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Comment les langages de l’amour sont-ils devenus un phénomène de culture populaire ? 

On souligne les 30 ans de la célèbre théorie de Gary Chapman.

Par
Laïma A. Gérald
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Selon le résultat que j’ai obtenu à un test réalisé sur le site du magazine Psychologies, mon love language (langage de l’amour) est « Sensible aux moments de qualité ».

« Les moments de qualité sont en général le langage le plus apprécié des langages de l’amour. Il s’agit du temps que l’on passe avec une personne. Peu importe l’activité en cours, ce qui compte, c’est de se retrouver avec l’autre et de pouvoir discuter, partager et sentir la présence de la personne que l’on aime. » Cute, non ?

Élaborée en 1992 par l’auteur, conseiller conjugal, pasteur baptiste et conférencier américain Gary Chapman, la théorie des langages de l’amour décline les cinq manières par lesquelles chaque personne manifesterait et exprimerait son amour.

Si le livre de Gary Chapman a connu un franc succès dès sa parution, a été traduit en 50 langues et figure sur la liste des best-sellers du New York Times depuis 2009, les fameux langages de l’amour ont fait du chemin depuis 30 ans.

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Ariana Grande leur a consacré sa chanson Love Language, la politicienne américaine Ayanna Pressley a déclaré que la politique était son love language tandis que celui de la comédienne Jamie Lee serait les lits mécaniques, et l’actrice Drew Barrymore a affirmé que l’envoi excessif de GIF était sa manière d’exprimer son amour à ses proches.

Comment la théorie nichée de Gary Chapman s’est-elle frayé un chemin si privilégié dans la culture populaire ?

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C’est quoi, les cinq langages de l’amour ?

Bien que le fait de parler d’amour en termes de langage semble désormais aller de soi, ça n’a pas toujours été le cas.

« Les gens ont différentes façons d’exprimer et d’interpréter l’amour », explique Chapman, récemment cité dans un article du New York Times à l’occasion du trentième anniversaire de la parution de The Five Love Languages: How to Express Heartfelt Commitment to Your Mate. « Pour que votre partenaire se sente aimé.e, il vous suffit de parler la langue de cette personne. »

les love languages sont désormais victimes de galvaudage. Les cafés glacés, le sarcasme, l’intégralité de la personne de Stanley Tucci : TOUT ce qui spark joy est love language !

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Dans son livre, le Dr Chapman résume d’emblée sa théorie ainsi : « Votre langage amoureux et celui de votre conjoint.e peuvent être aussi différents que le chinois de l’anglais. Peu importe à quel point vous essayez d’exprimer votre amour en anglais, si votre conjoint.e ne comprend que le chinois, vous ne comprendrez jamais comment vous aimer. »

Afin d’élaborer les différents langages, Gary Chapman s’est basé sur des observations réalisées pendant 20 ans auprès de couples avec qui il travaillait comme conseiller conjugal et sur sa propre relation avec sa femme.

Selon lui, toutes les manifestations d’amour se déclinent en cinq pôles : les paroles valorisantes (compliments, mots doux, soutien verbal, etc.), les moments de qualité (faire des choses ensemble), les cadeaux (fleurs, massages, bijoux, name it), les services rendus (faire la vaisselle, donner un lift, etc.) et le toucher physique (se tenir par la main, offrir une caresse ou un baiser ou avoir une relation sexuelle).

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Ultimement, selon le conseiller conjugal, c’est en arrivant à mieux comprendre et à respecter les besoins émotionnels de son ou sa partenaire que les couples éviteront tous les petits conflits qui risquent d’entacher leur relation.

Si vous exprimez votre amour en offrant des caresses, ça peut être difficile de concevoir qu’on vous le rende en vous emmenant au travail.

Par exemple, si vous avez tendance à exprimer votre amour en offrant des caresses et des baisers, ça peut être difficile de concevoir que l’être aimé vous le rende en vous emmenant au travail ou en faisant la vaisselle, n’est-ce pas ? « Il ne me dit pas qu’il me trouve belle, il ne doit plus m’aimer ! », « Elle ne me propose jamais de m’aider à la maison, elle ne m’aime plus », « Iel ne m’embrasse pas autant que moi, c’est terminé ? », « Elle ne m’a pas donné de cadeau depuis des mois, que se passe-t-il ? » Voyez le genre ?

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Au cours des années qui ont suivi la publication du livre, le terme « langage de l’amour » a été largement adopté, devenant même plus connu que son auteur.

Véritable phénomène culturel, les love languages sont désormais victimes de galvaudage. Les cafés glacés, le sarcasme, l’intégralité de la personne de Stanley Tucci : TOUT ce qui spark joy est love language !

Un sixième langage de l’amour ?

Gary Chapman ne considère pas que qui que ce soit ait découvert de sixième langage de l’amour.

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Je dois plaider coupable : j’abuse du concept de love language dans mon quotidien. La crème glacée et le saucisson que j’apporte quand je suis invitée à manger chez des ami.e.s, les GIF envoyés à mes copines et à mon copain (comme Drew Barrymore !), les suggestions de podcasts : j’ai plusieurs love languages personnels et c’est une expression que j’emploie fréquemment.

Mais si on veut être puriste, on ne peut pas vraiment considérer que tous les éléments que je viens de citer constituent des love languages en soi, au sens de Chapman. Aujourd’hui âgé de 80 ans, ce dernier n’avait pas prévu un tel engouement pour sa théorie.

« Je suis aussi surpris que vous », a-t-il récemment avoué dans une entrevue citée dans le New York Times. Malgré son enthousiasme, l’auteur ne considère pas que qui que ce soit ait découvert de sixième langage de l’amour (même pas moi, avec le saucisson en guise de cadeau d’hôte.sse).

Mais alors, que pense Chapman de tous les mèmes, les tweets et les vidéos TikTok qui circulent à propos des love languages, déformant quelque peu sa théorie initiale et l’utilisant à toutes les sauces ?

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(Je dédie ce tweet à mon ami-collègue Billy, qui s’identifiera en tout point à ce contenu.)

Pour Chapman, toutes les déclinaisons de son concept sont une forme de « dialectes », des versions alternatives des cinq langages initialement élaborés.

« “La sixième langue de l’amour, ce sont les tacos”, “le chocolat”, “les siestes” ou autre », cite-t-il à titre d’exemple. « Mais pensons-y : si le chocolat est offert, c’est un cadeau. S’il est fabriqué, c’est un service. Je ne suis pas dogmatique, mais je pense réellement que tout cela entre dans mes cinq catégories. »

Une théorie controversée, mais…

Bien qu’elle se soit frayé un chemin dans la culture populaire (et dans ma vie personnelle, tel qu’évoqué précédemment), la théorie de Chapman a été maintes fois critiquée.

Le livre de Chapman « suppose que les gens n’ont pas la capacité d’apprendre plusieurs manières d’exprimer leur amour »

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Pour la Dre Julie Gottman, psychologue clinicienne et cofondatrice du Gottman Institute de Seattle, le livre de Chapman « suppose que les gens n’ont pas la capacité d’apprendre plusieurs manières d’exprimer leur amour ». Selon elle, il s’agit de catégories superficielles et rigides. « Les humains sont plus complexes et flexibles que ce que laisse entendre The Five Love Languages », croit la psychologue.

À titre d’exemple, la Dre Gottman utilise le toucher physique. « Si une personne est mal à l’aise avec l’intimité, c’est important de comprendre pourquoi elle est inconfortable avec ce type d’interactions, développe-t-elle. Elle n’a peut-être pas été assez touchée étant enfant, ou alors, au contraire, trop touchée. Ou peut-être la personne a-t-elle été victime d’abus ? »

Autre exemple, dans la même veine : quelqu’un de financièrement précaire manifestera peut-être moins son amour par le biais de cadeaux, comme le ferait une personne plus nantie. Ou une personne très occupée rendra peut-être moins de services à ses proches pour leur témoigner son affection.

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La Dre Gottman critique également le fait que les théories de Chapman reposent sur des observations empiriques et non sur des études scientifiques.

« La théorie de Chapman est un bon point de départ pour de nombreuses thérapies de couple »

Néanmoins, pour la Dre Orna Guralnik, psychologue vedette de la série Couples Therapy sur Showtime, le manque de preuve scientifique ne pose pas de problème dans le cas qui nous intéresse. « C’est ce que l’on appelle la validité apparente », explique l’experte, qui considère que la théorie de Chapman est un bon point de départ pour de nombreuses thérapies de couple. « Si ce n’était pas utile pour les gens, si ça ne résonnait pas, le principe aurait disparu de lui-même. »

Elle ajoute que pour elle, les cinq catégories en elles-mêmes ne sont pas aussi importantes que ce que la théorie globale signale aux gens : que leur propre état d’esprit n’est pas forcément la façon dont leur partenaire perçoit les choses.

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Bien que le concept de Chapman semblait jusqu’alors difficile à confirmer par la recherche, une nouvelle étude de l’Université de Varsovie a retenu mon attention.

En effet, l’équipe de recherche a recruté 100 couples âgés de 17 à 58 ans, qui étaient ensemble depuis au moins six mois. On leur a demandé de classer les cinq catégories en ordre de préférences (plutôt que de n’en choisir qu’une seule, comme suggère Chapman depuis 1992) et de noter leur satisfaction relationnelle.

Les spécialistes ont découvert que les couples qui semblaient parler le langage de l’amour de l’autre (c’est-à-dire qui préféraient exprimer l’amour de la manière que leurs partenaires préféraient le recevoir) ont déclaré avoir une plus grande satisfaction relationnelle.

Qu’on ait adopté la théorie des langages de l’amour telle quelle ou qu’on préfère la remettre en question, je terminerai quand même cet article avec un mème de crème glacée qui, je l’espère, vous procurera un moment de qualité.

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