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Confiné loin de chez soi: être étudiant étranger à Paris

La vie à la Cité U continue.

Par
Léa Martin
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Cela fait déjà un mois que j’ai quitté la Cité internationale universitaire de Paris à la vitesse grand V. En à peine trois jours, je suis passée de « je m’en bats les steaks du virus, je me confine avec mes potes » à « pas ouf le confinement dans 17 m2 sans contact humain, let’s get the fuck out ». Il faut comprendre qu’à ce moment-là, plusieurs rumeurs couraient sur le fait qu’ils pouvaient fermer la cité universitaire à tout moment, et que nous pourrions rester coincés.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas la Cité internationale universitaire de Paris: c’est un énorme campus d’habitation dans le 14e, sur le bord du périph. Dans ce grand parc entouré d’un portail, 5 800 chambres réparties dans 40 maisons hébergent des étudiants et des chercheurs provenant du monde entier.

Pendant six mois, j’habitais dans la Maison des étudiants canadiens, entre celle de l’Argentine et la maison de la Fondation Deutsch de la Meurthe (qui ressemble à un pavillon de Poudlard). Après une journée à Châtelet et une énième ride dans le RER B des enfers, c’était un réel soulagement de franchir les portes de la cité: dans ce décor idyllique, les bruits de la ville étaient feutrés. Les langues étrangères se mélangeaient dans cet immense espace vert où les maisons aux architectures variées représentent les différentes cultures qui y cohabitent.

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Mais à mon départ, l’ambiance avait changé. Les responsables de la maison canadienne bloquaient l’accès à tous les espaces communs. La plupart des étudiants quittaient la résidence en coup de vent laissant derrière eux, nourriture, livres, vaisselle, etc. Dans les couloirs de plus en plus vides, ça commençait à sentir la fin du monde, alors que, par la fenêtre, on voyait des Parisiens pique-niquer au parc Montsouris de l’autre côté du Boulevard Jourdan. On avait ce feeling, comme si on savait ce qui allait se passer avant les autres. C’était la veille de l’annonce du confinement.

Depuis, je reste en contact avec mes potes qui ont décidé de rester, ou qui n’ont pas eu choix. Les premières semaines ont été difficiles. Il fallait s’organiser, et vite. « Personne en France ne prenait la situation sérieusement, explique Vivienne. Mes parents qui vivent en Chine m’expliquaient l’importance du problème depuis plusieurs semaines. Les Coréens, les Italiens, anticipaient aussi la crise. Si l’on semblait en faire trop, maintenant, nous sommes prêts ».

Organiser les troupes au temps du COVID-19: La Maison canadienne

Vivienne qui étudie au Master en sécurité internationale à Science Po Paris a tenu à coordonner les 27 étudiants qui restent à la maison canadienne pour assurer leur sécurité. « Si quelqu’un tombe malade, tout le monde va l’avoir. Il faut donc s’organiser si quelqu’un doit se mettre en quarantaine », explique-t-elle. Dans la plupart des résidences de la Cité, les cuisines sont partagées. Certaines maisons ont même des douches et des toilettes communes. Si une personne infectée utilise ces espaces, les risques de contagion sont très forts, surtout avec un personnel d’entretien réduit.

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Vivienne s’est donc portée volontaire pour faire des repas chauds et sortir les poubelles d’une de ses amies en quarantaine. Heureusement, l’étudiante américaine n’a développé aucun symptôme. Aujourd’hui, les résidents ont commencé à s’habituer à cette nouvelle vie. Jeet, un étudiant indien qui vit à la maison canadienne, et Vivienne se sont organisés un club de course et de discussions philosophiques. Ils sortent courir sur le campus qui est maintenant fermé au public. « Je me lève vers 9h30, je regarde des memes, je vais faire ma course matinale et j’assiste à mes cours en ligne », raconte Vivienne en parlant de sa journée type en temps de confinement. « Ensuite, je rejoins des amis pour des apéros virtuels et des clubs de lecture ».

La vie ailleurs sur la Cité

Le 17 mars, la direction de la Cité universitaire affirmait que seulement un tiers des étudiants étrangers avaient quitté les lieux. Surtout les Américains et les Canadiens dont les pays leur avaient demandé de rentrer. Beaucoup d’étudiants sont restés parce que les frontières de leur pays d’origine se sont fermées, pour des raisons financières ou pour ne pas prendre le risque de contaminer leurs familles en rentrant.

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C’est le cas de Rafik, étudiant en informatique à la Sorbonne qui vit encore dans la maison Deutsch de la Meurthe. « C’est comme Lost. Tu vis seul. Les couloirs sont vides, indique-t-il. On est coupé du monde, tu vois juste à travers ta fenêtre et même dehors, il n’y a personne ». Pour cet étudiant qui passait la majorité de son temps à l’extérieur, le changement a été drastique. S’il sort quand même pour faire des courses et faire du sport tous les jours, la solitude est difficile à vivre, surtout loin de sa famille et de ses amis.

À la détresse psychologique, un stress financier s’ajoute. Dans le cas de Rafik qui est informaticien, il peut continuer à faire du télétravail, mais ce n’est pas de cas de tous les résidents de la cité. Pour plusieurs d’entre eux, qui ont perdu leur emploi, payer le loyer devient un fardeau de taille. Des pétitions ont d’ailleurs circulé sur le campus pour faire baisser le prix de ceux-ci. « Tous les services ont été réduits, du coup ce n’est pas logique que l’on paye la totalité du loyer », indique Rafik. D’ailleurs, plusieurs maisons ont décidé de réduire le loyer de 100 euros pour le mois d’avril.

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Un fonds d’aide financière exceptionnelle est aussi mis en place pour aider les résidents le plus dans le besoin et des ressources sont mises en place pour de l’aide psychologique, administrative, etc.

S’adapter à la vie en ligne

De son côté, Gokul, étudiant au PHD en neuroscience à la Sorbonne s’adapte plutôt bien à sa vie de confiné à la maison du Cambodge. S’il trouve ça difficile de ne pas voir ses amis en chair et en os, il voit aussi les bons côtés de la situation. « Nos amis et notre famille restent à la maison alors ils sont encore plus disponibles qu’avant, indique-t-il. J’appelle ma famille presque tous les jours ».

Il devait donner une conférence à New York au mois de mars et tout l’évènement a été transféré en ligne. « Une conférence internationale comme celle-là coûte très cher à organiser, mais en ligne, c’est beaucoup moins cher, c’est moins polluant et nous avons quand même passé un très bon moment », raconte-t-il.

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Il constate la vitesse à laquelle nous nous sommes adaptés à cette vie en ligne et indique que l’on pourrait continuer à vivre ainsi, même si ce n’est pas nécessairement ce qu’il souhaite. Il salue également la communication de la direction de la cité qui organise des lives Facebook pour répondre aux questions des résidents.

En regardant comment certaines résidences étudiantes ont fermé leurs portes du jour au lendemain dans le reste du monde, il est content de pouvoir rester vivre à la cité. « J’ai surtout des choses positives à dire, mais je crois que l’expérience doit être très différente pour un étudiant international malade, qui doit aller à l’hôpital par exemple », ajoute-t-il en se mettant à la place de ceux dont le quotidien est plus difficile.

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