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Comment abolit-on un service de police?
Il y a une semaine de ça, l’idée n’avait aucun sens pour le commun des mortels.
Et puis, c’est arrivé. Dimanche dernier, le conseil municipal de Minneapolis (la ville où George Floyd a été tué sous le genou d’un policier, ce qui a entraîné la vague de manifestation contre la brutalité policière et le racisme systémique que l’on connaît depuis) a annoncé avoir voté pour le démantèlement de son corps policier.
La planète entière s’est exclamée à l’unisson: «Hein? C’est possible ça?»
Et concrètement, comment ça s’articule? Sans police, qui doit-on appeler en situation de violence domestique? Qu’est-ce qu’on fait lorsqu’une bagarre potentiellement mortelle éclate dans la rue?
Les corps policiers tels qu’on les connait font tellement partie du paysage qu’on a du mal à imaginer comment il pourrait en être autrement. Mais si ça peut vous rassurer, bien que Minneapolis soit de loin la plus grande ville à entreprendre ce processus, elle n’est pas la première à le faire. Et là où on a procédé à un démantèlement de la police, l’issue a été la plupart du temps vraiment positive.
Comment on démantèle la police?
Aux États-Unis, il n’est pas rare que les corps policiers relèvent directement de la Ville. En gros, le grand grand boss de la police dans ces cas-là, c’est le maire. C’est pour ça que dans chaque série policière américaine depuis les hommes des cavernes, il y a un chef de police grognon (en préférence moustachu) qui motive ses troupes en criant qu’il a le maire au cul chaque fois qu’on lui adresse la parole.
C’est le genre de décision qui revient à l’ordre du jour quand un policier municipal assassine sans scrupule un homme menotté et maitrisé pour une histoire qui aurait pu être calmement résolue de manière non violente
Si le maire ou la mairesse en a plein l’cul de son service de police, il ou elle soumet une motion pour le démanteler au conseil municipal.
C’est aussi simple que ça, mais c’est une GROSSE décision.
Ce n’est pas quelque chose de très commun, mais il ne faut pas s’en étonner dans les circonstances. C’est le genre de décision qui revient à l’ordre du jour quand un policier municipal assassine sans scrupule un homme menotté et maitrisé pour une histoire qui aurait pu être calmement résolue de manière non violente et que les yeux de la planète se tournent vers les dirigeants.
Pourquoi est-ce que Minneapolis prend un tournant si drastique?
C’est encore plus compliqué que ça en a l’air. Ça fait longtemps, très longtemps que Minneapolis est bloquée avec un problème de racisme systémique et de violence policière. En la matière, elle n’a malheureusement pas l’exclusivité, mais en plus, elle abrite un personnage qui incarne ça puissance 1000 : Bob Kroll.
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Si le meurtrier de George Floyd, Derek Chauvin, patrouillait encore les rues après 18 PLAINTES EN DÉONTOLOGIE contre lui, c’est beaucoup à cause de Bob.
Si les médias galèrent à couvrir les manifestations pour qu’on comprenne ce qui se passe, c’est en partie parce que Bob n’est pas loin.
Si le meurtrier de George Floyd Derek Chauvin patrouillait encore les rues après 18 PLAINTES EN DÉONTOLOGIE contre lui, c’est beaucoup à cause de Bob.
Bob est donc un membre influent du syndicat des policiers depuis 1996, vice-président depuis 2006 et président depuis 2015. Il a survécu à 5 chefs de police qui le haïssaient et à de multiples plaintes en déontologie. Il a aussi traité George Floyd de criminel violent dans un mail à ses troupes (on se rappelle que Floyd a été arrêté pour une histoire de 20$ contrefait qui ne lui appartenait probablement pas) et le procureur général du Minnesota Keith Ellison de terroriste, parce qu’il est musulman.
Bref, Bob est une ordure.
En plus d’être une ordure, son job est carrément de garder le plus d’ordures possibles au sein de son département et Bob est très bon dans ce dossier.
Évidemment, si Bob a pu naviguer avec autant d’aisance en étant une ordure aussi monumentale, c’est parce que ses actions s’inscrivent dans le maillage du racisme systémique. Sans Bob, Minneapolis aurait peut-être eu un autre genre de corps de police, mais s’il a pu agir ainsi, c’est aussi parce que le système favorise son genre de « leadership » (notez les énormes guillemets) infusé au racisme. Ça prend donc une réforme en profondeur et les autorités municipales ne croient pas être capables d’en mettre une en place tant qu’il sera là. Démanteler le service de police, c’est leur manière de le foutre dehors. C’est un début.
Oui, mais qu’est-ce qui va se passer après?
C’est simple. Le projet, c’est de former un nouveau corps policier à partir de balises éthiques claires et justes pour tout le monde. Enfin, c’est ce qui est souhaité. L’avenir nous dira si c’est ce qui va se produire dans les faits.
«Police», c’est pas une marque déposée. Il vous faut juste un budget, des employés et une académie pas trop loin pour en avoir une. Ceux qui souhaitaient le retour des milices citoyennes à cheval seront déçus.
C’est ce qui est arrivé à la ville de Camden au New Jersey, en 2012.
Le projet, c’est de former un nouveau corps policier à partir de balises éthiques claires et justes pour tout le monde. Enfin, c’est ce qui est souhaité.
Autrefois tristement célèbre pour son taux de criminalité extrêmement élevé malgré ses 75 000 habitants, Camden avait un corps policier hyper corrompu qui semait la terreur parmi les citoyens. La situation était tellement mauvaise que les autorités de la ville ont décidé de le démanteler.
Quelques mois après la décision du conseil municipal, un nouveau corps policer commençait à sillonner les rues avec la mission de regagner la confiance des habitants. Ils n’ont gardé qu’une poignée d’agents pour assurer la transition. Fini les flics en voiture. Tout le monde à pied et tout le monde se parle. Les résultats parlent d’eux-mêmes, une baisse de 75% des meurtres et de 42% des crimes violents. Bref, ça va mieux.
Camden n’est pas la première ville à avoir démantelé son corps policier aux États-Unis, mais elle est la plus grosse ville à l’avoir fait avant Minneapolis et elle l’a fait pour des raisons similaires. Habituellement, une municipalité entreprend ce processus pour des raisons financières et confie sa sécurité au shérif du comté. D’une manière ou d’une autre, ce n’est pas exactement la fin de la police, comme certains pourraient le craindre ou comme d’autres pourraient s’en réjouir.
Avant de partir
Googlez «Bob Kroll» pour rire. Il y a tellement de plaintes et de choses louches à son sujet… Dans l’exercice de ses fonctions ou non, il est vraiment un espoir de médaille aux Jeux olympiques de la pire personne au monde. On ne va pas s’ennuyer de lui.