On me demande parfois pourquoi je regarde encore la Star Academy en 2025. Je serais tenté de répondre qu’Ebony virevoltant comme à la grande époque de Kamel Ouali m’enchante, mais je préfère dire que c’est un prétexte fascinant pour analyser l’évolution des mentalités.
Regarder aujourd’hui ce télé-crochet permet de mesurer les transformations dans la perception de la victoire ou dans les dynamiques entre académiciens.
En 2021, une génération plus lucide sur l’impact d’un sacre à la Star Ac apparaissait, les élèves visant par exemple une carrière de coach vocal. L’an dernier, les candidats d’une Gen Z bienveillante acclamaient sans réserve les succès de chacun. Ce contraste rappelle les repêchages d’il y a 20 ans, où Georges-Alain annonçait froidement un prénom, loin des discours touchants de maintenant : « Vous savez à quel point je vous aime tous les deux, mais ce soir je vais sauver Helena. »
Dans les premières éditions, Jenifer était définie par son 90C, Élodie — alors boulimique — critiquée pour « des bourrelets sous les fesses ». Les femmes, réduites à des rivales (Nolwenn vs Emma, Élodie vs Sofia), s’affrontaient en demi-finales non mixtes. La sororité était absente du « battle of the sexes » final imposé.
Progressivement, la compétition est devenue moins genrée : en 2006, trois chanteuses accédaient à la demi-finale. Mais dès l’année suivante, ce qui avait été perçu comme un déséquilibre — trois filles ! — s’inversait : Claire-Marie se retrouvait face à trois candidats masculins.
Si l’on associe souvent ses vainqueurs à une Sainte Trinité féminine (Jenifer, Nolwenn, Élodie), en réalité, les hommes ont récolté les lauriers. Grégory Lemarchal et Pierre Garnier ont marqué l’histoire de la Star Ac. Et surtout, il y a toujours eu un ou deux garçons de plus parmi les élus qui entonneraient leur hymne dans la tournée des Zéniths de Pau ou Dijon.
Mais cette année, la tendance s’inverse — au grand dam de certains.
Lors de l’élimination surprise d’Emma en novembre, Ulysse et Franck avouaient voter pour Masséo, non pour son talent, mais pour rééquilibrer la présence masculine au château. À cet instant, la France découvrait l’existence d’un boys club à Dammarie-lès-Lys.
Pourtant, si le casting initial était équilibré entre les genres, ce sont les candidates qui se sont démarquées par leurs talents et leurs personnalités. L’an dernier, Clara semait des graines de « body positive », célébrant la beauté de son corps hors des standards dominants. Cette année, son héritage a fleuri dans une nouvelle figure emblématique de l’émission : Marguerite.
En portant un féminisme assumé, Marguerite a marqué les quotidiennes de TF1. Elle a tourné en dérision la supériorité numérique des candidates après plusieurs éliminations masculines : « Le simple fait de ne pas être un homme, ça aide à faire des choses géniales ! »
Lors d’une évaluation, cette fan de drag queens a choisi d’interpréter « Drôle d’époque » de Clara Luciani : « Tantôt mère nourricière / Tantôt putain vulgaire / Conduis-toi comme une femme » Elle a confronté ses colocataires masculins à leurs privilèges, instaurant un plan des tâches ménagères : « Vous croyez que des petits lutins rangent votre linge sale et nettoient votre vaisselle ? » Et quand Ulysse geignait, elle répliquait : « Ouin ouin, c’est trop dur d’être un homme. »
L’humour féministe s’est invité dans les quotidiennes. Marguerite, Maïa et Ebony ont singé la masculinité toxique, raillant le mansplaining et le harcèlement de rue : « Depuis Me Too, j’ai peur d’aborder des meufs. »
Face à la concurrence de real TV calibrées recourant à des candidats rodés à l’exercice, la Star Academy mise, depuis trois ans, sur des profils plus sincères. L’humour féministe de Marguerite ou la bisexualité anodine de Masséo trouvent un public réceptif dans un format pourtant millimétré. Leur authenticité, leur « réalité », créé des moments intenses à l’écran. Le temps où Nolwenn passait pour une rabat-joie en refusant de rire aux blagues sexistes de Houcine est bien loin.
La Star Ac ne se limite plus également à la représentation de romances hétéronormées autrefois valorisées (Jenifer/Jean-Pascal, Sofiane/Sandy…). Marguerite s’est réjouie d’un duo avec Hoshi : « Deux femmes chantant une chanson d’amour l’une pour l’autre : ça me rend tellement heureuse. » Quant au baiser échangé par Maïa et Marine sur une reprise des Bangles, il reste un message admirable adressé aux jeunes LGBTQIA+ regardant TF1 en famille un samedi soir.
Ces évolutions n’excluent pas des tensions. Comme lorsque Marguerite a confronté Charles sur l’idée que les filles du château étaient trop « fragiles » pour leurs « discussions de mecs ». Ce à quoi elle a rétorqué : « Le problème, c’est pas plutôt ce que vous dites ? » Ce dialogue illustre le rejet de rôles subalternes par certaines candidates, tandis que certains apprentis chanteurs, a priori peu sensibles à cette avancée, donnent l’impression de ne pas se sentir concernés.
Un reflet du « modern gender gap » ? Cette fracture de genre observée dans les démocraties occidentales, où les jeunes femmes semblent plus progressistes que les jeunes hommes, et votent majoritairement pour des partis de gauche — comme lors des dernières législatives françaises.
Dans cette saison 12, aucune élève n’avait été sauvée par le public avant la dixième semaine. Lorsque Emma a été repêchée pour la tournée (la première avec plus de filles que de garçons), une vague de haine l’a frappée sur les médias sociaux ; un phénomène qui a épargné ses collègues masculins. TF1 et Endemol ont condamné ce cyberharcèlement et le racisme envers des candidats (candidates ?), rappelant que ces propos étaient punissables par la loi.
Une pétition a même dénoncé la « mysogynoir » en ligne visant Ebony, victime d’un sexisme intersectionnel décuplé pour les femmes noires. Parce qu’elle vit encore au château, elle ignore pour l’instant les insultes racistes à son égard. Toutefois, elle a peut-être pressenti cette réalité en choisissant Franck — l’autre candidat noir — comme adversaire en demi-finale : « Je trouve ça symbolique. » Une manière d’assurer qu’un chanteur noir atteigne la finale de la Star Academy, quel que soit le vote du public.
Malgré quelques biais sexistes persistants — notamment dans certains tableaux genrés sur les primes —, la Star Ac reflète des évolutions majeures de la société : féminisme, visibilité LGBTQIA+ ou remise en cause des privilèges masculins.
Le départ de Marguerite, sur un poème de Prévert (« Qu’est-ce que ça peut vous faire / Je suis comme je suis / Je plais à qui je plais ») et « Corps » d’Yseult, incarne bien le monde post #MeToo. Elle a laissé un message fort : « Le regard des gens j’en ai que faire / Qui sont-ils pour me juger ? »
Si l’on regrette les difficultés subies par certaines candidates, le programme de TF1, en tant que divertissement populaire, contribue à faire progresser les mentalités au quotidien.
La Star Academy 2025 semble avoir franchi un cap : la « battle of the sexes » a laissé place à une partie de la Gen Z qui revendique la diversité et la sororité. Une façon de faire, en réalité, évoluer la société grâce à une émission de télé.