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Dans les bidonvilles, un accès aux soins pavé d’obstacles

On a suivi des médiateurs santé auprès des familles roumanophones des bidonvilles de Stains ou Antony.

Par
Audrey Parmentier
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Les enfants s’activent à un rythme presque militaire. Une dame plus âgée, balai en main, nettoie les recoins d’un petit baraquement. Les petites filles suivent la cadence. Une fois la salle lustrée, les tables et les chaises sont replacées de façon à constituer un bureau. C’est celui de Javid, médiateur en santé à l’ONG humanitaire Première Urgence Internationale. Le mardi après-midi, il se rend au bidonville d’Antony – à cheval entre l’Essonne et les Hauts-de-Seine – en binôme avec Marion. L’objectif : tisser un lien entre les familles roumanophones et le système de santé français, duquel elles sont éloignées. Au total, 70 familles occupent le terrain vague, en cohabitation avec la poussière et les rats. « Regarde, il m’a mordu la cheville », se plaint Maria*,10 ans, dans un français impeccable.

Avant de s’installer, Javid entame un petit tour du bidonville : « Tu passes me voir au bureau ? », demande-t-il à quelques familles qui le connaissent bien. L’association est présente sur le site d’Antony depuis février 2022. Le métier de médiateur en santé sert de trait d’union entre ces populations fragilisées et les structures de droit commun comme les hôpitaux, les centres municipaux de santé ou encore la CPAM (Caisse primaire d’assurance maladie). Sur le site d’Antony, plusieurs acteurs de santé ont été sollicités pour les encourager à faire des sorties conjointes ponctuelles : PMI, CH de Longjumeau, et des partenaires associatifs. « D’après les pouvoirs publics, au moins 22 189 personnes vivent dans ces formes d’habitat en France métropolitaine », révèle un rapport publié en 2022 sur les bidonvilles.

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Diabète, hypertensions… des maladies liées à la précarité

Barrière de la langue, stigmatisation, précarité… Les raisons à leur exclusion du parcours de soins ne manquent pas. Mais ce n’est pas tout : le changement régulier de lieu de vie, à cause des expulsions à répétition décidées par les autorités, renforce leur mise à l’écart. Entre le 1er novembre 2020 et le 31 octobre 2021, 1 330 expulsions ont été recensées en France métropolitaine, ce qui représente, en moyenne, 472 personnes expulsées par jour, selon le rapport annuel de l’Observatoire des expulsions (2020-2021), publié par le collectif RomEurope. Malgré ces difficultés, les médiateurs santé font leur possible, en mettant en place une politique « d’aller vers » ces populations précaires, un outil qui existe depuis une trentaine d’années et désormais encouragé par le gouvernement.

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Assise en face de Javid, Elena tient son bébé de neuf mois sur les genoux. Elle ne parle pas un mot de français. Le médiateur lui demande via une autre personne à quand remonte son dernier rendez-vous à la Protection maternelle infantile (PMI). Sourire gêné. Son interlocuteur comprend qu’elle n’y a jamais été, son bébé n’est donc pas vacciné. Après un coup de fil à la PMI d’Antony, la jeune femme obtient un rendez-vous pour vendredi. Derrière Elena, une femme plus âgée patiente. Elle souhaite obtenir un rendez-vous médical pour son mari qui souffre de maux de ventre. Dans un contexte de grande précarité, la santé de ces populations se fragilise. « En plus des autres pathologies, elles connaissent plus que les autres des problèmes de santé liés au diabète ou à l’hypertension », souffle Marion.

Au-delà de l’accès aux soins, il s’agit également de les aider à comprendre la machine administrative française. Une pile de papiers les mains, Javid explique à David d’où vient sa facture de 2300 euros à l’AP-HP parisien, contractée en novembre 2020, faute d’assurance-maladie. En avril dernier, l’établissement de santé a refusé d’opérer son enfant malade à cause de ses dettes. « J’ai contacté l’Allemagne ( la sécurité sociale ) où son fils a transité et il était toujours couvert là-bas, donc ils acceptent de rembourser les frais », sourit le médiateur qui connaît bien le monsieur.

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La croix et la bannière pour une couverture maladie

La couverture maladie est la priorité des médiateurs santé. À l’entrée du bureau improvisé, un schéma en roumain déroule l’intérêt et la procédure nécessaire pour obtenir l’aide médicale d’Etat (AME). Cette dernière est réservée aux étrangers en situation irrégulière présents depuis au moins trois mois sur le territoire. Souvent limité, l’accès à la domiciliation fait partie des principaux obstacles, alors que le statut juridique français du bidonville donne ce droit aux gens qui y vivent. La domiciliation permet aux personnes sans domicile stable et sans adresse postale d’avoir accès à un ensemble de prestations et de droits fondamentaux nécessitant la détention d’une telle adresse. Que ce soit à Antony ou ailleurs, beaucoup attendent la délivrance de leur carte AME, faut de pouvoir obtenir une carte vitale, accessible aux personnes en situation régulière et qui travaillent (ou ont travaillé en France).

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À une quarantaine de kilomètres, sur le bidonville de Stains, Marius, arrivé en France il y a deux ans, découvre les rouages du système français. En échange de ses médicaments pour soigner sa varicelle, l’homme de 28 ans a été obligé de débourser 50 euros lors de son passage aux urgences. Sans compter les discours racistes, entendus dans un hôpital parisien, où il va une première fois, avant d’être pris en charge ailleurs. Terrassé par la chaleur et la maladie, il se remet doucement : « J’ai autant de force qu’un bébé » soupire-t-il, le corps criblé de boutons. Olivia, médiatrice santé chez Médecins du Monde, lui rédige une attestation de présence pour pouvoir ouvrir ses droits et déposer une demande d’AME.

Contrairement à Première Urgence Internationale, pas de bureau installé à la va-vite, mais une liste bien précise de personnes qu’Olivia veut voir. La jeune femme qui parle roumain fait du porte-à-porte sur ce bidonville comportant 300 personnes. Elle est accompagnée de Bernard, médecin généraliste, bénévole, qui réalise des consultations sur place.

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Un suivi difficile chez les femmes enceintes

A l’intérieur d’une petite cour, un adolescent et sa mère se plaignent de douleurs à l’oreille. Le diagnostic est rapide : la femme assise sur une chaise en plastique a un bouchon de cire. Rien de grave, sauf qu’il faut consulter pour le faire retirer. Elle refuse. « Parfois, le lien de confiance n’est pas facile à tisser, il faut plusieurs rencontres avant que ça fonctionne, et cela s’inscrit sur le long terme », souligne Olivia. À côté d’elle, une jeune femme enceinte, le ventre déjà bien arrondi. Pourtant, elle ne bénéficie pas de suivi gynécologique. Les yeux rieurs, elle dit avoir une consultation à la PMI de Stains le lendemain. Olivia lui propose de lui donner son numéro, afin de l’aider à s’y rendre. Elle décline pour le moment en déclarant pouvoir y aller seule. Cette dame fera partie des personnes à revoir la semaine suivante.

« Depuis 30 ans, il y a une politique d’expulsions et de ségrégations, ce qui ne fait qu’engendrer la défiance vis-à-vis de tout ce qui ressemble de près ou de loin à une institution », renchérit Clément Etienne, coordinateur du programme bidonvilles de la mission banlieue de Médecins du Monde, en Seine-Saint-Denis. D’après une étude réalisée par l’association en 2007, neuf femmes roms sur dix n’étaient pas suivies pendant leur grossesse, et chez 68 % des patients, les maladies auraient dû être prises en charge plus tôt. « Pour les femmes enceintes roms, la question du suivi prénatal et postnatal n’est pas du tout intégrée dans l’acceptance des soins. Tous les critères d’évaluation doivent être revus à la baisse, si on arrive à avoir un rendez-vous avant l’accouchement, c’est déjà bien ».

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17h30. L’équipe de Médecins du Monde quitte les lieux. En sortant, une montagne de déchets attend les bénévoles. « La mairie de Stains va installer poubelles roulantes, mais ce n’est pas suffisant en termes de capacité pour contenir les déchets de tout le bidonville », pestent les bénévoles, qui réclament des conteneurs fixes. Un énième combat à mener.

  • *Les prénoms des occupants des bidonvilles ont été modifiés.