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Conversation transatlantique entre Safia Nolin et Albin de la Simone

À l'occasion du Festival Transe Atlantique qui aura lieu du 25 au 27 août à Saintes.

Par
Owen Barrow
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On est vendredi, il est 19 h 30 et j’ai rendez-vous chez Albin de la Simone dans l’est de Paris. Oui, vous avez bien lu. J’ai rendez-vous avec Albin, mais aussi Safia Nolin, en Skype de l’autre côté de l’Atlantique, en direct de Montréal. Pourquoi ? Parce que le Festival Transe Atlantique approche à grands pas et, avec URBANIA, on s’est dit que c’était une belle excuse pour rencontrer ces deux artistes et faire parler leur sensibilité d’un continent à l’autre. Un avant-goût de ce qui nous attend à Saintes du 25 au 27 août 2022.

Safia, peux-tu me présenter Albin, et Albin, me présenter Safia ?

Safia : OMG, vas-y en premier! Non, non, ok j’y vais… Albin, je le connais parce qu’on a plein d’amis en commun. La première fois que je l’ai vu, c’était lors de ma première fois en France, on était allés diner chez toi, Albin, avec Joseph, Pierre, Monia peut-être ? Je ne sais plus. Je ne me souviens plus de qui était là, mais il y avait du monde. Pas Claire (ndlr, Claire Pommet, alias Pomme), car elle n’existait pas, elle n’était même pas née ? (rires) Bref, c’était ma première expérience avec les Français, à part la tour Eiffel, je veux dire. J’avais vraiment aimé ce souper, et on est restés en contact depuis. J’ai fait ta première partie à un moment donné, je crois, aussi…

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Albin : Oui ! À La Rochelle, et on s’est revu à Montréal. Owen, on ne répond pas du tout à ta question, si ? (rires)

Non, mais c’est beau de vous écouter vous remémorer tous ces souvenirs, je ne veux pas vous couper! J’ai tout l’historique. Mais alors, Albin, dis-moi, qui est Safia ?

Albin : Safia c’est une auteure-compositeure-interprète. On l’est tous les deux, en fait.

Safia : Il est français…

Albin : Elle est québécoise, elle est jeune, je suis plus vieux.

Safia : Oh, quand même ! On n’est pas de la même tranche d’âge, mais pas si loin non plus.

Albin : Elle écrit de très très belles chansons et elle est très engagée publiquement, ce que je ne suis pas tellement. C’est un trait de personnalité publique et artistique. L’engagement est intégré à son expression artistique.

Safia : C’est vrai, mais Albin c’est aussi un… Ohlala, je ne sais pas quoi dire. Non, mais il écrit aussi de magnifiques chansons, c’est un artiste que j’aime beaucoup. Moi, je trouve que t’es engagé dans ton art à ta façon, Albin. Moi, mon engament, il n’est pas dans mon art, en réalité. Bref, Albin est un très bon artiste, pour lui et pour les autres. « Ça torche », comme on dit au Québec !

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Pouvez-vous me parler de la relation que vous entretenez avec le pays de l’autre ?

« J’adore passer du temps en France, mais c’est jamais confortable pour moi. C’est très challengeant, parce que je suis challengeante pour les Français. »

Safia : Oh, vas-y en premier, j’ai trop à dire… Non, attends, j’y vais ! Ahhhhh, j’ai vraiment une relation amour-haine avec la France. En fait, c’est plutôt amour-haine-haine. Il y a plus de haine que d’amour… J’adore passer du temps en France, mais c’est jamais confortable pour moi. C’est très challengeant, parce que je suis challengeante pour les Français. Je me sens souvent observée, critiquée, regardée de travers. Quand je viens pour travailler, c’est encore pire parce que je dois vendre ma personne à une industrie qui n’est vraiment pas faite pour mon genre de personne. C’est souvent un peu décevant. Mais j’ai plein d’amis ! J’aime le fromage, c’est un très beau pays ! Sinon c’est un peu déprimant pour moi…

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Albin : Je comprends complètement ton point de vue, Safia. La France est un pays dur à certains égards. L’industrie musicale est dure aussi. Bon, mais je dois parler du Québec ! Pour moi, le Québec est beaucoup plus doux sur certains aspects. Même s’il y a quelque chose de très dur, de très coupant chez vous aussi. Mais c’est plus enrobé. Tu vois, par exemple, ce qui t’arrive au Québec publiquement, c’est d’une violence ! C’est d’une dureté différente. Je vais au Québec une à deux fois par an, j’y ai de la famille, des amis, des collaborateurs avec qui je travaille. J’ai fait tous les festivals ! C’est un endroit où je me sens bien et où j’ai vraiment l’impression d’avoir des cousins. Montréal, c’est la ville que je connais le mieux après Paris. Je m’y sens en famille et ça me fait beaucoup de bien.

Racontez-moi votre plus beau souvenir dans le pays de l’autre.

Safia : J’adore me balader en France, c’est tellement beau et il y a tellement de diversité dans les paysages. Un de mes plus beaux souvenirs en France, c’est la fois où on a fait du bateau-mouche à Paris avec Claire. C’est trop niaiseux mais wowwww !

Albin : Non, non c’est pas niaiseux !

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Safia : Mais oui, c’est trop touristique pour les Parisiens, mais c’est tellement incroyable, au coucher de soleil, tellement fou. Et sinon, Céline Dion à Bercy ! La tournée avec Lou Doillon aussi, c’était la première fois que je sortais du Canada, que je prenais l’avion, etc. Bref, ma première fois en France, je ne comprenais rien, c’était incroyable !

Albin : J’en ai tellement, des bons souvenirs ! Moi, c’est faire de la musique avec des musiciens québécois, j’adore ça. Il y a quelque chose que je trouve vraiment fort chez eux, qui est encore fragile en France. Ils sont profondément musiciens, il y a un truc qui m’impressionne. Ce qui me plait vachement aussi, ce sont les pique-niques que j’organise au parc Jeanne-Mance, quand j’essaie de réunir tous les copains. Chacun amène des trucs : c’est vraiment des supers moments pour moi.

Safia : Il n’y a pas la culture des parcs à Paris, c’est vrai !

Albin : On va plus chez les gens, ou en terrasse.

Si vous pouviez échanger quelque chose ou quelqu’un avec l’autre pays, ce serait quoi ? Ou qui ?

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Safia : Le fromage ! Le premier ministre québécois ! Le système de santé surtout, j’échange ça.

Albin : Et nous, on n’en veut pas de votre système de santé, mais je veux bien votre système éducatif ! L’école pour les kids, les jeunes, et le cégep.

Est-ce que la musique traverse bien l’océan ? Et dans quels sens ?

Safia : Trop peu, c’est unidirectionnel. Quand j’allume la radio, j’ai que Clara Luciani, Angèle, Pomme, Eddy de Pretto… À l’inverse, j’ai l’impression qu’en France, il ne peut y avoir qu’un seul artiste québécois qui fonctionne en même temps. Ça doit être Hubert Lenoir chez vous en ce moment ?

Albin : C’est vrai qu’on n’a pas du tout une vision représentative de ce qu’est la musique au Québec, en France. Tu demandes à quelqu’un dans la rue ce qu’il connait du Québec, il va dire Céline, Garou ou Natasha St-Pier. Les plus avertis vont dire Hubert Lenoir, Pierre Lapointe, Safia Nolin, ou Ariane Moffat peut-être, mais ça reste incomplet. Personne ne connait Daniel Bélanger, par exemple.

Safia : Y’a comme du dédain, je crois.

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Albin : En France, il n’y a pas beaucoup de chanteurs avec accent, à part peut-être Francis Cabrel ou Christophe Maé. Il y a une vraie discrimination des accents. Il y a un complexe de l’accent, peut-être déjà naissant au Québec, mais surtout un manque de curiosité chez nous. Et c’est très con. Trop dommage.

Safia : BIEN CON, OUI !

Est-ce que tout ce qu’on se dit là s’applique à d’autres secteurs artistiques ? Comme le cinéma ?

Albin : Absolument. On ne connait rien au cinéma québécois, à part Villeneuve, Vallée, Dolan ou Chokri.

Safia : Y’a tellement de bons films en plus… C’est dommage.

Pour rééquilibrer un peu tout ça, est-ce qu’il y a des artistes québécois que tu aimerais nous faire découvrir, Safia ?

Safia : Oh bah oui, tous mes amis, toute la famille ! (rires) Ça me stresse à chaque fois cette question parce que j’oublie tout le temps des gens. Rosie Valland, Étienne Coppée…

Albin : Il est au festival, Étienne !

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Safia : Mais oui, j’adore ce qu’il fait, j’ai vu son spectacle, ça m’a transcendée de beauté. Ariane Roy que j’aime beaucoup, Chassepareil… En ce moment, ce que j’aime beaucoup, ce sont les groupes québécois qui puisent leur inspiration dans les années 70.

Albin : C’est une identité vraiment forte et on a plein de chose à en découvrir. Il y a le côté folk qui est beaucoup plus authentique, beaucoup plus profond chez vous. La culture de la guitare, quoi ! N’empêche que c’est cool qu’on ait enfin un festival franco-québécois comme le Festival Transe Atlantique à Saintes. Quand on m’en a parlé, j’ai tout de suite adhéré, il fallait faire un festival comme ça pour créer des ponts : il était temps.

Safia : Tellement d’accord !

Pour finir, Albin, c’est qui, l’équivalent de Céline en France ?

Albin : Johnny, sans hésiter. Quelqu’un qui n’a jamais écrit une chanson…

Safia : Elle a écrit une chanson, Céline !

Albin : Oui, Johnny aussi, je crois. (rires) Il avait une voix de dingue, une certaine force et un charisme qui plaisait à beaucoup de monde. Comme Céline. Moi, j’aime ni l’un ni l’autre, je suis étanche à tout ça, mais j’ai beaucoup de respect pour la carrière et tout le reste. Je les mets au même endroit. Pas toi, Safia ?

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Safia : TELLEMENT PAS ! Je trouve ça insultant ! (rires) Johnny, c’est genre « arkkk »… Respect parce que je sais que c’est Johnny, mais…

Albin : Mais qui, alors ?

Safia : C’est vrai que sur la relation avec le public, Johnny, c’est le meilleur exemple, c’est comme Céline. Ici, elle est intouchable, tout le monde la critique tout le temps, mais Céline, c’est Céline, c’est comme la fille du Québec. Le Québec est fier d’elle. Mais c’est vrai, c’est dur, vous n’avez pas ça, vous, des femmes chanteuses, divas, qui chantent fort. C’est plus américain, je crois.

Albin : Mireille Mathieu ou Edith Piaf, alors ! Des interprètes qui chantent fort et qui véhiculent une émotion, une image de la France, je ne sais pas…

Safia : Edith Piaf, c‘est vraiment une image de la France « baguette tour Eiffel »! (rires)

Et Aya Nakamura, alors ? Quel équivalent ?

Safia : Moi, je l’adore, je pense que son équivalent québécois, ce serait… C’est dur, en fait ! Je ne sais pas, on est moins dans ce genre de musique là au Québec. Il n’y a pas vraiment d’équivalent.

Albin : Mais c’est bien, tant mieux pour elle !

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Safia : Mais moi, j’adore ça, je l’adore, je l’écoute et j’espère qu’elle va venir jouer un jour. Je vais lui demander, je vais la DM sur Insta. Je vous tiens au courant !

C’est fini pour moi… Merci d’avoir joué le jeu ! Avez-vous quelque chose à ajouter avant qu’on se quitte ?

Albin : Tu joues quand au Festival, Safia ?

Safia : Le 25 août.

Albin : Et tu restes après ?

Safia : Non, il faut que je parte, pour la sortie de l’album de Claire.

Albin : Et moi le 27, on ne va pas se voir alors…

Safia : Non, mais je vais passer un mois et demi à Paris.

Albin : Ok, alors on va se voir là !

Safia : Ouais, je viens vivre ma vie de Française…

Albin : Ça va bien se passer, ça va être doux.

Pour retrouver Safia et Albin en vrai, rendez-vous du 25 au 27 août à Saintes pour la première édition du Festival Transe Atlantique. Soyez là !

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