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À l’époque de nos grands-parents, tout semblait plus facile : on se rencontrait, on se mariait, puis on faisait sa vie ensemble, affaire pliée. Aujourd’hui, les familles se scindent et se recomposent, les relations s’enchaînent, et Tinder donne le vertige avec ses potentiels de matchs infinis… Alors que le projet d’une vie à deux « jusqu’à ce que la mort nous sépare » se fait de moins en moins réaliste, on a demandé à France Ortelli, scénariste, réalisatrice et autrice de Nos Coeurs sauvages, comment se dessinait l’amour des temps modernes.
Les noces d’or ont beau appartenir à une époque quasi révolue, l’amour n’est pas mort, bien au contraire. Déjà parce qu’autrefois, le secret de longévité des mariages ne résidait pas vraiment dans les sentiments. « Le couple, c’était d’abord un partenariat familial pour élever des enfants », rappelle France Ortelli. « Depuis cent ans, les Français se libèrent du joug parental pour vivre leur amour pleinement », écrit-elle. Si les choses nous semblent plus compliquées aujourd’hui, c’est donc, entre autres facteurs, parce que l’amour est désormais au centre de l’équation.
RÉINVENTER LE COUPLE
À propos d’équation, Axel*, 21 ans, n’est pas fan du 1+1. « Je vois l’amour comme quelque chose qui se multiplie, et non comme quelque chose qui stagne ou diminue », détaille le polyamoureux. En s’éloignant du modèle du couple exclusif, cet étudiant en droit a retrouvé la liberté qui lui manquait jusque-là : « J’ai toujours été dans des relations trop fusionnelles par le passé, et j’ai réalisé que les relations classiques ne me convenaient pas. Maintenant, je suis libre d’aimer qui je veux sans me sentir coupable ».
Après un mariage, deux enfants et un divorce, Christine, 52 ans, a également choisi de s’écarter du modèle traditionnel de la vie à deux. En couple depuis huit ans avec son compagnon, chacun vit dans son appartement, et emménager ensemble ne fait pas partie de leurs projets. Aux États-Unis, on parle de “living apart together” (ou LAT), comprendre “vivre séparément, ensemble” : ce mode de vie est courant chez les jeunes qui n’ont pas encore la possibilité de vivre sous le même toit, mais séduit aussi des couples, souvent lorsqu’ils n’ont pas ou plus d’enfant à charge.
« Au risque de paraître égoïste, j’aime être seule, explique Christine. Ça me permet d’avoir plus de temps pour moi et de mieux profiter de l’autre quand il est là, sans pour autant tomber dans la routine ». Profiter des bons moments, tout en s’épargnant les prises de tête de la vie domestique : l’idée a de quoi séduire. « Les couples se mettent à copier le mode de vie du célibataire. Si le désir de vivre à deux est toujours important, le mode opératoire évolue », écrit France Ortelli.
RELATIONS ET RUPTURES EN CHAÎNE
Si l’on s’inspire et valorise davantage le style de vie des célibataires, c’est aussi parce qu’ils sont de plus en plus nombreux : en 2014 aux États-Unis, ils devenaient même majoritaires pour la première fois. Et l’écart est bien plus marqué à Los Angeles, où « 73 % des femmes sont single » ajoute France Ortelli.
Charlotte, consciente que les mœurs ont changé, ne s’imagine pas faire sa vie avec son copain actuel. « Ma relation précédente s’est terminée au bout de quatre ans. Depuis, je me dis que toutes les relations sont vouées à se terminer un jour. » La Strasbourgeoise n’est pas la plus optimiste, mais ses prédictions matchent avec les statistiques : en moyenne, on tombe amoureux quatre fois au cours de sa vie, et on vivrait sept à huit relations avant de trouver la « bonne » personne. « On est ouverts à l’autre sexuellement, mais on est encore assez fermés émotionnellement, on est parfois un peu bringuebalés d’une histoire à l’autre… On vit de plus en plus de ruptures tout au long de notre vie, et ces rejets nous fragilisent beaucoup », explique l’autrice.
L’IMPORTANCE DES RELATIONS NON AMOUREUSES
Entre cette alternance de vie à deux, ruptures et célibat, les autres relations prennent une place grandissante, en ce qu’elles permettent de trouver du lien affectif autre part que dans le couple. « On met beaucoup plus d’affect dans nos amitiés pendant nos périodes de célibat, et il est prouvé que les célibataires ont plus de contacts avec leur famille que les personnes en couple », enchaîne l’autrice. D’où le fait que la vie en communauté en séduise plus d’un : parmi les foyers non basés sur la vie de couple ou de famille, on retrouve évidemment les colocs, mais aussi les Share Houses ou Community Houses.
C’est le cas de Lucas, 27 ans et adepte des colocs depuis ses études à la fac. Alors quand il débarque à Bruxelles pour un nouveau boulot, pas question d’aller vivre tout seul. « Je me suis dit que mes colocs m’aideraient à découvrir la ville et à me construire un réseau social, et puis j’aime la compagnie. On passe beaucoup de temps ensemble d’autant plus avec le confinement et finalement, ils sont devenus mon premier lien social », retrace-t-il.
« QUAND ON DEMANDE AUX GENS CE QU’ILS CHERCHENT, ÇA RESTE L’AMOUR AVEC UN GRAND A »
Prendre conscience de la place grandissante du célibat permet de mieux vivre ces périodes de solitude amoureuse, et c’est tant mieux. Mais pour France Ortelli, il serait dommage de confondre normalisation du célibat et repli sur soi. « Ce n’est pas une fatalité d’être célibataire, mais il faut continuer à aller à la rencontre de l’autre, l’humain est un animal social… On est tous en quête d’expérience et d’expérimentation mais finalement, quand on demande aux gens ce qu’ils cherchent dans la vie, ça reste l’amour avec un grand A ».
Reste à mettre à jour notre vision de l’amour avec un grand A, pour ne pas poursuivre un idéal amoureux d’un autre temps.
* Le prénom a été modifié.