Il était une fois, une jeune portoricaine originaire du Bronx qui, à force de travail et de persévérance, gravit les échelons de la célébrité.
Un jour, elle tomba amoureuse d’un acteur avec qui… elle ne se maria pas (pour le moment).
Après trois unions matrimoniales, dont une qui lui donnera deux enfants, le chemin doré de la désormais chanteuse, actrice et femme d’affaires recroisa celui de son prince de jadis.
Au terme de plusieurs mois de fréquentation, 18 ans après la fin de leur première relation, les tourtereaux se passèrent la bague au doigt le 16 juillet 2022 à Las Vegas, sous le regard ébloui du monde entier.
Il était une fois Jennifer Lopez et Ben Affleck, alias Bennifer, prise 2.
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De J. Lo à J. Aff
« C’était le meilleur mariage que nous aurions pu imaginer », écrivait dernièrement la nouvelle mariée dans son infolettre On The JLo, dans laquelle elle donnait accès aux coulisses de la cérémonie.
Pour l’état civil, Jennifer Lopez est désormais Jennifer Affleck.
Si le monde entier avait les yeux rivés sur cette union digne d’un conte de fées, une annonce subséquente de la chanteuse en a surpris plus d’un.e. En effet, Jennifer Lopez a conclu son récit adressé à ses abonné.e.s en le signant avec le patronyme de son mari : Madame Jennifer Lynn Affleck.
De surcroît, sur la licence de mariage du comté de Clark, on peut voir que JLo a officiellement et légalement pris le nom de famille de l’acteur. Pour l’état civil, elle est donc désormais Jennifer Affleck.
Qu’y a-t-il dans un nom?
Quand j’ai lu la nouvelle un peu partout sur les réseaux sociaux, j’ai ressenti un certain malaise, voire une déception. Des fans et des célébrités un peu partout dans le monde ont d’ailleurs critiqué ce choix.
« Je ne peux pas croire que J.Lo a pris le nom de Ben wtf! », « Elle aurait simplement pu ajouter le nom de Ben, avec un trait d’union! », peut-on lire sur sur le web.
« Changer de nom a très peu de sens pour moi », tweetait pour sa part l’humoriste et actrice Katherine Ryan. « Et ça en a ENCORE MOINS quand tu t’appelles Jennifer Lopez. »
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Bien que je crois à la liberté de choisir pour soi-même, une valeur fondamentalement féministe, à mes yeux, prendre le nom de son mari quand on est une femme est un geste suranné qui sous-tend un rapport d’inégalité entre les hommes et les femmes. C’est comme si le fait de délaisser son nom de famille au profit de celui de son époux impliquait non pas l’union de deux personnes à part égale, mais bien l’abandon d’une partie de son individualité, dans une logique fondamentalement patriarcale.
Jusque dans les années 1970, certaines lois d’État obligeaient les femmes mariées à utiliser le nom de leur mari pour voter ou obtenir une carte de crédit.
Pensez-y deux secondes : quand une femme prend le nom de son mari, elle délaisse ce qu’on appelle son « nom de jeune fille ». Suivant cette logique, une femme qui n’est pas mariée n’est pas une femme, elle est une « jeune fille », portant d’ailleurs le plus souvent le nom de son père. Si elle veut changer de statut social, elle doit se marier et prendre le nom de celui qui lui fera accéder à un statut de « femme » aux yeux de la société et de l’état civil. Dit de même, c’est tordu, non?
Si une telle procédure relève aujourd’hui du choix aux États-Unis, et ne fait d’aucune femme une « mauvaise féministe », elle s’inscrit dans les vestiges de la Law Of Coverture, une doctrine selon laquelle la personnalité juridique d’une femme était suspendue au moment de son mariage et se fondait avec celle de son époux.
Jusque dans les années 1970, certaines lois d’État obligeaient les femmes mariées à utiliser le nom de leur mari pour voter ou obtenir un permis de conduire ou une carte de crédit.
Bien qu’il n’y ait pas de fin officielle à la Law Of Coverture, elle s’est progressivement érodée, laissant place à des lois sur la propriété des femmes à partir du milieu du 19e siècle.
En France, chacun des époux conserve son nom après le mariage. Si l’un des partenaires souhaite obtenir le nom de son conjoint, une demande doit être réalisée auprès des services de l’Etat. Ce nom d’usage ne remplace pas le nom de famille qui reste le seul nom mentionné sur les actes de l’état civil.
« Qu’y a-t-il dans un nom? » se demandait Shakespeare. Bien des choses, mon ami !
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I’m still Jenny from the block?
« L’idée de prendre le nom de famille d’un mari m’a toujours mis mal à l’aise, me rappelant The Handmaid’s Tale [La servante écarlate] », écrivait récemment l’écrivaine, productrice et journaliste américaine Jennifer Weiner dans Why It Matters That J. Lo Is Now J. Aff, paru dans le New York Times. « [Dans le roman] de Margaret Atwood, les servantes […] sont dépouillées de tout ce qui les identifie en tant qu’individus, y compris leurs noms. Elles répondent alors du prénom de leurs commandants : Offred [Defred], Ofglen [Deglen], Ofwarren [Dewarren]. »
Dans son article d’opinion, Jennifer Weiner fait valoir le caractère significatif de la décision de Jennifer Lopez, particulièrement dans un contexte de grande précarité pour les droits des femmes aux États-Unis.
Certes, entre l’invalidation de l’arrêt Roe v. Wade par la Cour Suprême américaine, les prises de conscience découlant du mouvement #MeToo et la mise en péril anticipée de l’accès à la contraception et au mariage pour les partenaires de même sexe, la démarche de l’interprète de Jenny from de block peut sembler insignifiante. Mais selon Weiner (et selon moi), elle est pourtant lourde de sens.
Les femmes qui gardent leur nom sont perçues comme « portant les culottes » dans le couple, tandis que leurs maris sont perçus comme moins masculins.
Selon la Dre Rachael Robnett, professeure associée en psychologie à l’Université du Nevada à Las Vegas citée dans l’article du New York Times, le choix de la nouvelle Madame Affleck vient appuyer « le statut et le pouvoir accrus des hommes dans les relations amoureuses, mais aussi dans la société ». Par ailleurs, seulement 20 % des Américaines ont conservé leur nom de jeune fille ces dernières années, selon une analyse de 2015 de The Upshot.
Par ailleurs, en 2016, la Dre Robnett a interrogé des étudiant.e.s de premier cycle sur leurs perceptions des femmes qui changent ou non de nom de famille une fois mariées. La chercheuse a découvert que les femmes qui gardent leur nom sont perçues comme moins engagées dans la relation et comme « portant les culottes » dans le couple, tandis que leurs maris sont perçus comme moins masculins.
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Le privé est politique
Quand j’étais adolescente, j’écoutais beaucoup J. Lo. Je trouvais qu’elle véhiculait une image de femme forte, indépendante, libre. Elle était « in control and loving it » [Traduction libre: « En contrôle et fière de l’être »], comme elle le chantait dans Jenny From the Block il y a 20 ans.
Cette trajectoire de femme publique en pleine possession de ses moyens et de son corps et qui ne s’excuse pas de son succès joue assurément sur la dissonance cognitive qui m’habite depuis l’annonce de J. Aff.
Comme le suggère Jade Biggs dans Cosmopolitan, et si c’était Ben Affleck qui avait pris le nom de sa femme? Si l’acteur s’appelait désormais Ben Lopez, cela aurait constitué à la fois une grande déclaration d’amour à sa fiancée et un geste de soutien aux femmes, qui en ont plus que jamais besoin. Imaginez le statement que ça aurait fait!
J’en conviens, prendre le nom de son mari est une décision individuelle qui relève du choix personnel. La moitié féminine de Bennifer est libre de le faire. Mais comme le martelaient les militantes féministes des mouvements de libération des femmes dans les années 1970, « le privé est politique ».
Et à en croire les reculs majeurs des droits des femmes auxquels on assiste actuellement, c’est plus vrai que jamais.