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Comment ma dépression m’a sauvé la vie
En regardant le septième épisode de Fleishman Is In Trouble, j’éclate soudainement en sanglots. Je panique, j’ai du mal à respirer. Mon partenaire me caresse le dos, me prend dans ses bras. Je pleure de plus en plus fort, je m’excuse, je n’arrête pas de m’excuser.
Je me reconnais dans Libby, la meilleure amie du personnage principal. Je ne suis pas dans la quarantaine, je n’ai pas d’enfants, mais ma dépression, ce mal-être avec lequel elle vit, je l’ai vécu tout l’été. Et je réalise à ce moment précis que le problème n’est pas à propos de ce que je n’ai pas.
Le vrai problème, c’est moi.
Je ne vais pas bien
Au début, ça allait. Je pensais que j’allais bien. En février, j’allais « correct ». J’avais de gros plans de vie.
Rapidement, en mars/avril, je vais de moins en moins bien. Je pleure tous les jours, je me chicane constamment avec mon chum, je remets notre couple en question, je me remets en question. Je remets ma vie au complet en question, en fait.
Je n’arrivais plus à écrire, j’avais de la difficulté à faire des plans, ma tête était dans un brouillard constant. Je disais avoir besoin de vacances et elles n’arrivaient pas assez vite.
Elles étaient prévues depuis longtemps, ces vacances-là.
Le 9 mai 2024, je suis partie pour Londres. Bye, ciao. Au terme d’une semaine magique, je ne voulais plus partir. Je faisais des crises de panique à l’idée de retourner à Montréal. Peut-être que je devais tout abandonner et déménager à Londres?
Malgré tout, sept jours plus tard, je suis revenue complètement vidée.
Vide. Comme si une partie de moi était restée là-bas. Mon corps est revenu à Montréal, mais moi, Yara, je n’y étais plus.
Je dis à ma psychologue que je ne vais pas bien. Elle me regarde, sachant que je traîne tout ça depuis des mois. J’ai essayé de me séparer, je n’y arrivais pas. J’ai essayé de changer ma vie, ça n’a pas fonctionné. Je me suis heurtée à de l’incompréhension, à des mots violents. Trop de gens me demandaient comment j’allais et d’autres sont devenus des fantômes. Je ne réponds pas aux messages et je pleure ceux et celles qui m’ont fait du mal. Je finis par avouer à ma psy que j’aimerais être invisible. Que ça serait plus facile.
Je. Ne. Vais. Pas. Bien.
Ces mots-là, placés l’un à la suite de l’autre, marquent la première fois où je parviens à m’avouer que je ne peux pas continuer comme ça. Je connais mon état triste naturel, mais cette fois-ci, c’est plus que ça. C’est pas comme d’habitude.
Ma psy arrête de prendre des notes. Son diagnostic est prêt.
« Yara, tu es en dépression », me dit-elle avec douceur et empathie.
Nouvelle explosion de sanglots.
Comorbidité forever
J’ai plusieurs diagnostics à mon actif, mais je ne m’attarderai pas sur ceux-ci. Grâce à mon meilleur ami, Venlafaxine XR, un antidépresseur puissant et difficile à sevrer, j’ai appris à dompter mes démons d’une main de maître.
Ça m’aide à gérer mon trop-plein d’émotions, mon hypersensibilité, mon pessimisme. J’arrive à me réguler et à être plus patiente.
J’ai beaucoup de chance; je suis hautement fonctionnelle malgré la trâlée de diagnostics que j’ai reçus. Je n’ai pas le gène de la dépendance, je fume très rarement, je bois encore moins. Je suis, somme toute, de l’extérieur, une personne très normale, mais je sais que je ne pourrais jamais vivre sans médication.
Cependant, en mai 2024, mon dosage a arrêté de fonctionner. Je continuais à travailler, à rire, mais dès que j’étais seule, je passais la journée à dormir, épuisée. Je me réveillais, je buvais deux gorgées d’eau et je me rendormais.
Quand je suis finalement allée chez le médecin, elle a décidé d’ajouter un autre diagnostic à la liste qui ne finit plus :
« Dépression clinique sévère. »
On fait quoi quand on se retrouve à devoir augmenter sa dose, qu’on repasse par les effets secondaires, mais que rien ne semble fonctionner?
La seule réponse que je peux vous donner est la suivante : je ne sais pas.
Entre mon diagnostic, les pilules qui ne fonctionnaient plus, les pleurs, le fait que je ne savais plus comment gérer le problème… j’ai décidé que j’essaierais de me soigner avec des champignons magiques.
J’avais rencontré quelqu’un au début de ma dépression qui m’avait confié que des doses de 200 mg de mush avaient contribué à régler ses problèmes de dépression chronique.
J’étais fascinée – par la personne et par la méthode. Puis, forcément, à force de taper sur mon iPhone, how to use mush for depression Reddit ou encore magic mushrooms depression automedication, je me suis mise à voir sur Instagram des publicités pour des petites pilules de psilocybine entre deux visionnages de stories de gens qui partageaient leur #bestlife.
Dans ces publicités, on évoquait le pouvoir créatif d’une microdose. La direction artistique et l’image de marque étaient léchées, sur la coche. On était loin du dealer au cégep qui vend des champignons dans un sac Ziploc entre deux matchs de haki…
« Can you show me how to do shrooms? » J’ai posé la question dans ma voix la plus gentille et douce qui soit – bon, c’était par texto, mais je m’entendais dans ma tête. La personne a répondu oui. On a convenu d’un moment pour en faire ensemble, mais finalement, il a annulé en me disant que ça n’allait pas trop dans sa vie.
Comme quoi, même la magie de la psilocybine peut faire défaut.
Une bouée de sauvetage
Alors que tout le monde était en mode Brat Summer, j’ai vécu le Existential Crisis Summer.
Soudainement, j’avais l’impression que je n’avais plus de temps.
Que je devais avoir un enfant dans les deux prochaines années. Que je devais acheter une propriété. Que je devais être sûre de mon couple. Que je devais avoir un gros projet en branle. Que je devais me concentrer sur ma carrière.
Dans son essai intitulé The 30-something life crisis pour Vox Media, Rachel Friedman parle « d’anxiété nébuleuse » pour qualifier cette pression que se mettent les trentenaires. En parlant avec Saba Harouni Lurie, une psychologue spécialisée en relations conjugales et familiales, Friedman met le doigt sur le bobo.
« Les personnes qui espèrent se marier et fonder une famille, ou se trouver à un certain stade de leur carrière, imaginent généralement qu’elles y parviendront à la trentaine », explique Saba Harouni Lurie. « Et ceux qui ont atteint certains objectifs ou repères peuvent être surpris de ne pas être aussi heureux qu’ils l’avaient prévu. »
La vérité est là.
Je n’étais pas aussi heureuse que j’avais imaginé l’être à ce stade-ci de ma vie. Et je ne savais pas comment régler le problème, les pilules n’étant plus la béquille qu’elles étaient censées être.
La personne que je suis aujourd’hui est différente de celle que je m’imaginais devenir. Mais la personne que je suis est aussi le produit de mes expériences, de mes décisions et de mon travail sur moi-même. Ma dépression est le fruit de ne pas m’être écoutée depuis toujours, de m’être mis une pression indue pour faire partie de la gang – la gang des mariés, la gang qui a une maison, des enfants, un 9 à 5.
La gang en apparence parfaite que je vois afficher sa réussite sur Instagram tous les jours.
Ma dépression est arrivée telle une bouée de sauvetage. Elle m’a imposé un moment d’arrêt. Un moment pour enfin m’écouter. Et m’écouter ne signifiait pas de me séparer, de déménager, de tout détruire.
C’était d’accepter que je suis humaine et que ma vie ne ressemble pas à la vie typique d’une trentenaire. Et que je ne veux peut-être pas de cette vie typique. Peut-être que je veux suivre quelque chose d’autre qui me convient mieux. Peut-être que ce quelque chose, c’est plus de tatouages, plus de voyages, plus de moments de lecture, plus d’amis qui me comprennent, plus d’écriture. Quelque chose de moins traditionnel, moins attendu.
Peut-être que c’est aussi d’accepter ce que j’aime – Taylor Swift, l’autofiction, les choses un peu basic comme les chandelles qui sentent le feu de bois et m’habiller comme Meg Ryan dans toutes les comédies romantiques de Nora Ephron.
Mais c’est aussi d’accepter mes choix. Ceux qui ont fait de moi qui je suis. Moins ambitieuse au travail, plus ambitieuse dans mes projets personnels. Moins sûre de la maternité – un peu le contraire de ce que j’écrivais ici.
L’été m’a fait mal. Et aujourd’hui, rendue à l’automne, je ne peux toujours pas dire que je suis guérie de ma dépression. Elle traîne encore un peu et se laisse aller. Pour ce qui est de la médication, à 225 mg sur la Venlafaxine XR, je m’en sors un peu mieux. Non, je n’ai pas fait de mush, mais ça s’en vient – j’ai une date planifiée avec des ami.e.s qui se sont demandé pourquoi je ne leur avais pas demandé en premier.
J’ai un grand projet qui s’en vient l’année prochaine que je réaliserai comme je veux le réaliser. Sans pression. Je reprends mes cours de spinning lentement. J’ai perdu des ami.e.s, mais j’en ai gagné d’autres qui m’acceptent comme je suis. Ma psy dit que j’ai un pied dedans, un pied dehors. Ça va prendre du temps avant de me réactiver, mais je peux être fière du chemin parcouru.
Dans mon océan d’insécurité, ma dépression m’a sauvé la vie et m’a rappelé une chose :
Je suis humaine. J’en vaux la peine.