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Dark tourism : les catastrophes écologiques vont divertir les globe-trotteurs de demain
Prendre des selfies en monokinis durant ses congés ne fait plus rêver. Pour se faire remarquer, il faut désormais se mettre en scène dans des paysages dévastés. Ainsi, il y a quelques jours, alors que les températures dans la Vallée de la Mort atteignaient les 56 degrés, des vacanciers se sont pressés en masse dans le parc naturel californien pour immortaliser le pic de chaleur et ont posé – tout sourire – à côté du gros thermomètre qui jouxte l’office du tourisme. Parce qu’apparemment, suer de la sandale en se faisant tirer le portrait devant l’une des températures les plus élevées jamais enregistrées sur la surface du globe est devenue une attraction comme une autre. Et tant pis si le parc a connu sept de ses étés les plus extrêmes au cours des dix dernières années…
Mais cette attitude désinvolte face au tragique, cette fascination morbide pour le buzz et la désolation n’est pas nouvelle, elle porte même un nom : “le tourisme noir” ou “tourisme sensationnel”. C’est ce même phénomène qui a poussé 70 000 personnes en 2018 à mettre leurs compteurs Geiger en mode avion pour explorer Pripyat, la ville fantôme située à 3km du réacteur de Tchernobyl. Une pratique qui a émergé depuis quelques années et pose question. Car si faire exister le devoir de mémoire, même lorsqu’il s’agit d’événements tragiques, demeure indispensable pour sensibiliser les prochaines générations, organiser des excursions macabres dans le but de divertir des estivants en mal d’émotions a un intérêt pédagogique bien plus limité.
Mais avec le changement climatique, il y a pourtant fort à parier que les agences de voyage spécialisées dans les séjours sordides ont malheureusement de beaux jours devant elles. Voici quelques-unes des balades qu’elles pourront peut-être proposer d’ici la fin du siècle.
ESCAPE GAME GEANT à NEW YORK
Depuis le début de l’année, environ 10 millions d’hectares de forêt ont brûlé au Canada (soit 1/5ème de la France hexagonale, ou plus de trois fois la superficie de la région Bretagne). Le pays est d’ailleurs en passe de connaître la pire saison d’incendies de son histoire, avec ces mégafeux dévastateurs, dont l’intensité et la fréquence sont accrues par le réchauffement climatique lié aux activités humaines.
Mais la bonne nouvelle quand des pans entiers de la forêt boréale canadienne partent en fumée, c’est que la ville de New York devient encore plus cinégénique qu’à l’accoutumée. En effet, baignée dans un épais brouillard orangé et envahie d’un air irrespirable, on la croirait tout droit sortie du Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve. Une aubaine pour les amoureux·se du 7ème art, et autres aficionados de science-fiction, qui pourront donc désormais s’amuser à organiser des escape games géants pour traquer les répliquants dans la mégalopole chaque été, à condition de ne pas mourir avant à cause de la pollution…
embarquez pour le 7e continent
Le 7e continent de plastique, s’étend dans l’océan Atlantique sur 1,6 millions de km² (soit environ 3 fois la superficie de la France). Malgré les belles promesses des industriels et des Etats pour réduire le recours au plastique, la quantité de déchets flottants continue d’augmenter. Si bien qu’on estime aujourd’hui que sur les 288 millions de tonnes de plastique produites par an, environ 7 millions finissent dans les océans, et constituent 90 % de la pollution marine. Des détritus qui peuvent mettre jusqu’à mille ans à se dégrader dans la mer, tout en produisant de grandes quantités de gaz à effet de serre…
Mais voyons le bon côté des choses : l’émergence de ces vastes étendues de merdouilles qui macèrent dans l’eau salée est une opportunité entrepreneuriale à saisir ! Puisque la Grèce ne sera bientôt plus qu’un grand brasier à ciel ouvert, inventons dès aujourd’hui l’Acropole de demain : une colline de pneus sur laquelle trônerait fièrement un Parthénon moderne fait de bouteilles à la dérive ! Bref, plutôt que de cracher dans la soupe (de plastique), recyclons la poubelle du Pacifique en attraction touristique.
SAFARI AU MICROSCOPE SUR LE PERMAFROST
Chaque année, des dizaines d’espèces disparaissent de la surface du globe, mais comme la planète est drôlement bien fichue, d’autres organismes vivants prennent le relais. C’est pourquoi la fonte du permafrost en Sibérie, qui promet la résurgence de virus en sommeil (dits “virus zombies”) enfermés dans la glace depuis des millions d’années n’est pas une calamité, bien au contraire ! Bon, d’accord, elle libère aussi des tonnes de méthane qui contribuent à accélérer le réchauffement climatique…
Mais c’est également l’occasion de (re)découvrir de nouvelles sortes de prédateurs bien plus redoutables que des tigres. D’ailleurs, à l’été 2016, une épidémie d’anthrax a déjà touché des dizaines de personnes et plus de 2.000 rennes dans la péninsule de Yamal, après le dégel de carcasses d’animaux qui contenaient un bacille qu’on pensait pourtant disparu depuis 75 ans dans la région. De quoi ravir les amoureux·se de la nature qui pourront se consoler de l’extinction des orangs-outans ou des éléphants en se rendant au nord de la Russie pour admirer au microscope l’émouvante parade amoureuse de la variole.
GROS BARBEUC À CARNAC
Que pèsent 4000 menhirs et dolmens face à la perspective réjouissante d’une immense pierrade en plein cœur du Morbihan ? Pas bien lourd, assurément. Alors militons dès maintenant pour reconvertir le site de Carnac, qui réunit la plus grande concentration de mégalithes au monde, en restaurant de grillades. Après tout, dans 30 ans, personne n’en aura plus rien à cirer de percer le mystère des pierres levées ou de préserver un obscur sanctuaire de l’époque néolithique qui pourrait tout aussi bien avoir été un parking pour chevaux. Alors qu’avec l’inflation, la hausse constante du prix de l’énergie et les canicules qui s’annoncent : pouvoir faire cuire des chipos à même la roche sans dépenser un demi loyer en électricité fait déjà saliver…
CHASSE AUX TRÉSORS AU COEUR DE PARIS
Partout en Europe, les fleuves qui traversent les grandes métropoles s’assèchent. Ainsi la Tamise, le Danube, mais également le Rhin ou encore la Loire et La Garonne, ont vu le niveau de l’eau baisser de manière exceptionnelle ces dernières années. Si la Seine ne semble pour l’instant pas subir le même sort, gageons qu’elle finira elle-aussi par se vider et dévoiler progressivement tous ses précieux trésors, même s’il faudra dire adieu à Paris Plage au passage. Des vélibs engloutis aux boules de pétanque qui auraient pu emporter la victoire si elles n’avaient pas atterri au fond de l’eau, en passant par la dignité de l’ancien préfet Lallement : les vestiges de notre civilisation attendent patiemment de réapparaître à la surface. Et puis qui a besoin de céramiques gallo-romaines défraîchies, quand on peut exhumer des éco-cups en parfait état de conservation ?