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Note AlloCiné : 3,1 /5. Note Sens Critique : 5,7/10. Note Ecran Large : 2 /5. Pas ouf, donc.
Et pourtant, une standing ovation de 7 minutes (adressée à Johnny Depp uniquement, pas au film ou à la réalisatrice, notez la nuance), une couverture médiatique complaisante, et surtout, la confirmation que le milieu du cinéma, en particulier à Cannes, accepte et encourage les violences sexuelles et le militantisme anti-féministe.
Le dernier film de Maïwenn, Jeanne du Barry, choisi pour faire l’ouverture de la 76ème édition du festival de Cannes, qui a débuté le 16 mai, est un excellent moyen de comprendre le continuum de la violence.
Un succès qui surfe sur le sexisme
En France, on vit quand même dans un pays fantastique. Un pays où l’on est moins nombreuses à boycotter les salles d’un pédocriminel qu’à les remplir pour soutenir une culture patriarcale et O combien misogyne.
La standing ovation de 7 minutes dont a bénéficié Johnny Depp en ouverture du festival de Cannes a plus à voir avec son actualité récente d’homme violent qu’à sa prouesse dans Jeanne du Barry, et c’est consternant. Les applaudissements de centaines de personnes certainement tout autant problématiques que lui, c’est une ovation de soulagement : le monde peut continuer à tourner comme avant. On peut être un homme violent, on peut être condamné pour cela (oui, Depp a AUSSI été condamné) et on peut quand même revenir, triomphant, et continuer à vivre normalement.
Il y a fort à parier qu’on ne reverra jamais Amber Heard à l’affiche, mis à part pour Aquaman, tourné avant le procès. La carrière de Heard est ruinée, celle de Depp repart de plus belle. On rappelle pourtant que Depp et Heard ont été reconnus coupables pour diffamation. Johnny Depp n’a jamais été déclaré innocent, pire même, il a été reconnu coupable de violences conjugales. En 2020, le procès qui opposait Depp et le Journal The Sun (Heard n’était alors que témoin), avait fait gagner le journal car il y avait, je cite le tribunal, des « preuves substantielles de la violence de Johnny Depp. » Mais c’est uniquement Amber Heard qui a été jugée coupable par le tribunal misogyne d’internet. C’est la double peine des personnes nées femmes.
On peut donc se questionner, face à une critique qui n’est pas si favorable que cela, si le film aurait connu un même succès sans Johnny Depp ou sans la condamnation de ce dernier pour violences conjugales.
Une violence inouïe pour les victimes
Je n’ai jamais été victime de violences conjugales. Et pourtant, quand je vois à quel point Depp est encensé, depuis peu moins pour son talent (véritable, certes) que parce qu’il a été en procès contre Amber Heard, je ressens une violence rare. Faire le choix politique d’afficher ce film à Cannes, car oui c’est un choix 100% politique. Thierry Frémaux, délégué général du festival de Cannes, nous explique dans l’émission C ce soir du 18 mai : « S’il y a quelqu’un au monde qui ne s’est pas du tout intéressé au procès qui l’a opposé à son ex-femme, c’est moi. Je n’étais pas du tout au courant de tout ça. »
Ce n’est ni plus ni moins qu’un mensonge. Au mieux. Car c’est aussi le travail du délégué général de s’assurer que les personnes qui sont présentes ne mettent pas en danger les autres, non ? Pour une fois en tout cas, on peut remercier la journaliste Laure Adler sur le plateau, qui a recadré magistralement Frémaux en lui assénant un “Vous ne lisez pas les journaux ?” accusateur. Et à raison. Thierry Frémaux fait partie de la caste des dominants, de ceux à qui on autorise tout parce qu’ils sont nés avec le bon bagage, la bonne couleur de peau et le bon sexe. Et il est temps que cela cesse. Frémaux a commis une faute professionnelle, voilà la réalité.
En plus de ça, c’est aussi un homme raciste et qui se pense au-dessus des lois :
Maïwenn, une thérapie, ça te dit ?
Ce qu’il en ressort, de ce film, c’est au final un narcissisme tellement surdimensionné que Maïwenn, qui n’envisage que rarement d’être absente de ses films, est tellement omniprésente qu’on dirait une publicité plutôt qu’un film. D’ailleurs, Chanel étant le partenaire officiel et exclusif du film, ceci explique peut-être cela.
“Omniprésente au cœur de chaque scène ou presque, la comédienne tire plus que de raison la couverture à elle.” confirme la critique ciné des Echos. Le Monde plussoie : “Maïwenn, quant à elle, reste fidèle à son inspiration, qui consiste à ne pouvoir créer qu’à partir d’elle-même.”
Ecran Large va même plus loin : “Jeanne du Barry est à la fois un biopic ronflant et un ego-trip embarrassant de son actrice et réalisatrice Maïwenn.”
Est-ce si étonnant que ça ? Maïwenn, pas féministe pour un sou, fait partie des femmes qu’on peut appeler des pick-me girls. Pour exister, pour briller, elles n’hésitent pas à se placer au centre, à dénigrer ses consoeurs, et ce dans le seul objectif de pouvoir continuer à avoir l’approbation des dominants, des hommes. Maïwenn est une victime collatérale du patriarcat, même quand – en fait, surtout quand – elle nous dit, en interview à Paris Match en octobre 2022 qu’il faut « arrêter de dire que les hommes sont tous des pervers » ou bien, à propos des féministes : « C’est fou ce qu’elles peuvent dire comme conneries ! »
Maïwenn s’est mariée à 16 ans avec le réalisateur Luc Besson, un homme de 16 ans son aîné et récemment accusé de viol par l’actrice néerlandaise Sand Van Roy. Sa construction en tant que femme s’est faite uniquement via le regard masculin, et surtout, elle s’est faite dans la violence. La réalisatrice l’admet volontiers en 2021 dans une interview. Ce qu’elle semble avoir plus de mal à admettre, c’est qu’une thérapie ferait moins de dommages collatéraux que son ego-trip.
Médias complices
Le traitement médiatique français a énormément pesé dans la balance, lors du procès entre Amber Heard et Johnny Depp mais aussi dans l’acceptation et l’acclamation du film de Maïwenn. On la qualifie de “sulfureuse” chez l’Indépendant, on parle d’audace, de la “Reine Maïwenn” dans Les Echos. La distance journalistique et sa supposée neutralité semble avoir bel et bien disparu. Et cela fait bien longtemps que les médias ont choisi leur camp.
Que ce soit dans le traitement du procès ou dans l’acclamation des violeurs, des agresseurs en tout genre, on aimerait bien un peu plus de professionnalisme. En juin 2022, Paris Match titre “Procès Johnny Depp : le verdict est tombé, Amber Heard reconnue coupable”. C’est tout simplement faux puisque les deux ont été condamnés. Le Point propose lui aussi un traitement incorrect et biaisé (sexiste, en fait). “L’acteur a gagné son procès contre Amber Heard”, lit-on dans un article du 3 juin 2022.
Il est temps de comprendre que les médias, qui sont un milieu d’entre-soi privilégié, appartenant à une classe dominante, et composée encore majoritairement d’hommes, diffuse une information non-neutre. Personne n’est neutre, c’est évident, mais le comprendre permet de prendre du recul sur l’information, et il serait grand temps que les hommes, pour produire du meilleur contenu, prennent conscience de leur subjectivité.