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Comment les musées font-ils (un peu) plus de place aux femmes ?
De son côté, le musée Montmartre a choisi de miser sur les deux. Prenons l’exposition Surréalisme au féminin (jusqu’au 10 septembre 2023). Plasticiennes, photographes, poètes, artistes… Une cinquantaine de femmes y sont réunies. De là à trouver l’exposition un peu étroite ? « Le mouvement du surréalisme a davantage accueilli de femmes. On voulait montrer qu’elles ont été des actrices majeures du mouvement », répond Alexia Peronnet, responsable de la communication de l’établissement. Le but étant que les visiteurs poursuivent leurs recherches. La rétrospective côtoie celle de l’artiste peintre Suzanne Valadon (1865-1938). « Elle a vécu ici avec son fils pendant assez longtemps de 1912 à 1926. On a reconstitué son atelier à partir d’images d’archives, de témoignages et d’œuvres qu’elle a produites. Elle est la première femme à s’être imposée dans la Société nationale des Beaux Arts », déroule Alexia Peronnet.
La nécessité d’une « transformation plus en profondeur »
Si l’arrivée d’artistes femmes dans les galeries semble fonctionner auprès du public, peut-on parler d’un effet de mode ou d’une petite avancée au sein du milieu très fermé de l’art ? « D’un point de vue macro, il s’agit d’une bonne nouvelle, mais idéalement une transformation plus en profondeur doit se faire », nuance Eva Kirilof, spécialiste belge de l’histoire de l’art et autrice de la bande dessinée Une Place (édition Les Insolentes). Au-delà des expositions temporaires, les directions doivent faire de la place aux femmes dans leurs collections permanentes. « Si elles ne sont visibles que le temps d’une exposition temporaire, quel impact cela aura-t-il sur le grand public ?, questionne l’autrice qui vit à Londres. Elle donne l’exemple de la National Gallery à Londres où une exposition était dédiée à l’artiste baroque italienne, Artemisia Gentileschi, à la fin de l’année 2020 : « Le musée a fait l’acquisition de l’une de ses toiles qui a été ajoutée dans la collection permanente. C’est un peu le modèle à suivre. »
Quand on se penche sur les collections permanentes des musées, les chiffres sont édifiants. A Paris, au Petit Palais par exemple, on compte un peu moins de 200 œuvres d’artistes femmes sur les quelque 50 000 de la collection, soit 0,4%, rapportait le média Franceinfo. Le bilan est un peu moins terne dans les musées d’art contemporain qui peuvent plus facilement acquérir de jeunes artistes. « Dans l’art contemporain, les artistes femmes représentent un quart des collections. Dans l’art moderne, c’est un dixième », reprend Annabelle Ténèze. Elle partage d’ailleurs le même avis qu’Eva Kirilof sur la nécessité d’un travail de fond très important pour féminiser l’industrie de l’art. « Que ce soit à travers la médiation, les discussions… Cela doit englober des actes quotidiens », souligne-t-elle.
« La familiarité engendre l’autorité. »
Or, plus les oeuvres des artistes femmes deviennent familières, plus les gens vont s’habituer à les voir. Par ce processus, elles vont prendre de la place dans l’histoire de l’art. « La familiarité engendre l’autorité », cite Eva Kirilof en reprenant les mots de Frances Morris, à la tête de la Tate Modern de Londres entre 2016 et 2022. Si les femmes sont absentes des galeries, leurs toiles prennent parfois la poussière dans les réserves des établissements. « Certaines sont en train d’être resorties », sourit Matylda Taszycka, responsable des Programmes scientifiques à l’association Aware. Créée en 2014, cette plateforme bilingue en ligne regroupe 1 000 biographies d’artistes femmes du XIXe au XXe siècle. Objectif : réécrire l’histoire de l’art de manière paritaire.
« Cette association est née d’une expérience muséale. Camille Morineau fondatrice d’Aware, était commissaire à l’exposition ‘Elles’ du centre Pompidou. Elle s’est rendue compte de la difficulté d’accéder à des informations fiables sur ces artistes ce qui nourrissait le manque de visibilité », expose Matylda Taszycka. Pour ses recherches, l’association s’appuie sur des comités scientifiques. Leur mission : définir les artistes qu’il faut rendre visibles et désigner les auteurs et autrices de leurs biographies. « L’association Aware est de plus en plus sollicitée. Les directeurs et directrices de musées utilisent notre base de données au quotidien. Notre banque de données sert aux professeurs et aux étudiants », confie-t-elle.
En-dehors des musées, la plus grande visibilité des artistes femmes se fait ressentir sur le marché de l’art. « Oui, on voit une évolution dans ce domaine. C’est un rattrapage normal, mais il ne faut pas oublier que les femmes partaient de zéro », souligne Françoise Livinec, galeriste à Paris. Depuis une vingtaine d’années, elle a exposé de nombreuses femmes. « Homme ou femme, ce n’est pas mon critère de choix. Ce qui compte, ce sont les oeuvres très singulières, personnelles et ancrées dans l’histoire de l’Art », dit cette passionnée. Elle décrit avec passion ses deux dernières expositions, situées dans deux galeries différentes à proximité l’une de l’autre. À l’honneur, les artistes Louise Barbu (1931-2021) et Elga Heinzen née en 1933. Cette dernière avait déjà été exposée chez une galeriste d’art contemporain de l’avant-garde française, Iris Clert, dans les années 70.
« À l’époque, un collectionneur appelle sa galerie pour dire qu’il est intéressé par l’achat d’un tableau d’Elga Heinzein. Deux heures après, il annule la vente découvrant qu’il s’agissait d’une femme », raconte-t-elle. Plus de cinquante ans après, Françoise Livinec n’a jamais connu une pareille mésaventure. Au contraire, la tendance s’inverse. Aujourd’hui, Françoise Livinec est davantage sollicitée par les musées. « Prochainement, je prête des oeuvres de l’artiste française Bernadette Bour (83 ans) au musée de Tessé au Mans. Elle a fait des expositions en Allemagne avec d’autres artistes dans les années 70. À chaque fois, ils enlevaient son nom de l’affiche et il y avait souvent un homme qui se mettait devant elle pour qu’elle n’apparaîsse pas sur les photos », narre Francoise Livinec. Même si le travail de Bernadette Bour a été reconnu dès les années 70, les hommes ne lui ont pas facilité la tâche.
Mais l’ont-ils déjà fait ? Une chose est sûre de plus en plus de musées demandent des toiles de femmes dans une politique de rééquilibrage. Est-ce voué à perdurer ? « Certains hommes me disent que l’engouement autour des artistes femmes est temporaire, mais je pense que c’est seulement le début d’une revalorisation », conclut la galeriste. Sans doute faudra-t-il continuer à se battre pour que cela dure.