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Comment Basquiat est devenu la poupée préférée du capitalisme

Par
Victor Kandelaft
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L’arroseur-arrosé, ou l’ironie du sort

On le voit partout : depuis quelques mois, l’artiste phare de l’art moderne américain et l’enfant terrible de l’avant-garde des années 1980 se retrouve siphonné par la culture de masse capitaliste qui en fait sa poule aux œufs d’or. Dites son nom et le monde s’enflamme : dans tous les musées, sur des milliers de t-shirts, aux poignets ou dans les oreilles, Basquiat s’est transformé en Barbie 3.0, comme un profond levier d’influence pour faire du blé, jusqu’à faire oublier le fond politique et militant de son art…

La poule aux œufs d’or de LVMH

Grand amateur d’artketing – l’utilisation de l’art comme moyen marketing à des fins de vente et d’image – LVMH est le champion de cette récupération. Quatre ans à peine après une rétrospective événement, la Fondation Louis Vuitton a récemment enfoncé le clou avec son exposition “Basquiat x Warhol : à quatre mains” pour en foutre plein les mirettes aux visiteurs du monde entier. L’exposition spectaculaire, qui veille d’ailleurs à gommer la dimension critique du capitalisme proposée par les deux artistes, mise sur les deux mastodontes de l’art contemporain pour attirer les visiteurs et l’argent – et ce, notamment, en ramenant Jay-Z et Maître Gims (?) pour ratisser large. Très large.

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Basquiat au pays des dollars

En parlant de Jay-Z, le rappeur-producteur n’est pas en reste. Autoproclamé fils spirituel de Basquiat, le rappeur et Beyoncé ont fait trembler le marché de l’art il y a quelques mois. À l’occasion de leur collaboration avec Tiffany & Co (encore Bernard, oui), le couple a prêté son image à la marque propriétaire d’une toile inédite de l’artiste, dont le bleu ressemble – comme par hasard – à celui de la marque. Collectionneurs de Basquiat, Beyoncé et Jay-Z ont encore renforcé leur image de black excellence par ce coup de communication aussi subtil que grossier – et les deux n’arrêtent pas de le citer dans leurs chansons respectives.

https://twitter.com/GayJigga/status/1429807883793862662

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La Basquiat mania, ou l’infiltration culturelle

Basquiat est devenu, selon des spécialistes, une porte d’entrée facile vers l’art contemporain. La côte est haute, l’influence lourde, la récupération violente. Dernièrement, après la collection capsule de Études, Swatch a embrayé le pas de la Basquiat mania en lançant une édition limitée de trois montres à 100 euros, fondée sur les œuvres les plus connues de l’artiste. Produit dérivé, Basquiat-plastique se porte ainsi au poignet, au même titre que Magritte et autres peintres mondialement connus et récupérés à l’envi. Prix de revente sur Vinted : 215 euros la montre (sic).

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Un designer malgré lui

Les champions et pionniers de la récupération, ce sont les designers d’Uniqlo. Depuis plus de 10 ans, la collection UT de la marque japonaise épuise toutes ses forces dans la confection de t-shirts inspirés des grandes figures de la culture artistique et populaire. Chaque saison, de nouvelles œuvres ou motifs riquiquis sont imprimés à l’infini. Basquiat figure en tête de gondole, suivi des inénarrables Andy Warhol, Keith Haring ou Roy Lichtenstein, Nintendo, Disney et autres mangaka célèbres. Manque plus que les sous-vêtements.

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L’artiste, businessman

En attendant un biopic Disney, un opéra à Broadway ou une piètre série Netflix, doit-on s’indigner ou se réjouir de cette récupération marketing ? On dira volontiers que le pop art et l’art contemporain ont toujours joué avec la culture de masse par la réappropriation, la parodie ou le simple détournement de ses signes. Les ayant-droits et gestionnaires de Basquiat s’en donnent sans doute à cœur joie en amassant les dollars grâce à l’un des plus passionnants représentants de la scène underground et d’une incarnation du mythe de “l’artiste maudit”. Preuve en est que l’hydre capitaliste finit toujours par tout récupérer.