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Dans les griffes de Ménès

« C’est reparti pour un « Bonjour chérie », une main au cul et moi qui n’ouvre pas ma gueule. »

Par
Anonyme
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Il y a quelques années, j’ai eu la chance de travailler sur le plateau du Canal Football Club et du Canal Rugby Club en tant qu’assistante, tous les week-end.

Il ne s’agissait que d’un travail alimentaire, mais c’était pour moi l’occasion de mettre un pied dans ce milieu qui me faisait rêver, celui de la télévision et du journalisme.

Je me suis vite intégrée à l’équipe, tant à celle des assistants qu’à celle des consultants.

Ces personnalités publiques que vous connaissez tous, ou dont vous avez au moins entendu parler : Hervé Mathoux, Laure Boulleau, Dominique Armand, Habib Beye, Sébastien Chabal et… Pierre Ménès, pour ne citer qu’eux.

Tous sympathiques, pas trop « gros melons », tous, sauf un. Ménès.

Après plusieurs dimanches à le côtoyer et à le saluer de loin pour lui dire bonjour et au revoir, comme avec tous les autres consultants, le jour est arrivé où il a voulu me faire la bise. Rien de trop anormal ni d’alarmant sur le coup.

Ce jour-là, il s’approche donc et me dit « Bonjour chérie » en me faisant longuement la bise tout en descendant sa main un peu trop bas dans le dos.

« Je suis sous le choc, je ne dis rien. »

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Je suis sous le choc, je ne dis rien. A l’intérieur de moi, je bouillonne. Comment a-t-il osé ? On ne se connait pas, et même si on se connaissait, ça ne changerait rien. Pour qui se prend-il ?
Et puis, je m’en veux de n’avoir rien dit, je me sens lâche. Mais j’arrête vite d’y penser, et le travail reprend, comme s’il ne s’était rien passé.

La semaine suivante, je me dis que je vais essayer de l’éviter, comme ça il n’y aura pas de problème. C’est mal le connaître.

C’est reparti pour un « Bonjour chérie », une main au cul et moi qui n’ouvre pas ma gueule.

À peine arrivée sur le plateau, il me fait un signe de la main me demandant de venir le voir. Je pense naïvement à une demande professionnelle, un besoin urgent… mais non. C’est reparti pour un « Bonjour chérie », une main au cul et moi qui n’ouvre pas ma gueule. Quel courage.

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Ne croyez pas que je sois la seule « chérie » de Pierre Ménès. Je l’ai vu des dizaines de fois reproduire le même schéma avec d’autres filles. Mais personne n’a jamais rien dit « parce que c’est Ménès, ça sert à rien, tu sais ».

Il m’a fallu attendre la troisième main au cul pour réussir à lui dire d’arrêter de descendre sa main si bas. Et encore, je lui ai dit gentiment à voix basse, et lui m’a répondu « Oh ça va ! ».

Lorsque l’on m’a proposé de travailler sur 19H30 PM, l’émission de Pierre Ménès (qui n’a pas duré longtemps), j’ai accepté. Je n’ai pas tellement pensé à lui, mais plutôt à moi, à l’entrée d’argent supplémentaire que cela pourrait engendrer. La prochaine fois, j’y réfléchirai à deux fois.

Les premières émissions se passent bien. Mon travail est le même que sur les autres émissions, il y a des gens que je connais, je me sens bien. Un jour, alors que je viens d’arriver sur les lieux, ma supérieure me demande si je peux lui rendre un service. Il faudrait que j’aide la nouvelle stagiaire à apporter des plateaux de friandises dans la loge de Pierre Ménès.

Je ne suis pas ravie de cette demande, mais le boulot c’est le boulot, je ne bronche pas.

Dans la loge, Pierre Ménès est seul, assis avec nonchalance sur le canapé. Nous entrons avec chacune un plateau dans les mains. C’était sans compter sur l’agilité de ma coéquipière qui trébuche et renverse tout le contenu de son plateau sur le sol, désormais jonché de Malabars, Twix et autres bonbons.

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Elle décide d’aller chercher un récipient, tandis que je m’accroupie pour ramasser les bonbons au sol.

Depuis mon entrée dans sa loge, je n’ai pas regardé Ménès une seule fois, je lui ai simplement adressé un « Bonjour » resté sans réponse en entrant dans la pièce.

Alors que je suis accroupie, à un mètre de lui, j’entends : « Ah t’es vraiment une bonne salope toi, tu aimes ça t’agenouiller devant les hommes ».

Je suis choquée. Encore une fois.

Je me lève et je pars en courant.

Aujourd’hui, si j’écris ces lignes c’est parce que la peur est partie, mais la colère revenue.

Je n’ai pas les mots pour vous décrire ce que je ressens à ce moment-là. C’est un mélange de colère, de peur, d’humiliation…

Aujourd’hui, si j’écris ces lignes c’est parce que la peur est partie, mais la colère revenue.

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Il y a quelques années, lorsque cette scène s’est déroulée, je n’ai pas eu la force, le courage ni la détermination de parler et d’expliquer ce qu’il m’était arrivé. Pourquoi ? Parce que durant toute ces années à travailler sur ces émissions, vous n’imaginez pas le nombre de fois où j’ai entendu cette phrase : « Ah mais laisse tomber, ça sert à rien, c’est Ménès ».

Oui, et alors ? Parce qu’il est connu, réputé dans ce milieu et parce qu’il rapporte de l’argent à une grosse chaîne de télévision, il a tous les droits ? Il peut tout se permettre ?

Ce n’est pas normal qu’un homme se sente si puissant qu’il s’octroie même le droit de harceler des femmes. Car s’il le fait, c’est parce qu’il sait qu’il sera protégé et qu’il ne risque rien.

On dit souvent : « Si quelqu’un m’avait fait ça, je l’aurais dénoncé ». Je le disais aussi avant de me retrouver dans cette situation que je n’ai pas su gérer.

Aujourd’hui j’espère que je serai capable de réagir autrement, je pense que oui. Merci #BalanceTonPorc et #MeToo, entre autres.

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Mais j’espère surtout ne pas avoir à le faire. J’espère (naïvement peut-être) que les choses vont changer, que les Pierre Ménès de ce monde vont se rendre compte de ce qu’ils font subir aux femmes. Et que les femmes comme moi continueront à dénoncer ces agissements, quels qu’ils soient.