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Dans la secte de la déesse du glucose, le fabuleux régime anti-régime

Est-ce que le "bodyhacking" est vraiment la solution miracle ?

Par
Mila Branco
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Vous voulez perdre quelques kilos, stopper le vieillissement de votre corps, avoir une peau parfaite, vous réveiller de bonne humeur, éviter de choper un cancer, minimiser vos risques d’infarctus ou d’alzheimer, … vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants ? Glucose Goddess à la solution!

Vous ne pouvez pas la rater, de chez Clique à VOGUE México, en passant par The Wall Street Journal, la déesse du glucose est partout! Son but: inciter le monde à traquer son indice glycémique. Cette prêcheuse autoproclamée c’est Jessie Inchauspé, une jeune française de 32 ans originaire de Biarritz. Avec une licence de mathématiques et une maîtrise de biochimie en poche, elle est partie travailler dans la start-up californienne 23andMe : une société qui propose une analyse du code génétique aux particuliers pour la modique somme de 100 dollars, ou comment mettre la science au profit du plus petit nombre.

Après avoir eu l’opportunité de tester un capteur de glycémie (dispositif médical destiné aux personnes diabétiques, pour contrôler la consommation de sucre et perdre du poids) elle entame sa révolution en soulevant des troubles causés par les variations du taux de glucose dans le sang. Dès lors, elle devient influenceuse pseudo-scientifique et publie des graphiques sur Instagram à partir de l’indice glycémique de son propre corps, suivi de conseils d’alimentation pour lisser la courbe.

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Avec plus de 4,3 millions de followers sur instagram et deux best-sellers traduits en plus de quinze langues, elle offre à sa communauté la recette magique pour réguler sa glycémie. Véritable messie, Jessie Inchauspé bénéficie aussi d’un boulevard médiatique international pour vanter les bienfaits de sa méthode miracle. Qualifiée en Une du magazine Elle comme La Femme à suivre, elle préconise une méthode pour contrôler les pics de glycémie, tout en promettant une méthode sans privation !

Une science inexacte

Cette biochimiste – partie puiser son surnom dans le divin – se revendique passionnée de vulgarisation scientifique. Elle affirme que plus de 80% de la population à une glycémie déréglée, et décide donc d’expliquer au grand public comment gérer son taux de glucose en rendant la science plus abordable et plus ludique. Seul hic, la communauté scientifique ne semble pas lui donner beaucoup de crédit. Au contraire, de nombreux médecins mettent en garde contre ses méthodes dangereuses.

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Bien qu’elle appuie les affirmations de son livre sur 300 études récentes, plusieurs scientifiques alertent sur le fait que celles-ci seraient majoritairement réalisées sur des personnes diabétiques ou obèses, et ne sont donc pas applicables à l’ensemble de la population. En généralisant des conseils destinés à des personnes atteintes d’une maladie, elle s’éloigne du principe de régime personnalisé. Pourtant, tous les nutritionnistes en professionnels de la santé s’accordent à dire qu’il est dangereux de prescrire un régime qui ne soit pas adapté aux antécédents médicaux et au profil morphologique et métabolique de chacun.

Cette vendeuse de solution miracle n’agace pas que la communauté scientifique, elle s’attire aussi les foudres des diabétiques, lassés de la voir vanter les mérites d’un mode de vie contraignant, lié à une pathologie dangereuse. Jean-François Thébau, vice-président en charge du plaidoyer de la Fédération française des diabétiques déclarait sur BFM TV qu’«avoir un pic glycémique après avoir mangé une tartine de confiture, c’est tout à fait normal, cela fait partie du métabolisme.

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Vouloir gommer ces pics glycémiques, quand on n’est pas malade, est une ineptie». Avec le succès du livre incitant à faire sa Glucose Révolution, certains influenceurs (en parfaite santé) font la promotion de capteurs de glucose. Pour François Jornayvaz, spécialiste FMH en endocrinologie-diabétologie et médecine interne, «Ces capteurs sont destinés aux diabétiques, on n’a rien à faire avec si l’on est en bonne santé, hormis éventuellement pour des études scientifiques sérieuses», de plus les stocks prévus en pharmacie ne sont pas illimités car n’ont pas vocation à servir ludiquement l’ensemble de la population.

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Car ses méthodes ont beau prendre une tournure vendeuse, la déesse n’a pas inventé l’eau tiède: manger plus de légumes, moins de sucres, et faire du sport. Rien de nouveau sous le soleil. Seuls deux conseils un peu particuliers se démarquent : boire du vinaigre et changer l’ordre de consommation des aliments. Ainsi, Jessie entend ralentir la digestion pour que le glucose arrive moins rapidement dans le sang. En résumé, manger autant qu’on veut, mais en trompant la perception que notre corps s’en fera. Une conception du corps comme d’une simple machine à pirater, qu’elle n’est pas la seule à prôner.

La tendance du Body-hacking : tromper son corps pour optimiser ses performances

Sur son site, Jessie Inchauspé se présente comme motivée pour “essayer de comprendre ce qu’il se passe dans [son] corps et [son] cerveau”. Une tendance de plus en plus présente chez les influenceuses bien-être: le biohacking. L’idée consiste à optimiser son corps pour atteindre la version la plus saine et la plus forte de soi. Née chez des hommes riches lancés dans un combat contre le temps pour repousser la vieillesse, cette trend se répand désormais sur les contenus visant un public féminin.

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Présenté comme une forme d’empowerment, le biohacking prétend combler les vides laissés par la médecine traditionnelle sur la complexité du corps des femmes. Une tendance qui flirte avec le développement personnel et les séminaires de féminin sacré qui, malgré son apparente accessibilité, s’adresse à un public privilégié.

Pour reprendre les propose de la journaliste et créatrice du podcast Politiser le bien-être (Binge audio) Camille Teste : « Qui a le temps d’écouter ses sensations corporelles ? Ce sont toujours les mêmes, des personnes très privilégiées. On ne peut pas demander à la femme de ménage qui se lève à cinq heures du matin d’écouter son cycle menstruel et de moins travailler durant la deuxième partie de son cycle».

Le biohacking propose des nouvelles formes de préoccupations sous couvert de bien être corporel et cérébral, en incitant à redoubler d’efforts pour parvenir à la meilleure version de nous-même. Une tendance responsabilisante qui surfe sur tous types de mal êtres pour promouvoir un empowerment individualiste, productiviste et capitaliste.

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De l’obsession des pics glycémiques à la logique pro-fric

Alors qu’elle prétend livrer la clé de la connaissance à toutes celles et ceux qui ne sauraient pas s’alimenter correctement, Jessie manie méthodiquement la recette de l’oseille. En alarmant son auditoire, Jessie Inchauspé s’assure de vendre la solution miraculeuse qu’elle propose au problème qu’elle-même met en avant. Pas de panique !

Pour survivre et s’éviter les tracas, il suffit d’acheter ses deux livres à 20€ chacun, ou bien ingérer ses gélules à seulement 53€ le flacon de 30, ou encore s’abonner à sa newsletter pour 5€ par mois afin de recevoir ses recettes et derniers conseils tendance. Une logique marchande consistant à créer le besoin, qui la rapproche plus des businesswoman et influenceuses que de ses compères en blouse blanche.

Celle qui a choisi de s’appeler déesse par soucis marketing (“il me fallait un nom de marque, un peu catchy”), adopte effectivement une rhétorique dogmatique plus religieuse que scientifique. Le bien ou le mal ne sont plus accompagnés d’une démonstration complète mais justifiés par des raccourcis discutables. L’obéissance aveugle devient une vertu, la culpabilité est cultivée et toute erreur de conduite est passible d’une punition. Tel est le rapport à l’alimentation qu’impose la méthode “Glucose Revolution”. Dans un exemple tiré de son livre, elle tombe sur “le cookie le plus appétissant du monde”, et pour nous montrer qu’elle ne se prive de rien, elle applique certains de ses conseils:

“Je ne le mange pas tout de suite, je retourne au bureau, je bois un verre d’eau avec une cuillère à soupe de vinaigre de cidre, puis je croque cinq amandes, et ensuite seulement je dévore le cookie. Environ 20 minutes plus tard, le moment est venu de lisser la courbe. Je vais aux toilettes, où je fais 30 squats et 10 pompes contre le lavabo.”

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Tout porte à dire que la reine du glucose à un rapport obsessionnel à la nourriture. Un problème qu’elle a décidé de justifier et généraliser en se plaçant en véritable messie pour inciter sa communauté à faire de même. Tel est le danger le plus alarmant de la méthode prônée par Jessie Inchauspé : le développement et la banalisation des troubles du comportement alimentaire. En imposant un contrôle assidu des aliments consommés, leur ordre, leur apport calorique et leurs conséquences sur le corps et l’humeur, le risque de perturbations dues à des comportements obsessionnels liés à la nourriture est très élevé.

Récemment interviewée dans Clique par Mouloud Achour, Jessie Inchauspé réussi un beau subterfuge en répondant ainsi à une question sur l’orthorexie (trouble alimentaire caractérisé par une volonté obsessionnelle d’ingérer une nourriture saine et le rejet systématique des aliments perçus comme malsains) : “Tous les régimes sont mauvais, dès qu’on parle d’enlever des aliments, peser des choses et compter les calories, ça peut engendrer des problèmes. Je suis complètement anti-régime et mon travail essaye d’aller à l’encontre de ça.”

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La dangereuse illusion du régime sans restrictions

En retirant les chiffres de ses graphiques et prônant une soit-disant méthode d’alimentation sans privation, Jessie Inchauspé prétend à légitimer des méthodes saines s’éloignant des régimes traditionnels destinés à la perte de poids. Mais par ses conseils comme manger une pomme plutôt que de boire un smoothie, ou encore passer l’aspirateur après avoir dégusté un donut, la déesse du glucose coche toutes les cases de l’incitation au régime, défini par le Larousse comme une “Modification de l’alimentation habituelle à des fins thérapeutiques (en cas de diabète, de goutte, d’obésité, etc.) ou pour satisfaire des besoins physiologiques spécifiques”.

Cerise sur le gâteau, avec une stratégie marketing genrée – par une identité graphique pastel, nombreuses promos dans les revues féminines, et la reprise des codes d’influenceuses – la biochimiste touche plus particulièrement une audience féminine, plus apte à se plier en quatre pour correspondre aux diktats de la société. En effet, plus de 80% des personnes atteintes de trouble de l’alimentation sont des femmes, une inégalité statistique grandement liée à l’objectivation du corps des femmes et l’idéalisation de la minceur, véhiculée par des injonctions culturelles notamment à travers des magazines et des réseaux sociaux.

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