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Colère et recueillement pour les victimes des pensionnats pour Autochtones

« Arrêtez de vous faire croire qu’au Québec, on est moins pires que le reste du Canada, c’est faux. »

Par
Sarah-Florence Benjamin
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Les convois automobiles de Kahnawake et de Kanesatake arrivent sous un tonnerre d’applaudissements, de klaxons et de tambours. La chanteuse inuite Elisapie Isaac remercie la foule rassemblée au monument de sir George-Étienne Cartier à Montréal. « C’est un pas vers la guérison, vous voir ici, mais c’est maintenant le temps de prendre ce miroir qui est toujours pointé sur nous et de vous regarder aussi dedans. »

En ce premier juillet, des centaines de personnes sont présentes pour rendre hommage aux 751 enfants dont les dépouilles ont été retrouvées dans des tombes anonymes lors de fouilles du site du pensionnat pour Autochtones de Marieval en Saskatchewan. En date d’aujourd’hui, les restes de 1505 enfants autochtones ont été découverts près de pensionnats à travers tout le Canada, un nombre qui, malheureusement, risque d’augmenter à mesure que d’autres fouilles sont effectuées.

Les horreurs qu’on connaissait déjà

Lorsque je demande à Olivia, une manifestante : « Pourquoi c’est important pour toi d’être à la manifestation aujourd’hui ? », elle me répond franchement : « C’est vraiment une question débile. Ça devrait être évident. C’est de notre vie dont on parle, bien sûr que c’est important. Pourquoi les journalistes passent leur temps à nous poser cette question-là ? On n’arrête pas de vous le dire, il y a même eu une commission ! »

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La découverte des restes de 215 enfants à Kamloops en Colombie-Britannique a semé la consternation de la classe politique canadienne ainsi que de la communauté internationale. Pourtant, elle n’aurait pas dû surprendre. La Commission Vérité et Réconciliation s’est déjà penchée sur la question dans le cadre de son « projet portant sur les enfants disparus et les lieux de sépulture non marqués ». Son rapport final déposé en 2015, qui est le fruit des témoignages de milliers de survivant.e.s, est disponible en ligne.

Dans 49% des cas, on avait omis de prendre en notre la cause du décès dans les registres.

Les travaux de la Commission ont permis de recenser 3200 décès de pensionnaires. Dans 49% des cas, on avait omis de prendre en notre la cause du décès dans les registres. La Commission estime cependant que le nombre de morts est en réalité beaucoup plus élevé, comme certains documents n’ont pu être analysés et que d’autres ont été détruits.

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La Commission attribue à la tuberculose la moitié des décès ayant une cause déclarée, mais le mauvais financement délibéré des pensionnats a rendu ces enfants particulièrement vulnérables à la maladie. Une alimentation insuffisante, des bâtiments insalubres, mal aérés et surpeuplés, des travaux manuels éreintants demandés aux pensionnaires qui devaient souvent s’occuper elleux-mêmes de l’entretien des lieux, des châtiments corporels ainsi que des agressions physiques et sexuelles étaient monnaie courante dans les établissements. Tous ces préjudices ne figurent pas comme cause officielle des décès, mais ont certainement joué dans la mort précoce de milliers d’enfants. Pour réduire les coûts, une fois de plus, les pensionnaires décédé.e.s n’étaient pas rendu.e.s à leurs parents, à moins qu’iels payent elleux-mêmes pour le transport.

« Maintenant que je sais ce qui s’est passé, ça va de soi pour moi d’être ici et d’apporter mon soutien. »

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On sait tout cela depuis 2015, depuis que les survivant.e.s relatent leur histoire. Alors, pourquoi une si grande surprise ? Dans les mots de la Commission : « Il peut parfois être difficile d’accepter que ce qu’ils ont raconté ait pu se produire dans un pays tel que le Canada qui se targue d’être un bastion de la démocratie, de la paix et de la gentillesse partout dans le monde. Des enfants ont subi des sévices, physiques et sexuels, et sont décédés dans ces écoles dans des proportions qui n’auraient jamais été tolérées dans aucun autre système scolaire du pays ou de la planète ».

Pénélope est n’est pas autochtone, mais elle a tenu à participer à la manifestation. Elle me raconte comment ses cours en études autochtones lui ont ouvert les yeux sur le colonialisme au Canada. « L’histoire des autochtones est complètement évacuée de notre éducation au primaire et au secondaire. Il faut quand même faire l’effort d’aller chercher par soi-même. Maintenant que je sais ce qui s’est passé, ça va de soi pour moi d’être ici et d’apporter mon soutien. »

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Trop tôt pour tourner la page

Considérés comme appartenant à un chapitre noir du grand récit canadien, les pensionnats pour Autochtones ne sont pourtant pas de l’histoire ancienne. Rappelons que le dernier de ces établissements a fermé ses portes en 1996. Les travaux de la Commission Vérité et Réconciliation montrent bien que l’esprit colonial de ces pensionnats est toujours présent dans les graves séquelles qu’ils ont laissées chez les survivant.e.s, mais aussi dans les inégalités systémiques que vivent les Premières Nations et les Inuits encore aujourd’hui.

À noter que les Autochtones sont victimes de crime et incarcéré.e.s dans une mesure disproportionnée par rapport à la moyenne des Canadien.ne.s. Selon une étude de Statistique Canada datant de 2011, les enfants autochtones représentaient 7% des enfants du Canada, mais 48% des enfants en famille d’accueil. Si la Commission voit là l’effet des violences subies dans les pensionnats sur les surivant.e.s devenu.e.s parents, elle y voit aussi la continuation des pratiques d’assimilation des pensionnats dans les services sociaux. Elle cite la pauvreté comme facteur principal de la prise en charge des enfants par l’État, pourtant, peu est fait pour réduire le manque de richesse qui touche les communautés autochtones de manière disproportionnée.

« Arrêtez de vous faire croire qu’au Québec on est moins pires que le reste du Canada, c’est faux »

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Encore aujourd’hui, le taux de mortalité des Premières Nations et des Inuits est beaucoup plus élevé que la moyenne canadienne, ainsi que le taux de mortalité infantile, les taux mortalité par surdose d’alcool ou de drogues, ainsi que le taux de suicide. À cela s’ajoute le rapport de la GRC datant de 2014 qui stipule que 1181 femmes autochtones ont été assassinées ou portées disparues entre 1980 et 2012.

Se conscientiser est un pas en avant, mais ce n’est pas suffisant, m’explique Olivia: « Il faut que vous vous éduquiez, mais pas juste pour faire de l’activisme performatif. Faites quelque chose, parlez à vos proches, refusez le racisme contre les autochtones, même quand on n’est pas là pour le voir ». Elle estime que c’est aux personnes allochtones (ndlr, qui ne sont pas autochtones) qu’il revient de faire pression sur les gouvernements pour changer les choses. « Les politicien.e.s vivent dans une autre dimension, iels ne s’intéressent pas à nous. On ne peut pas porter seul.e.s le poids de les faire bouger. Arrêtez de vous faire croire qu’au Québec on est moins pires que le reste du Canada, c’est faux ».

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Pas le cœur à la fête

Les découvertes macabres sur les sites des pensionnats ont mené des villes de toutes les provinces canadiennes ainsi que des institutions comme le Musée canadien de l’histoire à annuler les célébrations de la fête du Canada qui devaient avoir lieu en ce 1er juillet 2021. Des appels à l’annulation se sont multipliés à travers le pays. À Montréal, les festivités ne sont pas organisées par la Ville, mais par des organisations privées selon le Bureau de la correspondance de la mairesse.

Les manifestant.e.s ont été appelé.e.s à porter le tshirt orange plutôt que les couleurs du drapeau canadien. Le tshirt orange est devenu le symbole de la reconnaissance des torts causés par les pensionnats pour Autochtone. On le porte normalement le 30 septembre, journée qui marque la période où les autorités coloniales allaient chercher les enfants pour les emmener au pensionnat.

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En entrevue, le ministre du Patrimoine, Steven Guilbeault, a affirmé vouloir faire de la fête du Canada une occasion de faire connaître l’histoire autochtone au lieu de l’annuler. Il est intéressant de noter que le gouvernement canadien a dépensé 3,2 millions de dollars depuis 2013 pour combattre les survivant.e.s du pensionnat de Sainte-Anne devant les tribunaux.

Une drôle de façon de faire connaître l’histoire autochtone…