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Comment ça gagne sa vie, une sorcière ?

Hélas, il n’existe pas de sortilège contre l’inflation.

Par
Ariane Dupuis
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L’appellation sorcière ne date pas d’hier, mais aujourd’hui, elle se manifeste différemment qu’au temps où des femmes étaient brûlées au bûcher juste pour être gauchères, posséder un chat ou oublier de jeter leurs vieux produits laitiers.

Depuis quelques années, les sorcières sont plutôt des femmes qui se sont réapproprié le terme, que ce soit pour l’empowering féministe qu’il incarne, pour la connexion avec la nature qu’il facilite ou par simple amour des rituels sacrés, comme l’encens, les chandelles et le tarot.

Si l’on veut que son identité devienne entièrement cohérente avec son occupation, encore faut-il pouvoir en gagner sa vie : toutefois, pas facile de générer des revenus avec des pratiques qui restent somme toute assez nichées et pas nécessairement payantes.

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Bref, en 2022, les sorcières font souvent du 9 à 5, et poursuivent leurs idéaux féministes à coup d’indépendance financière. Mais pas question de laisser leur magie à la maison quand elles partent au bureau : la sorcellerie fait partie intégrante de leur vision du travail et de l’argent.

Après avoir jasé de finances avec Maryse, Eldritch, Pandora et Jessica, quatre sorcières des temps modernes, on vous présente comment font les sorcières pour survivre dans une société axée sur l’argent et la réussite professionnelle.

1. Tendre vers une symbiose entre l’occupation payante et l’occupation gratifiante

« Dans une vie parfaite, je serais sorcière dans une chaumière : on cognerait à ma porte quand on aurait besoin d’une potion ou d’un sort. Malheureusement, je ne peux pas avoir ce mode de vie là, donc j’essaie de trouver quelque chose qui s’en rapproche. »

C’est grâce à un changement d’emploi tout récent que Maryse peut davantage se concentrer sur sa pratique. Anciennement cadre exécutive dans une compagnie de jouets pour adulte, travail parallèle à son service de consultations axées sur les rituels à travers la sexualité, elle est devenue coordinatrice administrative dans un organisme communautaire autonome.

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« Le fait d’avoir changé d’emploi, ça m’aide à m’asseoir encore plus dans mon rôle de sorcière, affirme Maryse. Je travaille moins d’heures et pour d’autres causes que générer des ventes. Je suis revenue à mes racines hippies, slow living. »

Quand elle n’est pas au bureau, elle offre sur demande des tirages au tarot et des analyses de rêve. Mais rares sont les personnes qui arrivent à vivre exclusivement avec ce genre de services : si c’est le cas, il faut facturer cher de l’heure.

Et Maryse ne compte pas là-dessus : « Le tarot, si tu le fais pour l’argent, tu ne donneras pas de bonnes consultations. »

D’autant plus que l’échange d’énergie que suscitent les rencontres peut être demandant : la sorcière a donc décidé de réduire son nombre de disponibilités pour éviter l’épuisement professionnel lié à ses services magiques. Elle s’engage aussi à ne pas augmenter ses tarifs, même malgré l’inflation.

2. Trouver la magie dans son 9 à 5

« Être sorcière, c’est quelque chose qui se vit au quotidien, ça ne dépend pas de ton revenu ou de la quantité de ton temps qui est liée à ça. »

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Quand elle n’est pas adjointe administrative dans une organisation à but non lucratif, Eldritch est diseuse de bonne aventure et showgirl spécialisée en danse burlesque. Elle effectue ses lectures de tarot à son bureau, où est érigé un autel surplombé d’objets magiques qu’elle désigne comme « le centre nerveux de sa pratique ».

LA MAGIE SE FABRIQUE AU QUOTIDIEN, PARFOIS SEULEMENT LE TEMPS DE FAIRE UN VŒU À 11 H 11.

Eldritch estime qu’elle retirerait probablement moins de plaisir à pratiquer la sorcellerie si c’était un travail à temps plein. Pour l’instant, le tirage au tarot prend juste assez de place dans sa vie pour qu’il reste agréable. Pas besoin de lire des cartes toute la journée pour être sorcière à temps plein !

Pour elle, la magie se fabrique au quotidien, parfois seulement le temps de faire un vœu à 11 h 11 : « C’est une façon de focuser son énergie pour se changer soi-même et changer son environnement. Pour moi, c’est une spiritualité avec une approche plus active. Ce sont des petites choses qui me permettent d’avoir un meilleur sentiment de contrôle sur mon environnement et sur moi-même. »

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3. Tourner le dos au capitalisme

« J’essaie de faire un revenu qui me permet le minimum et d’être accessible aux plus de gens possible. Je ne trouve pas éthique de charger cher pour ce genre de chose. »

Pandora, coordinatrice de salons du livre dans le milieu littéraire franco-ontarien, exerce dans ses temps libres sa sorcellerie à travers la création d’objets magiques : fanzines, talismans, amulettes. Elle décrit sa pratique comme anticapitaliste et accessible avant tout. « Tout ce que je fais de poétique rejoint cette volonté de l’anticapitalisme et du non-argent, soutient-elle. Ça arrive que je vende mes choses, mais je ne me crée pas une carrière avec ça, ce n’est pas mon but. »

Elle reconnaît que la transition vers une occupation professionnelle essentiellement liée à sa magie est alléchante, mais estime qu’il faudrait d’abord qu’elle règle sa relation « conflictuelle » avec l’argent. « Il y a moyen de faire un bon revenu, mais en ce qui me concerne, j’aimerais pouvoir en vivre sans gonfler mes prix », indique-t-elle.

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Pandora anime aussi des ateliers de facilitation de création qui s’ancrent dans une volonté d’empowering féministe et de fabrication d’un safe space pour les femmes. C’est ça, sa magie. « C’est un enjeu pour toutes les femmes d’embrasser notre pouvoir de façon positive avec tout le sexisme qui tourne autour de nous et qu’on internalise », souligne-t-elle. Une autre raison pour elle de rendre ses pratiques les plus accessibles possible.

4. Être sorcière pour les bonnes raisons

« Il faut être sensible quand on se considère sorcière. Et naturellement, avec cette empathie, tu dois savoir ta valeur, mais tu ne veux pas faire une tonne de cash sur le dos des gens. »

« Ça fait sorcière, ce côté rebelle, le fait de penser à la communauté avant de penser à une carrière. »

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Jessica est fleuriste à temps partiel et maman à la maison. Sa pratique de sorcière réside dans sa connexion avec la nature : ses moments de cueillette et le temps qu’elle passe à créer ses arrangements sont précieux. Même si elle génère peu de revenus avec sa compagnie, Cosmos fleuriste, être mère au foyer est pour elle une autre manière d’être sorcière.

« C’est un peu hors-norme, de ne pas avoir de job, mentionne-t-elle. Ça fait sorcière, ce côté rebelle, le fait de penser à la communauté avant de penser à une carrière. »

Elle estime qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière d’être sorcière, même si on ne vit pas exclusivement des pratiques liées à la sorcellerie. « Je ne me sers pas des plantes médicinales, je ne me fais pas d’infusion, dit-elle. […] Mais je mets de l’amour dans mes fleurs. » Et c’est suffisant pour être sorcière.

En conclusion, pas besoin d’être tarologue à temps plein ni de connaître sur le bout de ses doigts le nom latin de toutes les herbes médicinales pour être sorcière. Encore moins besoin d’en faire sa job à temps plein. Pour celles qui ont partagé leur vision du travail, toutes ont le potentiel de devenir sorcières : les aptitudes et connaissances nécessaires pour le faire sont accessibles à tout le monde, tant qu’on tend l’oreille vers notre magie intérieure. Et qui sait, ça pourrait même vous permettre de gagner un peu d’argent !

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