai assimilé les valeurs du féminisme. C’est rassurant d’avoir la possibilité de s’exprimer, et de voir ces valeurs s’ancrer réellement dans les discours de tous. Je pourrais presque y croire… si je n’avais pas vu, tous les jours, les hommes agir à l’encontre de leurs paroles.

Beau garçon, belles paroles

Ce garçon a donc très vite enchaîné les « petites bourdes » pour moi, et les « agressions sexuelles » selon ma meilleure pote. Pourtant, ça relève de l’évidence, non ? Lorsqu’on a des relations sexuelles non protégées, il faut se retirer à temps. Du haut de ses 21 ans et façonné par son éducation féministe, il a seulement su me répondre : « Ah bah j’sais pas, je croyais que tu prenais la pilule. »

Je me disais : « Ce n’est pas grave, ça peut arriver. » Je pensais qu’il avait compris l’importance de cet acte, si bref qu’il soit, et les conséquences sur mon corps. Je lui faisais confiance, mais ça s’est reproduit plusieurs fois, avec des excuses différentes. Quand je le mettais face à ses bêtises, la négociation prenait des heures. Oui, il parlait bien. D’ailleurs, j’ai pas mal pris la pilule du lendemain. Seule. Le phénomène #MeToo me paraissait alors lointain, ou bien comme s’il n’existait plus, seulement pour moi.

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Mouna tentait de me raisonner. Elle était en larmes, révoltée, quand moi je ne ressentais pas un quart de sa colère. Les colocs ont fini par être au courant. Cette histoire a pris une ampleur médiatique. Tout le monde donnait son avis, mais là sur ma vie. « Mouna tu en fais trop » ; « Rho c’est bon il était défoncé aussi » ; « C’est leurs histoires », et moi qui ne disais rien… qui ne savais plus.

Cinq ans de hashtag, pour ça ?

En rétrospective, #MeToo me fait l’effet d’un beau discours. Alors, j’ouvre, moi aussi, un pamphlet de cinq ans d’âge, en espérant ne rien avoir à rajouter post-scriptum.

Je me rappelle de ce réveil. De moi pétrifiée, et des caresses d’un inconnu dans mon entrejambe. Il y avait deux potes à moi dans cette chambre. Quand je leur ai raconté ce qu’il s’était passé, ils ne criaient pas, ne se révoltaient pas comme Mouna. C’était des mecs « conscients », ils me parlaient de #MeToo, mais d’après leurs échanges avec le type, il était « somnambule ». Puis, au-delà de ça, c’est juste qu’il « ne savait pas y faire avec les filles ».

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Il y a eu Maxence aussi, le flirt que je voyais tous les étés, qui a pris mes « non » comme des défis, et m’a laissée avec des bleus sur le corps. Pourtant, il avait soutenu son ex dans des épreuves compliquées, l’hypersexualisation, l’avortement… m’enfin.

Mon amie Louise en a aussi vécu des tas, des agressions. Elle a rencontré un type féministe, rassurant, paternel. Chez lui, un soir, il lui a confisqué son téléphone, et est devenu sexuellement violent. Je me rappelle qu’elle m’a écrit : « Soit je me barre en courant, soit j’accepte et je ferme les yeux. »

Et mon coloc Louis, qui trouvait les hommes virilistes et sexistes, et qui postait des photos de son ex sur des comptes X.

Etc.

Une armure féministe

Toutes ces injures, ces invitations sexuelles, ces mots déplacés. Les agressions, les viols. Si tout ça n’avait été commis que de la main d’un seul pote, d’une seule connaissance, d’un seul collègue. S’ils n’avaient pas la télé, les réseaux, et s’ils ne vivaient pas dans notre ère… Peut-être serions-nous tolérantes, mais les témoignages s’accumulent, alors combien de temps allons-nous encore les excuser ?

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C’est comme si un nouvel accessoire avait été créé : l’armure féministe. Ils l’enfilent à leur gré, la survendent, la subliment. Toutefois, quand la porte est fermée et les micros éteints, ils la planquent dans l’armoire, et mes sœurs et moi finissons abîmées. Une conspiration bien ficelée, un feminist washing. #MeToo, qui devait nous délivrer du mal, voit maintenant naître des porcs démagogues plus sournois que leurs ancêtres.

Marine, 22 ans, volontaire en service civique, Paris.