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Danièle, médecin à Montluçon: « On se doit d’assumer, on a prêté serment »

Ce que cette crise met en lumière, c’est le fonctionnement en flux tendu des hôpitaux.

Par
Mathilde Nabias
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Chaque matin, Danièle parcourt au petit jour les cinquante kilomètres pour se rendre à l’hôpital de Montluçon, où elle est cheffe du service d’oncologie médicale. Depuis une semaine, les villages traversés sont vides, les devantures fermées. Cette année, épidémie oblige, le printemps se fait sans les gens et s’observe derrière les fenêtres. Mais à l’hôpital, et pour le personnel soignant en première ligne, l’activité ne faiblit pas. Danièle nous raconte comment face à l’ampleur de la crise à venir, tout l’hôpital a dû être réorganisé et ce que cela transforme dans son quotidien.

Il y a deux semaines, l’ARS[1] leur a envoyé ses recommandations pour faire face à la prévision d’une vague épidémique. « On a enchaîné les réunions pendant quinze jours. Au sein du service, avec tout l’hôpital, mais aussi avec la clinique de la ville, avec le CHU de Clermont-Ferrand et les autres hôpitaux de la région. En plus chaque spécialité s’est mise en contact avec les comités de spécialistes qui nous transmettent leurs recommandations. » Ces moments de discussion ont abouti a des transformations : pour faire se préparer, ce petit hôpital n’a rien laissé hasard.

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Dès l’entrée, le ton a changé. Un accueil a été placé, où les patients sont orientés et interrogés par de jeunes étudiants ou infirmiers. « On prend systématiquement la température de ceux qui entrent, puis on leur donne un masque avant de les accompagner dans les services. »

L’hôpital qui est habituellement un lieu d’accueil se barricade. Les portes entre les différents services sont dorénavant fermées pour éviter la circulation potentielle du virus. « Tout ça complique la fluidité des rapports. On se parle essentiellement par téléphone. Tout est mis à distance, on ne se touche plus, on se tient éloigné. La barrière est aussi matérielle, puisqu’on passe la journée derrière nos masques. ». Par ailleurs le self ainsi que la cafétéria ont fermé, les lieux de vie entre soignants ont disparu. « Globalement, on est beaucoup plus seuls. On mange loin les uns des autres, si on a le temps de manger ! »

Aux urgences, on se prépare en mode combat. « Tout le parcours de soin a été doublé. Les patients suspectés de COVID suivent une voie protégée du reste des urgences, et l’endroit est sécurisé de l’entrée à la sortie. » Cette organisation est lourde, puisqu’elle impose un doublement des équipes soignantes. « On a dû doubler toutes les gardes de manière à avoir en permanence un personnel dédié à l’épidémie. Je suis déjà d’astreinte un samedi sur deux, mais dans les prochaines semaines, je vais certainement devoir faire des gardes supplémentaires. » Mais pour l’instant, nous dit-elle en souriant, elle est relativement « épargnée », et reste en seconde ligne. En effet, seule médecin dans le service d’oncologie autorisée à signer les protocoles de chimiothérapie, l’hôpital pourrait difficilement se permettre qu’elle tombe malade et se retrouve confinée.

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Dans les services de médecine, l’activité des différents services a été réduite. Toutes les opérations chirurgicales ont été déplacées à la clinique afin de libérer des lits lorsque la vague de malades arrivera.« On a décidé de limiter les entrées non essentielles sur l’hôpital. Toutes les consultations pour des pathologies non urgentes, en rhumatologie ou en dermatologie par exemple, ont été annulées. Pour mon service, la cancérologie, c’est évidemment plus compliqué : les traitements doivent être poursuivis sinon à mettre les patients en danger. »

« Il y a moins de monde, ce qui nous apporte un peu de calme et un certain confort pour notre travail de soignant. Mais de l’autre, c’est la vie qui manque… »

Malgré tout, le service tourne lui aussi à régime restreint pour libérer le personnel qui peut à tout moment intervenir en renfort aux urgences. Les consultations de surveillance pour les cancers en rémission sont reportées à un mois. Pour d’autres, en cours de traitement, le suivi se fait par téléphone avec des ordonnances adressées directement aux pharmaciens. « Nous voulons éviter au maximum que les patients les plus fragiles viennent à l’hôpital où ils risquent de s’infecter. La pratique s’adapte, mais la qualité des soins en pâtit. C’est dur pour mes patients qui sont pour la plupart dans des situations d’anxiété et de fragilité psychologique ».

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Danièle nous raconte que l’atmosphère de l’hôpital a changé, surtout depuis que les visites ne sont plus autorisées. C’est plus triste et surtout beaucoup plus tendu. « Il y a moins de monde, ce qui nous apporte un peu de calme et un certain confort pour notre travail de soignant. Mais de l’autre, c’est la vie qui manque… »

Pour les patients ces transformations sont difficiles à vivre, notamment en cancérologie. « Ce sont des patients qui affrontent une maladie lourde à l’issue incertaine. Pour eux, c’est très important d’être entourés. » Obligés de se rendre seuls aux consultations, certains se sentent très démunis et ceci est un facteur de stress supplémentaire, ajoute la médecin. La région est encore peu touchée, mais dans la salle d’attente elle voit des patients parfois apeurés, refusant de s’installer à côté d’autres gens, demandant à s’isoler. « Dans une structure où l’attention est désormais polarisée autour de l’épidémie, même en cancéro l’angoisse est déplacée ! Ce qui fait peur, c’est le COVID. »

« Le plus difficile est sans doute le déshabillage. Rouler sa blouse, retirer ses gants, il faut tout enlever sans jamais rien toucher de potentiellement contaminé. »

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Alors pour que les gestes barrières s’impriment dans la pratique, elle fait des points quotidiens avec son équipe. « Il a fallu apprendre à tous l’apprentissage de l’habillage, si l’on est amené à être en contact avec un patient COVID-19, et dans cette petite structure ça nous arrivera certainement un jour où l’autre. » Car les gestes sont précis, le protocole doit être parfaitement respecté pour que les tenues de protection soient valables, pour le soignant comme pour le patient. Les masques par exemple doivent être manipulés avec précaution : il ne faut jamais mettre ses doigts à l’extérieur, ni même toucher le masque, à défaut d’être rendu inopérant. « Le plus difficile est sans doute le déshabillage. Rouler sa blouse, retirer ses gants, il faut tout enlever sans jamais rien toucher de potentiellement contaminé. »

C’est cette attention constante que la lutte contre l’épidémie impose que la médecin trouve la plus lourde. Si l’hygiène est évidemment intégrée par tous, le facteur épidémique oblige à être sur le qui-vive. « Dans ma consultation, mon attention est en permanence mobilisée, et ma pratique chamboulée. Je mets des gants pour examiner mes patients, et ça crée une distance, c’est dommageable. Et puis je suis toujours à l’affût, qu’ont-ils touché dans la consultation ? Ont-ils posé leurs mains sur le bureau ? Comme le virus se transmet aussi par les surfaces, après chaque consultation il faut penser à tout nettoyer, je crains une contamination par les objets. Je suis en contact avec des patients dont la pathologie cancéreuse est une comorbidité lourde en cas de COVID-19, je ne peux pas me permettre de les exposer plus qu’ils ne le sont déjà dans leur vie quotidienne. C’est très stressant pour moi. »

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Par ailleurs, cette restructuration, c’est tout le personnel hospitalier qui l’encaisse de plein fouet. Tous ceux qui avaient posé des congés ont été empêchés de partir en vacances, sans possibilité de RTT. Ce que cette crise met en lumière, à Montluçon comme ailleurs, c’est le fonctionnement en flux tendu des hôpitaux, qui complique considérablement les choses dans une situation de crise nous dit Danièle. Car, après l’épidémie, les équipes soignantes épuisées n’auront aucun relais pour leur permettre de se reposer.

« Ça fait partie de notre job, on se doit d’assumer, on a prêté serment, c’est aussi pour ça qu’on s’est engagé. »

Pour autant, dans le moment présent, pense-t-elle que l’hôpital est bien préparé ? « Si l’épidémie atteint le niveau du Grand Est, évidemment on sera submergé. Mais on s’est préparé, on y a pensé. On ne sera pas pris par surprise. Et ça joue beaucoup. » Pour la médecin, si la situation est difficile à vivre, elle ne se plaint pas et part au travail tous les matins déterminée. « Ça fait partie de notre job, on se doit d’assumer, on a prêté serment, c’est aussi pour ça qu’on s’est engagé. »

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Face à cette abnégation, je lui demande sa réaction aux applaudissements quotidiens de la population en soutien au personnel hospitalier. Est-elle touchée par ce geste ? Cette fois-ci elle botte en touche : « J’y vois l’expression d’une grande inquiétude, le besoin d’une expressivité commune dans cette période difficile d’isolement et de confinement. Les gens comptent sur nous, mais ils ont surtout besoin de continuer à faire vivre la chaleur humaine. C’est essentiel, pour tout le monde. »

[1] Agence Régionale de Santé