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Crise au Liban : le graffiti au service de la révolution

Les couleurs sont partout, l’art aussi

Par
Clotilde Bigot
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Clotilde Bigot, journaliste française indépendante basée à Beyrouth depuis quelques années, nous a écrit pour nous faire savoir que depuis le début de la révolution, de nombreux tags fleurissent aux 4 coins du Liban. “On passe des tags bas de gamme à des dessins d’artistes qui peignent le martyr Ala’ Abou Fakhr, mort il y a quelques jours, tué par un convoi d’un colonel.” Elle a voulu partager avec nous ses photos et ses observations. On lui laisse la parole.

Les Libanais ont une façon bien à eux de faire la “thawra” (révolution en arabe). À Beyrouth notamment, on se réapproprie l’espace public, privatisé par les magnats de l’immobilier et les magasins de luxe, on fait la fête sur la place des Martyrs, on vient en famille le dimanche pour se balader, manger un peu de maïs grillé ou simplement prendre part, à sa façon, à cette révolte populaire qui secoue le pays depuis plus de 40 jours.

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Quand on arrive sur cette place des Martyrs au centre-ville de Beyrouth, un air de révolution flotte dans l’air. Au centre trône le “poing de la révolution” de 9 mètres de haut, qui rappelle à tous pourquoi ils sont ici. Les couleurs sont partout, l’art aussi. Cette place, transformée en parking géant au fil des années, est maintenant un espace de vie organisé avec des tentes abritant des ONGs de recyclage, des espaces de parole, des centres de dons, des associations ou même des vendeurs de café. Les murets qui l’entourent d’habitude gris, ont été recouverts de fresques, de peintures multiples qui, au fil des jours, s’adaptent à la contestation.

Ici aussi, la révolution s’écrit à coups de sprays colorés, de slogans percutants, d’art, tout simplement.

Quelques mètres plus haut trône “The Egg”. La construction de ce bâtiment avait été arrêtée par le début de la guerre civile en 1975, il était depuis fermé au public. Il aura fallu attendre ce 17 octobre 2019 pour que les Libanais se réapproprient leur ville, bâtiments compris. Ainsi, chacun monte dans ce qui aurait dû être un cinéma, puis au dessus du dôme qui fait sa spécificité, pour une vue plongeante sur la place et la foule qui s’y amasse. Ici aussi, la révolution s’écrit à coups de sprays colorés, de slogans percutants, d’art, tout simplement.

(…) les murs délabrés et poteaux sont couverts de tags. Certains sont de simples mots ou phrases, appelant à la révolution, d’autres sont de véritables oeuvres d’art.

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Lorsqu’on pénètre dans l’enceinte du Egg, au niveau du rez-de-chaussée, les murs délabrés et poteaux sont couverts de tags. Certains sont de simples mots ou phrases, appelant à la révolution, d’autres sont de véritables oeuvres d’art. Ashekman, graffeur mêlant dessin et calligraphie arabe, a choisi cet emplacement pour dessiner l’une des figures emblématiques de cette révolte : le Joker, armé d’un cocktail Molotov. Sur sa page Instagram, il a même ajouté “Beirut is the new Gotham”.

Au début des manifestations, des centaines de jeunes s’étaient grimés en joker, rappelant le film de Todd Philipps. Lorsque l’on monte au premier étage, on observe, en contrebas, cinq blocs de bétons avec le mot HOPE, graffé par Meuh accompagné de deux visages peints par Apocaleps. L’espoir d’un pays sans corruption, de plus de justice sociale, ou encore de plus de droits pour les femmes ou les travailleurs immigrés.

Le long de la rue, des magasins ont vu leur vitres cassées, les murs couverts d’écritures et de slogans. Le bitume lui aussi est décoré.

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Lorsqu’on redescend, à gauche de la place des Martyrs, la rue El Amir Bachir mène vers une autre place, plus petite, la place Riad el-Solh, à quelques dizaines de mètres du Siège de la Présidence du gouvernement. La rue Weygand abrite une autre ambiance. En journée, des vendeurs ambulants font la promotion du “Made in Lebanon” ; la nuit, une scène crache de la musique révolutionnaire saturée et fait vibrer les passants. Le long de la rue, des magasins ont vu leur vitres cassées, les murs couverts d’écritures et de slogans. Le bitume lui aussi est décoré.

L’artiste Ivan Debs recrée les mêmes fresques à plusieurs emplacements, appelant pour une vraie justice sociale. Le “Grand Teatro”, autre bâtiment laissé à l’abandon depuis la guerre est situé au bout de la rue. Lui aussi a retrouvé des couleurs. Les barricades en fer érigées par l’armée sont utilisés comme défouloir pour ceux qui veulent faire du bruit. Chacun récupère une pierre, une barre en métal ou simplement tapent du poing pour faire un maximum de bruit. Sur les façades du bâtiment, les barricades sont elles aussi, couvertes de tags. Chacun porteur d’un message particulier, ou de simples signatures. Les barricades démontées par les manifestants puis remplacées par l’armée sont d’autant de tableaux neufs pour les artistes, qui se réinventent sans cesse. Retrouvez toutes les photos de Clotilde Bigot ci-dessous.

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