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Dans la peau d’une botoxée

Par
Nathalie Lesage
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Mon père s’est offert un aller simple vers l’au-delà un certain jour de décembre. J’ai donc pour ainsi dire un grand besoin de m’étourdir quand la date maudite scintille sur mon calendrier de prêtres sexys, pieux souvenir ramené de Rome. Souvent arrosé, toujours bien entourée, ce certain jour s’avère néanmoins chaque fois compliqué. Ses préparatifs m’occupent à la manière d’un baby shower, cup cake en moins. Alors aux vues de la *?&#$ d’année qu’on vient de s’enfiler, les festivités de 2020 s’annonçaient épiques.

Je ne sais pas si c’est la délicate morsure des 43 ans récemment soufflés ou la somme de mes reflets de confinée, mais depuis quelques temps, je me sentais frippée comme une brassée de draps de lin oubliés dans le fond de la Whirpool. L’idée me travaillait aussi depuis que l’amie belge s’était décidée à cracher le morceau, le secret ENFIN dévoilé de sa peau de pêche melba de 48 printemps. Parce que j’avais beau me beurrer le visage de crèmes qui sentent bon, mon putain de pli de lion s’obstinait à me narguer dans un refus net de capituler. C’est pas parce que j’ai pour totem scout Panthère que je kiffe pour autant front de féline. Ajoutez à cela des pattes d’oie, et bonjour la basse-cour, quoi.

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Morceaux choisis de ma conversation avec celle grâce à qui tout a commencé :

– Botox, meuf.
– Aïe. Je sais pas si je suis prête meuf.
– Qu’est-ce qui t’empêche, meuf ?
– La peur meuf, la peur.

Peur de me réveiller avec la face de Donatella Versace. Peur de déceler l’étincelle du doute dans la pupille de l’autre qui me regarde. Peur d’avoir la face aussi gelée que Beigbeder dans ses bonnes années. Entendons-nous. J’étais, je suis, pas si abîmée. Certains pourraient même dire « pas mal ». L’idée de me photoshoper le pli du souci me souriait quand même à grandes dents, surtout devant le rendu réussi de l’amie.

– Allez meuf, on le fait. Ça va bien noyer le spleen du paternel.

Jour J. Le programme suit son cours. Je gronde mon père au réveil, écoute ma feel good music des 90’s – je suis vintage, me gâte avec un toast brulé au beurre de cacahuètes et m’engouffre l’esprit dans un PowerPoint soporifique. Avec des amies, on s’offre un lunch illégal non masquées. Vintage et anarchique. Les minutes s’écoulent, trop rapidement ou trop lentement. J’anticipe comme je flippe. Tu fais une connerie ma vieille, go for it poupée, la femme folle et la rebelle s’obstinent dans ma tête.

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16h, heure du crime, beaux quartiers de Paris. Je recommande de ne pas chasser les soldes à Barbès pour ce genre d’investissement. L’amie-au-boulot-prenant me pose un lapin si bien que mon party de piqûres entre filles se transforme en pèlerinage solitaire. Pas grave, je suis galvanisée par Technotronik et la ferai chanter plus tard. Entre temps, j’observe cet environnement opulent qui n’est pas mon habitat naturel. Nous sommes dans un cabinet doré fréquenté par le who’s who mondain, politique et fashion de Paris. Ce que je ne suis pas. Je m’installe avec toute la dignité et nonchalance dont je suis capable dans le canapé Roche-Bobois duveteux de la salle d’attente extra marbre, que je partage avec un homme plutôt jeune, et une femme sans âge.

Dans ma tête, mes petites voix se déchaînent :

– Ils te dévisagent non ?
– N’importe quoi, ils sont là pour la même chose que toi !

Et puis, une vraie voix m’appelle.

– Mme Lesage ?

Gasp. Excitation, appréhension, embarras; c’est une gamine de 43 ans pluri sensations qui se lève, menton en l’air pour s’en donner un, air. « Non de Zeus, t’as les foies, Lesage », aurait dit Emmett Brown.

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On m’installe dans une salle sympa qui sent bon. Entre une jeune femme sympa qui sent bon aussi, et qui photographie mon faciès extra nature. Elle me papote potins comme le ferait l’hygiéniste dentaire, aveugle à mon air de chevreuil pris dans des phares de char. Après tout, entre se faire injecter de la toxine botulique dans le visage ou de l’anesthésiant dentaire, il n’y a qu’une joue. Entre alors l’homme de la situation, a.k.a. le Docteur Calmon, dont le cute face dépourvu de malformations calme les derniers tressaillements de mon pied droit.

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Le Dr Mamour de la beauté répond avec aplomb – et patience – à mes questions de néophyte angoissée :

– C’est quoi ton métier, doc ?
– Je suis médecin esthétique, il faut faire médecine pour pratiquer ce métier afin de bien connaître l’anatomie.
– Tu vas me faire quoi ?
– Des points de toxine botulique qui viendront relâcher et détendre tes muscles, juste un peu, pour que certaines expressions soient plus douces.
– Où ?
– Juste ici entre les sourcils, sur le muscle de l’arrête du lion. Je vais venir le paralyser à 100% puisque c’est un muscle fort. Je ne toucherai pas ton front toutefois parce que ça manquerait de naturel. Ensuite, le contour des yeux où je vais enlever, allez, 30 % à 40 % maxi, pas plus. C’est important que tu gardes tes expressions et du mouvement.
– On en a pour combien de temps ?
– 15 minutes.
– Est-ce que ça va faire mal ?
– Ça dépend, est-ce que tu veux la crème anesthésiante ?

Dans ma tête, j’entends : est-ce que tu veux accoucher sans péridurale.
– Voyons ? Clairement que je la veux ta crème. Pis beurre épais.

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Le doc a menti, ce fut plié en 10 minutes. Même pas eu mal. Évite de suer pendant 2 jours. Résultats pleinement visibles dans 7 jours. Rendez-vous dans 6 mois. Trois-cents euros, moins cher que ma crème La Mer. Sur le chemin du retour, paranoïaque, je sens les regards sur ma tronche piquée d’aiguille de Corée. Vite une vitrine, certaine d’être déformée, style attaque de frelons d’Asie. Fausse alerte, mes cache-oreilles Harricana en poils recyclés n’ont jamais vraiment fait l’unanimité.

A la maison, je me scrute tous azimuts et trinque au François 1er à cette nouvelle vie semi-déplissée. Dans les jours qui suivent, aux amis je dévoile tout, curieuse des réactions puis frondeuse, il est vrai, de la révélation. Je suis gâtée, l’accueil est généreux. On pourrait parler poliment d’un sujet « qui soulève les passions ». Au-delà des confessions d’initiés et l’enthousiasme des volontaires-voyeurs, j’avoue être perplexe devant l’envolée de réactions épidermiques qui suintent à l’annonce du mot honni : « Botox ». Chose certaine, mon expérience botulique en apparence d’une futile légèreté s’inscrit, contre toute attente, en choix controversé. J’aime ça. Je flash-back au dernier Sober January – juste un p’tit verre ça te fera pas de mal, voyons t’es ben plate, c’est des niaiseries tout ça – quand les opinions des miens pour mon bien pleuvaient comme les giboulées. En éminence repulpée, je réponds, guidée par la pseudo-sagesse de mon nom de famille : « On s’en fout du regard des autres ! »

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C’est vrai. C’est un cadeau à moi, de moi. Au même titre où je m’aime mieux en vert qu’en jaune, et les cheveux courts que longs, je préfère mon reflet du matin, du midi et du soir sans oie et sans lion.

À celles et ceux qui disent : « Ce n’est pas mal de veilliiiiiir. Faut pas se laisser influencer par les dictats de la beauté ! ». Euh, mais tu te teins bien les cheveux, right ?

Aux timides : « Je veux trop le faire, mais n’ose pas ». Babe, fais ce qu’il te plaît, mais choisis bien ton Doc.

Aux autres : « T’as pas besoin de ça, tu vas être esclave, ça va te défigurer ! » Si nous sommes amis, c’est probablement parce que tu ne me trouves pas trop con. Fais-moi confiance, je n’ai pas pour ambition de me la jouer Madonna ou Mickey Rourke.

Le fait est que devant le miroir je suis la même Nathalie. On pourrait juste croire que j’ai vraiment bien dormi. J’aime ce que je vois. La même fille, la même face, les mêmes plis; moins de personnalité. Les plis, pas la fille.

Vais-je renouveler ?

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Je ne sais pas encore, c’est trop tôt pour le dire. Toutefois, clairement ça donne envie devant la simplicité et l’efficacité de l’affaire. Dorénavant, me sécher les cheveux est plus chronophage que tout le reste. Au delà de taquiner le temps, cet après-midi rue Montaigne était destinée à meubler d’allégresse une journée historiquement complexe. Mission réussie puisque pour une rare fois, jamais je n’ai eu la gorge nouée lors de ce jour maudit. Un peu comme si ces injections avaient détendu quelque chose de plus profond qu’un pli de front. S’ajoutent un égo gonflé à bloc mode bonhomme Michelin et un sujet léger de choix. Franchement? Pour cette hilare ivresse rocambolesque, oui, je retournerais volontiers m’installer de tout mon long sur le canapé duveteux du Docteur Calmon… qui porte décidément très bien son nom.

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