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Comment les emojis de ma couleur de peau m’ont réconcilié avec mon apparence

Il faut qu'on parle du concept de « couleur peau ».

Par
Pierre-Luc Racine
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Lorsque j’étais en maternelle, je me souviens que ma professeure nous avait demandé de prendre un crayon de couleur peau pour colorier une pêche. J’ai empoigné une mine brune pour le faire, mais elle est intervenue pour me dire que lorsqu’elle dit « couleur peau », ça veut dire « pêche ». Elle m’a ensuite fait regarder tous les autres « amis » dans la classe en me disant qu’ils avaient compris, eux, et que c’est à moi de m’adapter à la majorité. Je me suis dit qu’elle devait avoir raison. C’est moi qui détonne, littéralement.

Et vous, quelle est votre relation avec la couleur de votre peau ? À quel âge une autorité vous a-t-elle fait comprendre que vous étiez en dehors de la norme ? Moi, je dépassais encore les lignes en coloriant.

Bon, je dépasse encore des lignes aujourd’hui parce que je suis nul en dessin, mais vous comprenez ce que je veux dire !

Aujourd’hui, je vous parle de l’importance de la représentation, même jusque dans les emojis et de comment ça a changé ma perception de ma propre personne.

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Être en amour-haine avec son ethnicité

C’est bizarre grandir sur la Rive-Sud de Montréal dans les années 90 après avoir été adopté par des Québécois. À l’époque, j’étais le seul latino de mon année et, la plupart du temps, de toute l’école.

Mon rapport avec mes origines était, jusqu’à tout récemment, tumultueux. Essentiellement, si on faisait mon profil sans photo, je me fondrais dans la masse : je m’appelle Pierre-Luc, je ne parle pas espagnol et je mets très peu d’épices quand je cuisine. Je vis mon quotidien sans anicroche. La plupart du temps, j’oublie mon apparence, un peu comme quelqu’un qui a gros un nez et qui finit par oublier qu’il a un gros nez. Et de temps à autre, des actions me prennent par surprise et me rappellent que ce que je présente n’est pas conforme à la « norme ».

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Les seules fois où je me fais rappeler que je suis né en Amérique du Sud, c’est toujours négatif. C’est lorsqu’on m’insulte, qu’Instagram me blanchit pour me rendre plus beau ou que j’ai carrément peur pour ma sécurité.

À force de subir des évènements désagréables, j’ai fini par associer ma différence avec quelque chose de mauvais.

Quelqu’un pourrait croire qu’au moins les latinos, on vient avec le préjugé favorable qu’on est de bons danseurs, mais justement, imaginez la déception dans le visage des gens lorsqu’ils découvrent que j’ai moins de moves que le pantin de bois de certaines pubs.

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À force de subir des évènements désagréables, j’ai fini par associer ma différence avec quelque chose de mauvais. Je ne peux même pas me présenter sur une scène sans qu’un animateur en parle maladroitement.

La remontée de Black Lives Matter

L’an passé, la remontée du mouvement de Black Lives Matter a envahi mes médias sociaux suite au meurtre de George Floyd. Encore une fois, c’est tellement bizarre d’être le seul latino de mon entourage à voir ça aller, parce que je me questionne souvent à savoir où est ma place dans ces débats-là.

je me questionne souvent à savoir où est ma place dans ces débats-là.

Je m’explique. Je ne suis pas blanc. Je ne suis pas noir. Je me sens un peu perdu dans tout ça. Oui, des évènements douloureux se présentent à moi comme chaque fois qu’on choisit de me fouiller « par hasard », mais en comparaison avec ce que subissent les communautés noires, ma situation n’est pas si pénible.

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En somme, d’autres l’ont plus dure que moi. Ce que je peux faire tout seul chez moi, c’est de les écouter, de les lire et de me renseigner sur le sujet. À travers tout ça, je suis profondément inspiré par les personnalités qui s’expriment sur le racisme et qui s’affirment fièrement comme ils et elles sont.

Pour en venir aux emojis

Ce texte est un slalom de sujets, je le sais, mais je vous jure qu’on va arriver à destination bientôt !

La première fois que j’ai vu une personne blanche employer des emojis blancs, j’ai trouvé ça bizarre. Je veux dire, pourquoi faire le détour d’aller me spécifier que t’es blanc quand c’est la norme ? C’est le standard. Pas besoin de le souligner.

La première fois que j’ai vu une personne blanche employer des emojis blancs, j’ai trouvé ça bizarre.

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Dans ma tête, les emojis jaune-couleur-des-Simpson, c’est la couleur peau des emojis. C’est la valeur par défaut. De l’autre côté, avec Black Lives Matter, je voyais des personnes noires utiliser des émojis à leur image. Et tout ça m’a fait réaliser que je ne suis plus en maternelle. Personne ne m’oblige à utiliser les emojis génériques de couleur peau.

J’ai donc décidé que dans mes communications écrites, j’enverrais des symboles qui me représentent. Dans tout ce tumulte, le petit peu d’eau que je peux apporter au moulin, c’est ça.

(Et en passant, je trouve ça ok d’utiliser les emojis blancs pour les personnes blanches. C’est juste la première fois que je l’ai vu en action que ça m’a fait réagir. Et ça, c’est un peu la preuve que j’avais quelque chose de pas réglé dans tout ça.)

un étrange malaise

Au début, j’expédiais chaque symbole teinté de reculons. J’avais l’impression de prendre une position politique à chaque fois que j’envoyais un pouce en l’air.

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Je ne sais pas pour vous, mais dans mes messages, j’utilise encore plus d’emojis que des participants de The Circle. J’ai tellement peur que mes intentions soient mal interprétées que j’inonde mes envois d’emojis au point où même les Égyptiens qui ont construit les pyramides seraient comme : « OK Pierre-Luc, calme-toi sur les hiéroglyphes ! »

Au début, j’expédiais chaque symbole teinté de reculons. J’avais l’impression de prendre une position politique à chaque fois que j’envoyais un pouce en l’air. Je me sentais comme si je faisais une annonce à la nation à chaque fois : « OK TEAM ! JUSTE VOUS RAPPELER QUE JE NE SUIS PAS BLANC ! »

Durant les premières semaines, je me sentais comme si j’étais constamment en train de mettre une photo de moi dans la face de mes interlocuteurs en leur disant : « JE NE SUIS PAS NÉ ICI !!! ».

Mais là où j’ai été surpris, c’est que, finalement, c’est moi que ça a changé. Après tout, qui est toujours présent dans mes conversations ? Moi.

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Finir par s’accepter

Mon changement de couleur d’emoji n’a mené à aucune discussion avec les autres. Tous mes amis l’ont juste peut-être remarqué sans rien dire… ou peut-être que ça a passé dans le beurre. Aucune idée.

Chaque jour durant la dernière année, mon ton-plus-foncé-que-la-moyenne n’était pas relié à quelque chose de négatif. C’était juste… présent. C’était un fait.

Mais moi, à chaque fois que j’appuyais sur un emoji pour en changer la couleur, je prenais conscience de mon identité. Chaque jour durant la dernière année, mon ton-plus-foncé-que-la-moyenne n’était pas relié à quelque chose de négatif. C’était juste… présent. C’était un fait.

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Extérieurement, ça ne m’a pas changé concrètement, mais dans ma tête, j’assume davantage qui je suis vraiment au lieu d’espérer que ce que j’ai l’air passe inaperçu. J’accepte mieux de reconnaître l’absence de certains privilèges dans mon existence. Les symboles qu’on utilise pour communiquer en disent beaucoup plus qu’on croit. Après tout, un emoji vaut mille mots.

Au lieu de vouloir me fondre de la masse comme avant, je n’ai plus de gêne à montrer qui je suis vraiment. Comme si j’étais un personnage de The Greatest Showman qui chante dans This Is Me (oui, le film était ordinaire et mensonger, mais j’écoute encore les chansons).

Alors que je me questionnais sur ma place dans tout Black Lives Matter, j’avais sous-estimé son impact dans ma vie. Black Lives Matter ratisse large et, dans mon cas, j’ai accepté grâce à ce mouvement que la couleur de ma peau est la mienne.

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Et que couleur peau est un concept aussi ridicule que pure souche.