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Comment l’évolution des standards de beauté reflète la montée du fascisme
La marque de mode Pretty Little Thing change de direction artistique. Elle abandonne son image inclusive et accessible pour adopter un style plus luxueux et traditionnel. Finis les mannequins de toutes tailles et les vêtements abordables. Ce changement reflète une tendance plus large dans la mode, qui suit un mouvement général vers des valeurs plus conservatrices.
« Pretty Little Things ils ont vraiment dit : “fuck les BBL, fuck les grosses, nous on est là pour les skinny et les clean girls”. Ici on est chics et racistes », ironise la créatrice de contenus Monsterlool le 5 mars dernier sur une vidéo TikTok devenue virale. Elle fait référence à la refonte artistique de la marque internationale de fast fashion. Dévoilée début mars, PLT, pour les intimes, adopte désormais une esthétique « quiet luxury » – des vêtements BCBG, en tweed et autres matières d’apparence noble et luxueuse, pour avoir l’air chic en toute discrétion. Sur leur site, au diable les mannequins noires, les silhouettes aux courbes généreuses et les prix « aussi riquiqui que [leurs tenues] », comme le note Ancré en mars. La marque a préféré mettre en avant des silhouettes blanches et plus fines – les collections s’arrêtent désormais à la taille 44.
Plus globalement, ce rebranding s’inscrit dans le climat politique conservateur actuel. En novembre dernier, Dazed, un des magazines de mode britannique les plus influents titre : « Est-ce que l’évolution des standards de beauté aurait pu prévoir l’élection de Donald Trump ? ». L’article mentionne toutes ces tendances internet « no make-up make-up » – un maquillage fait pour ne pas se voir –, le « quiet luxury » les détatouages ou encore les « trad wives » – des femmes au foyer qui romantisent leur vie domestique. Tous ces qualificatifs signent un retour vers des standards de beauté discrets et conservateurs « qui garantissent une idée de patriarcat », analyse Manon Renault, chercheuse en mode et cheffe de rubrique mode aux Inrocks. La spécialiste observe depuis presque deux ans, « une montée des trends autour des “trad wives” et des valeurs conservatrices. »
Looks et mode traditionnels
La France n’est pas en reste. Parmi nos personnalités politiques d’extrême droite, on remarque l’émergence de looks tradi’ et « old money ». Les exemples les plus forts sont Mila et Marguerite Stern qui ont troqué leurs cheveux bleus et leurs piercings pour leur couleur naturelle et des looks classiques – et qui jouent souvent de ce changement d’image sur leurs réseaux sociaux. Selon Manon Renault, ce « rebranding idéologique est fascinant avec cette pseudo-discrétion qui résonne avec la “clean girl” [l’air propre et naturel] ». Parmi d’autres personnalités du même bord, Thaïs d’Escufon, trad wife nationale, et Alice Cordier, présidente du collectif fémonationaliste Némésis arborent également ces looks et ces maquillages discrets. Les deux jeunes femmes sont souvent mises en avant par les hommes de la fachosphère qui mentionnent « la beauté de nos femmes de droites ».
Au-delà de ces spécimens françaises, ces looks discrets seraient « inquiétants pour la place des femmes », explique Manon Renault. « Revenir à une couleur naturelle de cheveux, éviter les éléments artificiels, refuser aux gens l’idée de s’inventer et de construire leur identité », sont tout autant d’éléments qui enjoignent la femme à être « objet plutot que sujet ». Pour elle, « on n’utilise plus le vêtement comme moyen d’expression mais de discrétion. ». Elle voit un lien avec le patriarcat : « La montée du vote conservateur en Europe et aux États-Unis favorise des valeurs plus traditionnelles qui garantissent une idée du patriarcat que l’on observe [notamment] dans la mode. »
Yvane Jacob, journaliste mode et créatrice du compte Instagram Sapé comme jadis, remarque surtout le retour en force des corsets, des crinolines et des silhouettes inspirées des années 50 : « C’est étonnant de voir ces formes du XIXe siècle, qui correspondent à une forme de contrainte, revenir à un moment où les droits des femmes sont menacés. » Elle fait référence à la Fashion Week haute couture de janvier et aux défilés de Schiaparelli, Dior et Valentino. « Comme tous les codes de la mode, c’est extrêmement complexe », poursuit-elle en évoquant le défilé Margiela à la Fashion Week haute couture de 2024 a marqué les esprits du monde entier et a signé le retour du corset et des crinolines : « Il y a une communauté de femmes très féministes et “pro-corsets” en même temps. » « Et sur l’esthétique, c’est difficile de savoir où vont les tendances », nuance Yvane Jacob.
Le fashion business et Donald Trump
Le monde de la mode ne se montre pas vraiment rebelle contre l’extrême droite. Yvane Jacob, racontait au micro du podcast Kink du 3 mars que Dior et Givenchy ont habillé Ivanka Trump pour le bal d’investiture de Donald Trump, en janvier dernier. Oscar de la Renta a lui véti la femme de JD Vance. Cette même soirée, Bernard Arnault, le milliardaire patron de LVMH et sa fille Delphine, dirigeante de Dior acclament le nouveau président. « Je me demande s’il va y avoir une allégeance totale à Trump avec des arrangements commerciaux », se questionne Yvane Jacob. « Parce que si Bernard Arnault passe par là, c’est aussi pour contourner les taxes douanières, comme pour l’industrie de la tech », rappelle la journaliste.
Il y a huit ans, lors de la première investiture de Trump, les marques de mode « étaient gênées d’habiller ces femmes », continue Yvane Jacob. « Aujourd’hui, plus personne ne dit ça. ». À la Fashion Week de New York, elle observe peu de prises de positions : « Les gens de l’industrie de la mode américaine sont dans un état de sidération, quand lors du premier mandat de Donald Trump en 2017, on trouvait un esprit de résistance. » La spécialiste regrette également plusieurs posts instagram de la grande critique de mode Suzy Menkes « pour qui j’avais beaucoup d’estime » qui félicite Hervé Pierre, le designer d’une des robes de Melania Trump.
Une relève de messy girls ?
Tout n’est pas perdu pour autant. 2025 voit aussi l’avènement des « Messy girls ». Lancée en grandes pompes en 2024 avec le Brat summer, cette micro contre-culture embrasse une esthétique bordélique assumée. Crayon noir qui déborde, combo lèvre bling bling, tenues années 2000 (y2k) et corps normaux : c’est aujourd’hui la britannique Lola Young qui incarne particulièrement cette esthétique. Sa chanson « Messy », dans laquelle sont célèbrées ses imperfections, est un tube de ces dernières semaines. Tout porte à rappeler l’indie sleaze des années 2010, culte de Kate Moss qui s’affichait collants troués, démarche débridée et bruyante et visiblement perméable à ce que la presse racontait d’elle.
Manon Renault voit en ce retour de l’Indie Sleaze un « bricolage contre-culturel indie qui réunit aujourd’hui une large communauté ». La spécialiste souligne néanmoins qu’il concerne une frange assez privilégiée de la population : « Tout le monde n’a pas le privilège d’être en contre-attaque tout le temps. ». Au delà de ce désordre sleaze, elle s’interroge sur son évolution : « Cette saison sur les podiums, c’est surtout le retour des corps blancs très maigres », explique-t-elle avant de conclure : « L’indie sleaze, on l’aimerait plus inclusif et chahuteur qu’une esthétique débraillée. »