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Comment l’écologie est devenu un truc de bourges ?

Pas la ville de Bourges, non.

Par
Louise Pierga
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Comment ne pas s’émouvoir du sort de Los Angeles récemment en proie aux incendies californiens. Les images apocalyptiques de la ville fusent sur les réseaux. Une devanture de McDo embrassée par les flammes. Des stars hollywoodiennes désespérées de voir leur maison à plusieurs millions de dollars partir en fumée. La Californie souffre d’un niveau de sécheresse inégalé depuis deux ans. A ceci ajoutons une baisse du budget alloué au service d’incendie de Los Angeles et un mode de vie dangereusement incompatible avec le réchauffement climatique.

Quel lien avec le dernier essai de Clément Sénéchal Pourquoi l’écologie perd toujours ? En principe rien ; en réalité, tout. Los Angeles : symbole d’un capitalisme dévorant et d’une richesse insolente se retrouve sous les feux d’une catastrophe climatique qu’elle nourrit indirectement par son propre mode de vie mais surtout celui des riches, pas des crackos de Skid Row. Et si on en parle autant c’est justement parce que pour une fois, le réchauffement climatique touche les classes bourgeoises.

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Revenons en France (sans prendre l’avion, svp). L’écologie se porte-t-elle vraiment mieux ? Une étude a montré que 67% de la population trouverait acceptable de bloquer une entreprise polluante (61 % considère légitime d’occuper une zone naturelle menacée). Alors qu’est-ce qui capote ? Pourquoi c’est pas Sandrine Rousseau à la place de Macron ? Pourquoi l’écologie perd toujours ? Oh bah tiens ça tombe bien c’est le titre de l’essai dont on cause aujourd’hui. Accrochez-vous bien à vos bacs à compost, parce que le portrait tiré de l’écologie institutionnelle n’est pas brillant, Dany.

Greenpeace, ou l’invention de l’écologie du spectacle

Clément Sénéchal ne parle pas sans savoir. Sociologue de formation et expert des enjeux climatiques, il a été 8 ans chargé de plaidoyer de l’ONG et au cœur de ses processus décisionnels. L’objectif premier du fondateur de Greenpeace (GP) Bob Hunter, c’est la sensibilisation du public à coup de happening et de photo choc. Dans son livre Les Combattants de l’arc-en-ciel il décrit ainsi la télévision comme le “théâtre par excellence de l’action politique moderne.” GP montre. Mais que trouve-t-on au-delà des images ? Peau de zob à en croire Clément Sénéchal.

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La naissance de GP (tout comme WWF) dans les années 70 aurait troqué l’écologie politique pour une écologie du spectacle décorrélée de la question sociale et sans prise en charge réelle des enjeux écologiques. Cantonnées à l’unique discours sensationnaliste, ces ONG donnent à voir une sacralisation de la nature qui se limiterait à sauver des bébés phoques. Par ailleurs, l’ONG passe de la lutte anti-nucléaire (sans résultat) à la protection des baleines (sans résultat) comme si toutes les causes se valaient. Pour le sociologue, ce n’est rien d’autre qu’un “environnementalisme oecuménique, compassionnel et moralisant, surpassant la conflictualité de classes dans un universalisme abstrait largement occidentalo-centré.” (perso, j’invite Clément Sénéchal à mon prochain spectacle de roast).

A ceci s’ajoute une marchandisation de l’expertise des ONG qui mettent d’abord en cause les entreprises puis négocient leurs engagements en échange de leur label “verdissant” : FSC (forest stewardship council) pour GP et MSC (Marine Stewardship council) pour WWF. Malin pour gratter des thunes. Pour le militantisme on repassera. Ces méthodes ont contribué au greenwashing de nombreuses entreprises et à l’impuissance de l’écologie actuelle.

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Une écologie “BCBG”, “mondaine” et “moralisatrice”

L’avènement des ONG et de leurs méthodes de comm’ bien huilées ont contribué à faire de l’écologie un “camp du bien” mais surtout un camp dépolitisé. Et vous le savez comme moi, quand vous êtes écolo et que vous le revendiquez auprès des brebis égarées qui oseraient encore se nourrir avec des produits non bios, vous vous sentez “du bon côté”. Qui oserait dire qu’un écolo a tort de vouloir sauver la planète ?

Les éco-gestes qu’on se récite fièrement en espérant s’acheter une place au green paradise pèsent comme une nouvelle charge mentale pour les classes moins privilégiées. D’un côté, nous sommes responsabilisés sur le plan individuel (c’est un début), mais ça efface la responsabilité politique du réchauffement climatique. Même souci avec la taxe carbone, adoubée en premier lieu par Nicolas Hulot, qui s’attaque sans distinction de revenus (puisqu’il s’agit d’une taxe régressive et non progressive comme pour les impôts) aux gens qui prennent leur voiture. Peu importe que ce soit pour aller au ski ou pour bosser.

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Alors, on fait quoi ?

C’est bien joli de critiquer les écolos bourgeois armés de philosophie du colibri (dont je dois bien reconnaître que je fais partie, moi qui pensais changer le monde en sachant où jeter l’opercule de mon yaourt, chuis v’la deg) mais que faut-il faire alors pour sauver le monde? Pas de panique, le Sénéchal ne nous laisse pas totalement à l’abandon…

Il livre une analyse moins critique des récents mouvements de désobéissance civile tels que les Soulèvements de la Terre, Dernière Rénovation et plébiscite les multiples ZAD ou encore les actes de Thomas Brail, grimpeur-arboriste à l’origine du mouvement GNSA (Groupe National de Surveillance des Arbres). Autant d’exemples de personnes ou de groupes qui ont su obtenir des résultats sans faiblir face aux dispositifs répressifs des forces de l’ordre. Car c’est tout ce que reproche le sociologue aux grandes ONG : leurs alliances avec le pouvoir qui ont fait de ces institutions de précieux tremplins pour se placer politiquement et accepter les compromis imposés par un gouvernement dénué d’intérêt pour l’écologie.

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Toutefois le vrai moyen d’avancer, le seul, l’unique : mettre à bas le capitalisme, source de tous les maux. Concrètement, ça veut dire adopter une écologie décoloniale, intersectionnelle, réduire les disparités de classe en visant l’égalité matérielle, appréhender l’écologie non plus sous le prisme de la consommation mais bien du patrimoine. Pour que l’écologie ne soit plus un truc de bourges, il ne faut plus de bourges, donc réduire les richesses des bourges. Trop simple en fait.

NDLR : je vous recommande toutefois l’essai de Clément Sénéchal que cet article ne saurait résumer tant il est complet, vous pourrez également retrouver ses articles dans le média Frustration plutôt du genre très porté sur l’anti-capitalisme et ça nous plaît beaucoup.

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