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Comment Shrek est devenu l’icône d’une génération

Pourquoi cet amour quasi universel pour l’ogre aux oreilles en trompette ?

Par
Pauline Allione
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En 2001, DreamWorks faisait découvrir au monde un ogre qui ne rêve que de tranquillité dans son marais, de péter dans des bains de boue et de manger à la lumière de bougies faites de sa propre cire d’oreille. Vingt ans plus tard, cette version semi parodique de conte de fées narrée en quatre épisodes continue de faire chavirer les cœurs. Des fans du film d’animation se retrouvent chaque année au Shrekfest aux États-Unis, un road movie autour de ce même festival devrait bientôt voir le jour, et il existe même une sculpture géante de la tête de Shrek quelque part en République Tchèque. Des témoignages d’amour IRL à ceux faits sur les réseaux, comment Shrek est-il devenu idolâtré d’une génération entière ?

« Shrek c’est un peu le film que tu regardes les premiers soirs d’automne avec un chocolat chaud, une petite bougie à la cannelle et un plaid dans ton canapé… Ça a ce côté hyper rassurant, un peu comme Harry Potter, mais pas du tout dans le même registre, parce que Shrek c’est trop drôle », raconte Liv, éprise de Shrek depuis son enfance. Avec ses répliques, sa bande originale et ses héros aux antipodes des classiques de Disney, Shrek s’est très vite imposé comme un dessin animé doudou qui fait rire autant qu’il réconforte. Avant la production DreamWorks, les contes de fées ne mettaient en avant que des princesses à la taille de guêpe, soit naïves soit endormies, et des princes aux cheveux gominés et au dos bien droit sur leur cheval blanc. Shrek n’a quant à lui rien du prince charmant : il est gros, vert, a des petites oreilles en trompette et son kiff, c’est de pousser des cris et lâcher des énormes rots.

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L’humain dans la monstruosité

« Shrek est un peu l’antihéros dans lequel on se retrouve », analyse Geneviève Djenati, psychologue clinicienne et autrice de Psychanalyse des dessins animés. « Il est monstrueux de par sa couleur et par sa forme mais il est sympathique, il a des failles, il réussit ce qu’il entreprend… Il ressemble finalement beaucoup plus à l’être humain que tous les princes charmants ». Poussé par son amour pour son marais et son rêve de vie en solo, Shrek reflète un naturel et une simplicité que les autres héros n’ont pas. Pour lui, trouver l’amour, être beau et apprécié ne sont pas des fins en soi et quoi qu’il entreprenne, l’ogre reste égal à lui-même. Adieu le poids plume et les traits de princesse canon de beauté de Fiona, le couple d’ogres privilégie l’amour et embrasse une vie tranquille mais recluse, loin des jeux de pouvoir et des humains parmi lesquels ils suscitent des cris d’effroi. « Il est plus authentique que tous les autres héros car il ne répond pas à des normes et déjoue les apparences. Shrek est une preuve que l’on a droit au bonheur peu importe les différences, et donne de l’espoir : il n’y a pas besoin d’être le plus beau, le plus riche ou le plus intelligent pour réussir. Cette non conformité traverse le temps et les modes », affirme Geneviève Djenati.

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Bien sûr, Shrek doit aussi son succès à l’écriture des personnages, au second degré des répliques et à son casting. Avec Eddie Murphy dans le rôle de l’âne, Antonio Banderas dans les bottes du Chat potté et Alain Chabat pour incarner la voix française de Shrek, DreamWorks a parié sur des voix iconiques du paysage cinématographique français et outre-Atlantique. Le film est aussi bourré de références à la culture pop de l’époque : Fiona dort sous un poster de Sir Justin, alias Justin Timberlake, dans sa chambre d’ado, les ruelles de Fort Fort Lointain sont blindées d’enseignes de multinationales comme Gap ou Starbucks, le corps du roi Harold, mort après avoir été transformé en grenouille, est déposé dans une boîte à chaussures Foot Locker… Autant d’anachronismes et de références cinématographiques et musicales qui participent à faire de Shrek un conte résolument moderne et ancré dans l’époque des spectateur·ice·s.

Icône 2.0

Avec quatre films et une poignée d’épisodes spéciaux, Shrek, l’âne, Fiona et les autres ont immanquablement marqué la culture des enfants des années 90 et 2000. Au point que pour toute une génération ayant grandi en même temps que MSN, les Skyblog et les forums, l’ogre de DreamWorks s’est transformé en élément de la culture 2.0. « Shrek est un super matériau pour faire des mèmes. Les films étaient super connus dans les années 2010, et contenaient énormément d’éléments qui pouvaient connaître une forme de viralité sur le web. Il y a la musique “All Star” de Smash Mouth, le Chat potté qui surfait déjà sur les lolcats de l’époque, les répliques des méchants. Le design de Shrek est aussi très bien pensé. On peut le reconnaître facilement, même s’il est mal dessiné, ce qui permet aux créateurs du web de se le réapproprier très facilement », détaille Laura Goudet, maîtresse de conférences en linguistique anglaise à l’Université de Rouen et spécialiste d’analyse de discours en culture numérique dans les lignes de l’ADN, qui a consacré un article au sujet.

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Si Shrek est plus présent sur les réseaux que jamais, c’est aussi à cause de la tendance Y2K qui fait ressurgir la culture et l’esthétique des années 2000. Les Winx connaissent une seconde vie dans une série Netflix, les acteur·ice·s de Un, Dos, Tres reprennent du service, et les Totally Spies et les Bratz deviennent des icônes mode sur TikTok et Instagram. Issu de la même génération, Shrek a plus ou moins connu le même regain d’intérêt, à la différence que le propriétaire du marais se fond également à merveille dans la mode du moche. Apparue après le début de la pandémie, cette tendance a remis au goût du jour des objets kitchs ou longtemps décriés comme les Crocs ou les piercings (pour les plus averti·e·s), mais aussi du merch à l’effigie de Shrek. Ce qui explique que certain·e·s demandent des manucures du vert cireux de Shrek, ou s’endorment à la lueur d’une veilleuse aux traits de l’ogre le plus célèbre du monde.