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Comment le 11 septembre a changé l’industrie de la guerre
Le 18 septembre 2001, une semaine après les attentats terroristes qui ont détruit le World Trade Center (et du même coup changé la face du monde pour toujours), le président américain George W. Bush a signé l’Autorisation d’utilisation de force militaire en réponse aux attaques. Cette mesure était accompagnée d’un gros budget visant à anéantir les terroristes à tout prix pour que le monde comprenne une bonne fois pour toutes que «you don’t mess with America».
Si ce jour-là vous aviez placé 10 000$ en investissant dans des actions des cinq plus grandes entreprises de défense, vous auriez aujourd’hui presque 100 000$. Comparativement, si vous aviez investi le même montant dans un fonds indiciel du S&P 500, vous n’auriez aujourd’hui qu’un peu plus de 60 000$.
« Tout le système a été construit d’une manière qui permet aux entrepreneurs d’arnaquer le gouvernement. »
Comme vous le savez sûrement, la guerre, c’est une grosse industrie. Celle dans laquelle se sont lancés en 2001 les États-Unis a coûté, 20 ans plus tard, plus de deux billions (2 000 milliards) de dollars, soit $300 millions par jour depuis deux décennies. Et ça, ce n’est que pour l’Afghanistan, car la guerre s’est étendue jusqu’en Iraq, en Syrie et en Lybie. Total des guerres au Moyen-Orient depuis 2001? Près de cinq billions de dollars américains.
Bien entendu, ce n’est pas dans les poches des femmes et des hommes qui se battent chaque jour pour la démocratie que vont ces sommes astronomiques. Les vrais gagnants de la forever war, ce sont les entreprises de défense. Grâce à un budget presque infini et une illusion à maintenir que « l’Ouest s’en charge », des compagnies comme Lockheed-Martin, Raytheon, Blackwater, Palantir et Garda se sont garanti plusieurs milliards de dollars de revenus.
Une guerre de mercenaires
Dans leurs campagnes de recrutement, les forces armées canadiennes et américaines montrent de jeunes gens, fiers dans leurs uniformes, prêts à défendre les idéaux de leur nation. On voit dans les médias des soldats qui patrouillent et qui viennent en aide à la population locale. Ce qu’on voit moins, cependant, c’est le fait que, pour chaque soldat déployé en Afghanistan, il y avait trois employés sous-traitants d’entrepreneurs militaires.
Autrement dit, des mercenaires.
Peut-être que les guerres de demain ne seront plus disputées par les forces armées des nations, mais bien par des milices privées.
Car comme le souligne en entrevue avec Marketplace Linda Bilmes, professeure en politique publique à l’Université Harvard, « pour cuisiner, conduire, livrer de l’équipement – ils étaient utilisés pour tout ». « Tout le système a été construit d’une manière qui permet aux entrepreneurs d’arnaquer le gouvernement », ajoute Bilmes. Autre fait souvent absent de la discussion qui entoure les guerres qu’ont provoqué le 11 septembre: plus d’entrepreneurs militaires privés ont perdu la vie durant des conflits armés au Moyen-Orient que de soldats.
Si autrefois l’armée d’une nation faisait sa force et sa fierté, c’est maintenant le secteur privé qui a pris le relais.
Moins de soldats, plus d’argent
Après les attaques du 11 septembre, le budget du Pentagone a plus que doublé, du jour au lendemain, et les entreprises privées étaient prêtes à recevoir leur part du butin. C’est d’ailleurs ce que ces attentats ont réellement changé à l’industrie de la guerre. Une toute nouvelle catégorie de budget s’est ouverte, et des entreprises peuvent aujourd’hui générer des milliards de dollars de revenus en offrant au gouvernement des services qui étaient jadis la responsabilité de l’armée.
Chaque année, le gouvernement américain accorde plusieurs centaines de milliards de dollars à des entreprises de défense privées, et c’est un monde où les salaires sont hautement compétitifs. C’est pourquoi plusieurs vétérans de l’armée se tournent vers des emplois dans le secteur militaire privé, plus profitable et beaucoup moins encadré.
Bien entendu, il n’y a rien de nouveau dans le fait d’engager des mercenaires, bien que la pratique ait été quelque peu délaissée au siècle dernier. Mais le 11 septembre et les guerres qui en ont découlé ont propulsé le phénomène, qui n’est pas près de s’arrêter. Peut-être, même, que les guerres de demain ne seront plus disputées par les forces armées des nations, mais bien par des milices privées.
Profiter du climat social
Les compagnies de défense ne font pas que remplacer des armées. Elles offrent aussi des services de sécurité privée pour des employés du gouvernement dans des zones de conflits, et peuvent être engagées par des particuliers pour renverser des régimes politiques. Elles développent également des technologies de cybersurveillance, inventent de nouvelles armes, des drones et tout ce qui pourrait être utile en temps de guerre (et parfois en temps de paix).
Le complexe militaro-industriel perd, avec le retrait des troupes américaines en Afghanistan, un de ses projets les plus profitables. Néanmoins, ces compagnies continueront de profiter du climat d’insécurité qu’a causé le 11 septembre, créant ce qu’on a appelé la Camo Economy. Lockheed Martin, par exemple, reçoit des montants astronomiques pour le développement de nouvelles armes, d’avions et de drones. L’entreprise québécoise Garda se voit allouer des millions de dollars pour assurer la sécurité dans les aéroports canadiens, où les mesures de sécurité ont dû être renforcées après les attentats du World Trade Center.
Maintenant que les entreprises de défense et les gouvernements ont les deux mains dans cette nouvelle industrie de la guerre, plus musclée et profitable, la machine ne peut pas s’arrêter. Alors que l’on voit 20 ans d’efforts de reconstruction et de démocratisation s’effondrer en Afghanistan, on ne peut que constater que les vrais gagnants de cette guerre auront été les acteurs du complexe militaro-industriel.