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De Lethal Weapon à The Nice Guys : le plaisir de redécouvrir les films de Shane Black
C’est de plus en plus difficile de rester au courant de tout ce qui se passe dans la culture populaire en 2022. Peu importe le nombre d’heures investies devant notre télévision, les films, les séries et les plateformes de visionnement en ligne semblent se multiplier au-delà de nos moyens financiers et de notre capacité à leur prêter attention.
Investirez-vous votre temps dans la kyrielle de séries dérivées de Star Wars ou celles de Marvel ? N’oubliez pas les nouvelles saisons de Ozark ou After Life sur Netflix ! Le temps de votre réécoute annuelle de The Office serait-il venu ? Peu importe vos choix, un gouffre continue de se creuser entre vous et les communautés dédiés aux divertissements que vous avez choisi de ne pas regarder. Depuis quand c’est devenu aussi anxiogène, regarder la télé ?
Afin de ne pas continuellement courir sur le tapis roulant des nouveautés télévisuelles et cinématographiques, je prends une pause toutes les six semaines environ, question de regarder des séries et films que j’ai déjà vus et appréciés et de me donner un peu de perspective sur les obus créatifs que le canon culturel crache semaine après semaine.
Aujourd’hui, j’ai décidé de faire cet exercice avec vous. On prend un break de nouveautés pour apprécier ou réapprécier l’héritage cinématographique de Shane Black.
C’est qui, lui, et pourquoi est-ce qu’il devrait m’intéresser ?
Shane Black, c’est le gars qui a écrit plusieurs de vos films préférés : Lethal Weapon (les deux premiers), Iron Man 3, les films cultes The Long Kiss Goodnight, The Last Boy Scout et Kiss, Kiss, Bang, Bang, The Predator et l’immense The Nice Guys.
Vous ne le connaissez peut-être pas, mais vous avez ri de ses blagues et répété ses répliques à vos ami.e.s ad nauseam depuis environ trente ans. Vous l’avez aussi vu à l’écran à quelques reprises, dont lors du film Predator, mais vous étiez probablement trop occupé.e à regarder un Arnold Schwarzenegger très huilé tirer du gun et chercher un extraterrestre invisible dans la jungle sud-américaine pour le remarquer.
Ce qui rend l’écriture de Shane Black si unique et savoureuse, c’est le mélange d’influences : les antihéros torturés des romans de détectives de Raymond Chandler et Mickey Spillane, l’action à grand déploiement des films de John McTiernan, les apartés qui « brisent le quatrième mur » des réalisateurs de la nouvelle vague française, etc.
Tout ça crée un mélange homogène qu’on appelle aujourd’hui les buddy cop movies : ces comédies où deux protagonistes qui ne se connaissent peu ou pas sont chargés de résoudre un crime aux enjeux beaucoup trop extrêmes pour leur chèque de paye. L’exemple canonique est, bien sûr, Lethal Weapon : un film dans lequel le jeune policier veuf et dépressif Martin Riggs (Mel Gibson) et le vieux routier en fin de carrière Roger Murtaugh (Danny Glover) doivent résoudre une enquête qui les mène face à une organisation paramilitaire.
[Les films de Shane Black] sont des contes de cape et d’épée contemporains avec des détectives et des policiers blasés qui jouent à reculons le rôle de preux chevaliers.
Si Black a acquis une réputation aussi enviable auprès des cinéphiles, c’est pour ses films subséquents et un peu moins connus : The Long Kiss Goodnight et The Last Boy Scout, qui passaient invariablement trois fois par an sur TQS dans les années 90. Le second en particulier vaut vraiment la peine d’être revu et réapprécié à sa juste valeur. C’est un film complètement fou à propos d’un joueur de football drogué jusqu’aux yeux qui utilise une arme à feu pour descendre ses adversaires en plein match.
The Last Boy Scout est un excellent exemple de ce qui fait le charme des films de Shane Black. Ils sont agressivement divorcés de toute forme de réalisme. Ils se déroulent dans une sorte d’univers parallèle où le monde est aussi dangereux que le prétendent les manchettes du Détective Magazine, mais aussi, où un badge de police et de bonnes intentions semblent magiquement protéger de l’effet des balles. Ce sont des contes de cape et d’épée contemporains avec des détectives et des policiers blasés qui jouent à reculons le rôle de preux chevaliers.
The Nice Guys : le chef d’oeuvre ignoré
À Hollywood, c’est difficile de faire LE film qu’on veut vraiment faire. À moins d’être à la tête d’un studio, il faut avoir connu beaucoup de succès et avoir enrichi beaucoup de monde. C’est exactement ce que Black a fait après avoir tout cassé avec Iron Man 3, encore aujourd’hui classé 21e film le plus profitable de tous les temps.
Il s’est payé LE trip créatif d’une vie.
The Nice Guys, c’est l’histoire du détective privé Holland March (Ryan Gosling) et du fier-à-bras vieillissant Jackson Healy (Russell Crowe), qui se retrouvent malgré eux, dans les années 70, à la recherche d’une jeune femme disparue dans des circonstances impliquant un film porno et une conspiration gouvernementale.
Les raisons pour lesquelles The Nice Guys est un chef-d’œuvre sont multiples, mais l’époque à laquelle le film se déroule n’est pas étrangère à son magnétisme. Le film est situé dans un Los Angeles laid, corrompu, constamment en construction et en proie aux développeurs urbains sans vergogne. On y parle de l’érosion du rêve américain, de la dérive des valeurs d’après-guerre et de corruption corporative. Bref, des thématiques qui sont tout aussi pertinentes aujourd’hui. Le tout est bien sûr agrémenté d’un humour acerbe parfois philosophique, parfois situationnel.
On y parle de l’érosion du rêve américain, de la dérive des valeurs d’après-guerre et de corruption corporative.
The Nice Guys révèle aussi l’immense talent de Ryan Gosling comme acteur comique. Ce dernier est habituellement engagé pour des rôles de batailleurs stoïques qui livrent d’aussi importantes batailles intérieures qu’extérieures, mais il vole la vedette dans le rôle du détective privé pas très talentueux. Le film confirme que Gosling est beaucoup plus qu’un beau visage et quelques répliques bien placées. Son talent naturel pour l’humour burlesque dépasse celui de bien des acteurs qui ont fait leur nom avec des comédies.
Le film n’a malheureusement pas fait de vagues au box-office à sa sortie en 2016 parce que… les gens auraient préféré aller voir Angry Birds 2 à la place ? Cet échec aura relégué rapidement (et injustement) le film aux services de visionnement en ligne et tué dans l’œuf tout projet de suite. S’il y a une leçon à en tirer, c’est qu’il est de plus en plus difficile de lancer des projets originaux dans une culture dominée par des suites, des remakes et des adaptations de franchises déjà connues.
Je vous suggère très fortement de vous faire un marathon de films de Shane Black en fin de semaine. L’exercice vous donnera une perspective sur une façon d’écrire et de réaliser des films qui se fait de plus en plus rare à Hollywood, mais qui devrait vraiment revenir.