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Cri du coeur pour le droit de vivre

« Que vous êtes mignons à nous regarder avec compassion et considération. »

Par
Julia Graton
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Julia Graton, 20 ans, nous a fait parvenir ce texte. « Il met en avant une réflexion que j’aimerais plus “débattue” dans la société. Je pense donc qu’il aurait toute sa place dans URBANIA ». On le publie donc ici avec son autorisation en espérant qu’il génère le débat attendu.

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Après les aides-soignants, les ehpadés, les restaurateurs, voilà que c’est notre tour : « Surtout, bon courage pour vos études… » On l’entend partout, de la part des professeurs, des grands-parents, des retraités au supermarché.

Un débat public de quelques semaines et ça y est, tout le monde s’émeut de notre sort, nous pauvres étudiants enfermés dans nos cages. « Génération sacrifiée ». J’ai envie de dire : sans blague. Comme s’il avait fallu attendre la covid-19 pour que notre génération soit sacrifiée. Quand la pandémie sera finie, vous pensez vraiment que nous retournerons à des occupations légères et joyeuses ? Vous vous dites en compassion avec ces quelques mois où nous perdons de notre jeunesse, mais êtes-vous seulement conscients que ce n’est rien ! Rien par rapport à l’immensité douloureuse que nous allons devoir traverser seuls, puisque personne ne semble avoir assez de courage pour vouloir sauver nos vies ?

Dette absurde, chômage, règne de la virtualité, radicalisation des opinions, croissance (!) des inégalités… Et puis surtout cet horizon sublime sur lequel toute notre volonté, tout notre désir de vivre n’auront aucun effet : le dérèglement climatique.

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Que vous êtes mignons à nous regarder avec considération, à nous adresser un sourire timide, gêné ! « C’est pas facile d’avoir vingt ans en ce moment… » Non ce n’est pas facile, et encore moins quand on sait que ce n’est que le début, que le sale boulot nous attend le sourire en coin, l’air malicieux. Dette absurde, chômage, règne de la virtualité, radicalisation des opinions, croissance (!) des inégalités… Et puis surtout cet horizon sublime sur lequel toute notre volonté, tout notre désir de vivre n’auront aucun effet : le dérèglement climatique.

Je sais, chaque jeunesse croit être la dernière, la plus martyrisée, la seule victime. Certes, chaque génération hérite toujours des acquis, dettes, espoirs de ses aînés et doit composer avec : mais quand nos aînés savent le mal qu’ils créent, devons-nous accepter leur héritage, qui n’en finit pas de s’enlaidir, sans aucune révolte, dans une résignation tête baissée ? S’indigner, c’est se reconnaître victime et vouloir dépasser ce statut. Nous voulons vivre, et ce n’est pas la fin de la pandémie qui règlera ce problème ; ce n’est pour nous, jeunesse depuis si longtemps sacrifiée, que le début d’un labeur infini dont le happy ending n’a, en plus, absolument rien d’évident.

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Il y a ici un problème de justice ; pourquoi condamnons-nous la non-assistance à personne en danger tout en accordant l’immunité à la non-assistance à génération en danger, c’est-à-dire en laissant les acteurs principaux de ce monde exterminer nos vies en toute conscience de cause ? Qu’est-ce, sinon un crime contre l’humanité ?

Ah ! Mais comme je vous trouve mignons à nous regarder les yeux larmoyants devant nos sorts d’étudiants quand c’est notre vie entière qui fout le camp, quand ce sont nos espoirs aussi triviaux que la procréation qui semblent nous déserter à jamais ! Combien de reportages, d’études, de Greta Thunberg vous faut-il pour que vous ayez enfin une chance de comprendre l’avenir qui se dessine devant nous, c’est-à-dire celui de l’ultime ultimatum ? Et comprendre ne suffira pas, il faudra agir ! Vous sacrifier pour nous laisser vivre : c’est aussi simple que ça.

Je ne parle pas des pauvres, premières victimes des excès, je parle des riches, je parle de moi. (…) de tous ceux qui ont le choix.

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Bip, problème : si on enlève un grain de sable des plages éperdues de votre confort, c’est la révolution générale, c’est le communisme, c’est l’entrave extrême à la liberté la plus essentielle : celle de tuer en toute impunité. Ne méprenez pas mes propos ; je ne parle pas des pauvres, premières victimes des excès, je parle des riches, je parle de moi. Je parle de ceux qui polluent plus qu’ils n’ont besoin, ou pour faire plus simple, de tous ceux qui ont le choix.

Comme j’aimerais un vrai bon coupable pour lui crier toute ma colère, toute mon aigreur ! Mais comment en vouloir aux moutons de suivre aveuglément les chemins de la gloire éclairés à coups d’artifices ? Et comment en vouloir aux bergers, qui ne sont que les moutons des moutons, les chefs de peloton, d’être tout autant animés par les lumières du pouvoir ? Tous coupables, tous victimes.

Cependant, ce n’est pas une raison pour ignorer leur responsabilité ; les moutons sont heureux de se conforter dans leur rôle et les super-moutons essaient tant bien que mal d’ignorer l’insignifiance de leur existence dans l’illusion du pouvoir.

La jeunesse a déjà choisi son camp, celui de sa survie, mais vous autres, retraités, quinquagénaires, quadragénaires, trentenaires : que voulez-vous défendre de vous-mêmes ?

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Ces vices que j’accuse, je le sais, animent chaque humain. Oui, je suis l’assassin de ma propre vie. Oui, nous, jeunesse définitivement sacrifiée, nous avons dans le ventre la rage de la vie et la conscience que tous les vices qui nous ont menés à ce point si critique de l’histoire de l’humanité vivent en nous et continueront d’emprunter le monde de leur sang à chaque seconde écoulée. Nous avons en nos cœurs la même avarice, la même soif d’amour et de pouvoir, le même don d’ignorance. Et, pour cela, nous n’accuserons pas le passé ; nous aurions fait la même chose. C’est au présent qu’il nous faut penser et qu’il nous faut agir ; quelle place voulons-nous donner à ces vices dans nos vies? Quelle exigence voulons-nous nous infliger à nous-mêmes? La jeunesse a déjà choisi son camp, celui de sa survie, mais vous autres, retraités, quinquagénaires, quadragénaires, trentenaires ; que voulez-vous défendre de vous-mêmes ? Quelle idée d’Homme voulez-vous être ? Car le choix n’a jamais été aussi simple ; vous avez deux options : être un meurtrier et continuer joyeusement l’hécatombe ou être un meurtrier et réduire la liste des victimes.

Ce choix ne relève que de votre conscience ; c’est entre vous et vous que tout se joue. Et ne vous inquiétez pas, quoi que vous décidiez, les dernières décennies ont montré que jamais vous ne serez inculpés.

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