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Confessions d’un (ex) accro au porno

Du plaisir à portée de main à l’addiction.

Par
Pauline Allione
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Des heures de vidéos par week-end, des orgasmes à la chaîne, puis la sensation de vide, l’épuisement, la libido saturée… Les montagnes russes physiques et psychiques de la dépendance au porno, Sylvain Guigni les a longtemps connues. Désormais libéré de son addiction, le Toulousain de 37 ans aide celles et ceux qui se trouvent à leur tour pris dans l’engrenage de la masturbation sur écran à travers addict-porno.fr, le site qu’il a créé. Pour URBANIA, il a accepté de nous raconter son addiction au porno, jusqu’au sevrage.

La première fois que j’ai vu des images pornographiques, ça ne m’a rien fait. J’avais 14 ans, je ne m’étais encore jamais masturbé et des copains du foot avaient ramené un magazine autour duquel nous étions tous attroupés. J’ai regardé leurs poitrines refaites, mais ça m’a fait autant d’effet que si elles étaient habillées sous des couches de vêtements. C’est des années plus tard, à la fin du lycée, que la routine de la masturbation sur des vidéos a commencé à s’installer, avant de prendre un peu plus de place à mon emménagement dans mon propre appartement. L’ordinateur n’était pas dans le salon comme chez mes parents, et le porno est soudainement devenu beaucoup plus accessible. Je ne connaissais pas grand monde dans cette nouvelle ville, je n’avais pas une vie sociale riche, et le porno venait combler ces moments de solitude ou d’oisiveté. D’une demi-heure à regarder des vidéos tous les deux ou trois jours, je suis passé à des sessions d’une heure. Je passais plus de temps à chercher le plan et la scène qui me donneraient du plaisir qu’à me masturber. C’est surtout le week-end que je me fondais dans le porno, et il m’arrivait d’y passer 4 heures par jour pour une poignée d’orgasmes.

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« À LA FIN D’UNE SESSION JE ME SENTAIS VIDE, MAL ET COUPABLE »

Une fois que j’avais joui, je cherchais d’autres scènes pour continuer la session, mais atteindre l’orgasme était de plus en plus compliqué. C’est un peu comme quand on mange des cookies : le premier a beaucoup de saveur et donne du plaisir, mais les suivants sont moins convaincants. Après avoir joui mon corps était fatigué, je n’avais plus de libido et il me fallait quelque chose de différent pour me faire de l’effet, ce qui se traduisait malheureusement par des contenus violents. L’excitation montait en regardant des scènes qui relèvent de la maltraitance tout en étant communes dans l’industrie du porno, ce qui donne une impression de normalité, mais mon regard se faisait de plus en plus distant. C’est devenu un cercle vicieux : la surconsommation, la recherche de l’orgasme à tout prix et le glissement vers des vidéos de plus en plus violentes alimentaient le mal-être qui était en train de se creuser en moi. À la fin d’une session je me sentais vide, mal et coupable d’avoir participé, en tant que spectateur, à la production de ces vidéos que je n’aurais jamais validées dans la vraie vie.

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« JE RESSENTAIS MOINS DE PLAISIR PENDANT LE SEXE PARCE QUE MON CORPS ÉTAIT HABITUÉ À JOUIR DANS UNE CERTAINE CONFIGURATION »

C’est un début de dépression qui m’a poussé à m’interroger sur ma consommation de porno. J’ai commencé à réaliser que je vivais ma sexualité à travers celle d’autres personnes, et que ce n’était pas tout à fait normal. Je ressentais aussi les symptômes de la dépendance : j’étais moins sensible au charme des femmes dans la vraie vie, j’hypersexualisais celles que je croisais, et les vidéos que je regardais s’éloignaient de plus en plus de la sexualité à laquelle j’aspirais. Avec ma copine de l’époque, je ressentais moins de plaisir pendant le sexe parce que mon corps était habitué à jouir dans une certaine configuration qui ne comprenait que moi, mes mains et mes yeux fixés sur un écran. Sans compter que j’étais vide intérieurement, parce que j’avais déjà dépensé toute mon énergie dans la masturbation et qu’à la fin, j’avais l’impression de sortir d’un marathon. L’addiction ne pesait pas uniquement sur ma vie sexuelle : j’avais des pulsions de colère, je n’arrivais pas à canaliser mes émotions. J’avais parfois des flashs, et il suffisait d’un moment d’égarement pour que mon cerveau m’envoie l’image d’une actrice et que je sois rappelé par le porno.

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Mon addiction à la pornographie devenait évidente, alors j’ai consulté un psychologue pour traiter ce problème. On s’est vus quelques fois puis j’ai continué mon sevrage seul, à travers des lectures et des sites qui documentaient le processus d’addiction et le sevrage. J’ai compris le mécanisme de l’addiction et son impact sur mes réactions et mon quotidien. Et surtout, les témoignages d’autres personnes confrontées au même problème m’ont aidé à me sentir moins seul et à déculpabiliser.

« JE NE REGARDE PLUS QUE DES CHOSES LENTES ET DOUCES »

J’ai installé un logiciel de contrôle de sites internet pendant un moment, mais ça n’a pas fonctionné car dès que je l’enlevais, je revenais à ma consommation d’avant. Au lieu de m’appuyer sur des outils extérieurs, j’ai appris à gérer moi-même mes pulsions. J’écoute mon corps et j’aspire à l’idéal du zéro porno, mais s’il m’arrive de céder à une pulsion et d’en consommer, c’est bien différent d’avant. Maintenant, je ne regarde plus que des choses très lentes et douces avec lesquelles je suis en accord, des interactions que j’aurais envie de vivre dans la vraie vie. Pendant ces visionnages, je suis plus à l’écoute de mes sensations et ne cherche pas à ce que cela dure longtemps, et je suis aussi beaucoup plus sensible à la sensualité. Il m’arrive même de jouir alors que les acteurs sont encore habillés.

Propos recueillis par Pauline Allione.

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