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Comme toute travailleuse des mots qui se respecte, j’ai moi aussi un roman sur la braise et j’ajoute des bûches dans le foyer lorsque le temps se présente.
Malheureusement, le temps me ghoste souvent et me consacrer à temps plein à l’écriture est quasi impossible. Sans compter que c’est pas nécessairement le métier le plus payant.
Comment ne pas laisser la braise s’étouffer? On a demandé à Rose-Aimée Automne T. Morin, Virginie Chaloux-Gendron et Laurence Beaudoin-Masse, qui ont écrit et publié des romans en conservant un emploi à temps plein.
S’engager à long terme
Virginie a envoyé ses manuscrits à diverses maisons d’édition après deux à trois années de travail. La route a été longue, mais elle a persévéré: «Il ne faut jamais oublier l’intention qui nous guide, pourquoi cette histoire est importante pour nous.»
Pour Rose-Aimée et Laurence, les obligations légales ont été la principale source de motivation. Elles ont en effet signé un contrat d’édition assez tôt dans le processus. «Je ne pense pas que j’aurais été capable, sans date butoir», confie Rose-Aimée.
Il faut aspirer viscéralement à voir ses personnages exister et avoir hâte de regagner l’univers que l’on crée. C’est dans l’affection que nait l’engagement. «Mon roman, c’est comme mon secret lover. J’y pense tout le temps», raconte Laurence qui a écrit son livre en un peu plus d’un an.
«Ce n’est pas quelque chose que l’on fait beaucoup à notre époque, manger au restaurant seule sans téléphone ou prendre les transports en commun sans distraction. Mais ce sont tous des moments de création, pour moi.»
Rose-Aimée a réfléchi à son roman longtemps avant de finalement l’écrire en 10 jours. «Pendant 10 mois, j’ai été 24 heures sur 24 avec le personnage de Fauve», raconte-t-elle. Elle s’accorde d’ailleurs, tous les jours, des moments pour «flâner mentalement» afin de rester créative. «Ce n’est pas quelque chose que l’on fait beaucoup à notre époque, manger au restaurant seule sans téléphone ou prendre les transports en commun sans distraction. Mais ce sont tous des moments de création, pour moi.»
Passer à l’action
«Si nous attendons que les conditions optimales soient réunies, nous risquons d’attendre très longtemps», résume parfaitement Virginie, qui confie ne jamais s’accorder de trop longues pauses d’écriture. «On se dit qu’on prend une ou deux semaines de repos et finalement, on n’y touche pas durant des mois. La vie passe vite!»
De plus, il faut abandonner la phrase parfaite lors des premiers jets, selon Rose-Aimée. «Mon cerveau écrit sans que mes mains n’écrivent. Je prends en notes mes flashs et lorsque j’ai accumulé beaucoup d’idées, je me prévois un moment pour écrire et je le fais sans bloquer sur les phrases. C’est presque de l’écriture automatique», explique-t-elle.
«Quelques journées d’écriture consécutive seule dans un chalet permettent d’être un million de fois plus productive que je l’aurais été pour le même nombre d’heures d’écriture, mais fractionnées.»
Au-delà des moments hebdomadaires dédiés à l’écriture, les trois autrices s’entendent sur l’importance de se consacrer à temps plein à son projet pour un certain temps. «Quelques journées d’écriture consécutive seule dans un chalet permettent d’être un million de fois plus productive que je l’aurais été pour le même nombre d’heures d’écriture, mais fractionnées», selon Laurence.
Rose-Aimée a même utilisé ses vacances de «job» pour écrire son roman. Seule dans une maison de campagne, elle écrivait de 6h à 14h. «Ensuite, j’allais me promener, me baigner, boire du vin, puis je me couchais à 20h. Et j’ai passé de magnifiques vacances! Ça a juste adonné que j’ai écrit un livre en même temps.»
Les sacrifices pour entretenir la passion
Virginie résume le tout avec une franchise désarmante: «Personnellement, je ne pourrais pas être une mère et une travailleuse et une étudiante aux cycles supérieurs et une écrivaine et une amoureuse et une amie et une amante et une sœur et une fille qui fait du sport, etc.»
«Ça peut venir avec du travail, mais l’acte de créer ne relève pas du travail, sans doute parce que je ne me considère pas comme une artiste. Pour moi, c’est une jolie chance, un beau privilège, à la rigueur, un loisir.»
Oprah Winfrey avait raison lorsqu’elle disait que l’on pouvait tout avoir, mais pas en même temps. Il faut faire des choix pour créer ses occasions d’écrire dans un quotidien qui se booke plus vite qu’un show de Céline. «La vérité c’est que je suis toujours un peu à bout et très fatiguée, parce que ce n’est pas vrai que tu peux écrire quand t’as un petit 15 minutes de libre, sur ton heure de déjuener au bureau ou pendant que fiston regarde la Pat’Patrouille», confie Laurence.
Écrire ne doit pas devenir un deuxième ou troisième job: «Ça peut venir avec du travail, mais l’acte de créer ne relève pas du travail, sans doute parce que je ne me considère pas comme une artiste. Pour moi, c’est une jolie chance, un beau privilège, à la rigueur, un loisir», explique humblement Rose-Aimée.
Leurs meilleurs conseils
«De tout écrire sans jugement, en se disant que viendra le temps où on peaufinera la structure et tout le reste. Se faire confiance, aussi. Pour mon premier livre, j’ai passé beaucoup de temps à douter alors que maintenant, je passe ce temps-là à écrire. C’est plus l’fun. »
– Rose-Aimée
« Se trouver des lecteurs de confiance. Un directeur ou une directrice littéraire, un.e ami.e, un.e collègue. Mais il faut être sans pitié. Si disputer avec cette personne-là ne nous amène pas plus loin, ne nous donne pas envie de prendre dix pages de notes et de nous remettre immédiatement à l’écriture, on cherche quelqu’un d’autre. »
– Laurence
« Écrire vient avec des sacrifices. Je me lève à 4h, je ne regarde jamais la télévision la semaine, je n’ai pratiquement pas de vie sociale, je range mon téléphone lorsque je rentre chez moi. Je ne dis surtout pas qu’il faut placer l’écriture au-dessus de tout, mais le fait de se consacrer à quelque chose sérieusement implique forcément de faire des choix.»
- – Virginie
À propos des autrices
Rose-Aimée Automne T. Morin était rédactrice en chef d’URBANIA lorsqu’elle a écrit son essai Ton absence m’appartient paru chez Stanké en février 2019.
Elle a cumulé entre 40 et 45 heures de contrats à la pige par semaine lors de l’écriture de son roman Il préférait les brûler publié en février dernier.
Virginie Chaloux-Gendron est mère monoparentale et éditrice chez les Presses de l’Université du Québec. Son recueil de poésie, Cerises de terre, a été publié au Noroît, en août 2019 et son premier roman, Fais de beaux rêves, paraîtra chez Boréal au en août 2020. Lors de l’écriture de son premier manuscrit, elle étudiait à temps plein à la maitrise en plus d’être pigiste en édition et auxiliaire d’enseignement.
Laurence Beaudoin-Masse est mère de bientôt deux enfants et conceptrice-rédactrice chez Rad. Son premier roman Rentrer son ventre et sourire vient d’être publié aux éditions de La Bagnole.