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Clusters, accès aux droits… Le CRA du Mesnil-Amelot à l’épreuve de la crise sanitaire

Les retenus sont exposés à des risques de contamination au virus et leurs droits semblent se réduire à vue d'oeil.

Par
Audrey Parmentier
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Lorsque les gardes arrivent dans la zone 3, les retenus les interpellent. Un jeune homme, sweat à capuche et jogging gris, lance : « Quand allez-vous nous donner des téléphones portables ? La zone 1 a reçu les leurs ! » Réponse des officiers : les appareils vont être distribués bientôt, le temps d’enlever les systèmes de caméra qui y sont incorporés. Coincé entre les champs rectangulaires et un centre-ville mortifère, le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot enferme une centaine de personnes étrangères – sous le coup d’une mesure d’éloignement – dans l’attente d’une expulsion dans leur pays d’origine. Risque de clusters, accès aux droits restreints, refus de tests transformés en délit, les conditions de rétention difficiles des personnes retenues sont accentuées par la crise sanitaire liée au Covid-19.

Malgré les dénonciations des associations et d’une poignée d’hommes et femmes politiques, les CRA restent actifs – bien qu’ils ne tournent pas à plein régime. Que ce soit dans les établissements de Oissel, Hendaye ou encore Vincennes, les cas d’infection se multiplient. Et pour cause : ces centres se distinguent par une promiscuité forcée entre les détenus, encourageant la circulation du virus. Vendredi 14 janvier, la sénatrice représentant les Français établis hors de France, Mélanie Vogel et le sénateur du Rhône Thomas Dossus – tout deux appartenant au groupe Europe Ecologie les Verts – ont visité le CRA du Mesnil-Amelot (divisé entre le CRA 2 et le CRA 3) , flanqués de quelques journalistes. Pour les guider dans ce labyrinthe aux murs oranges : Davy Abreu, commissaire de police, adjoint au directeur interdépartemental de la police aux frontières. Très vite, on comprend que l’établissement vit au rythme des clusters.

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Destiné aux contaminés, le CRA de Plaisir est plein

Vendredi 14 janvier, deux zones sont confinées dans le CRA 2. Ce dernier est destiné aux familles et comprend treize femmes isolées. En face, le CRA 3 est réservé aux hommes. Il compte une trentaine de cas Covid « sur les trois dernières semaines », selon l’officier présent sur place. Arrêtées pendant plusieurs jours à causes des contaminations, les visites des familles viennent tout juste de reprendre. Le jour de l’arrivée des parlementaires, on apprend que deux cas ont été détectés dans la zone 1. « Ils vont être isolés dans le bâtiment 6, désormais prévu à cet effet. Aucun arrivant ne sera admis dans cette zone », informe Davy Abreu. Quand la situation le permet, les personnes testées positives sont transférées au CRA de Plaisir (dans les Yvelines) dédié aux retenus contaminés. Au 14 janvier, l’établissement qui fonctionne à 50 % de sa capacité maximum – treize places au total – était plein.

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Dans chaque CRA, un protocole sanitaire singulier est instauré. A Mesnil-Amelot, du gel hydroalcoolique et des masques ont été placés en libre-service à l’entrée des couloirs, mais pas dans les « lieux de vie » des personnes retenues. A cela, la direction répond qu’il y a un risque que le gel soit avalé par l’un des détenus dans le cadre d’une tentative de suicide. Que ce soit dans les parties communes ou dans les chambres, les conditions d’hygiène restent précaires. « Les douches ne sont pas nettoyées régulièrement et les portes des toilettes ne ferment plus », témoigne un jeune Égyptien retenu depuis deux mois et demi. Il traverse la cour pour nous montrer sa chambre : une petite pièce dans laquelle arrivent à rentrer trois lits – dont un matelas posé à même le sol. L’espace clos ne comporte aucune fenêtre. « Ça se passe très mal », soupire le jeune homme, capuche sur la tête.

Un accès au droit entravé

Concernant la prise en charge médicale, deux infirmières se trouvent quotidiennement sur le site et un médecin consulte le mardi et le jeudi. Côté direction, l’accès aux soins des retenus n’est pas entravé. Le discours est différent du côté des individus concernés : ils parlent d’une fenêtre de consultation « d’une heure par jour », un temps insuffisant par rapport au nombre de retenus. A noter aussi que la très grande majorité des personnes n’est pas vaccinée, bien que l’infirmière présente soutient que « cela est proposé ». Là aussi, les retenus interrogés disent l’inverse. «Actuellement, six personnes ont fait un test et nous sommes en attente d’un résultat. Nous avons aussi un monsieur hospitalisé à cause du Covid-19 en ce moment », indique Mathilde Godoy, responsable de la rétention en Ile-de-France pour la Cimade. Dans un petit bureau gris, la jeune femme peste de ne pas avoir été autorisée à nous accompagner durant la visite. « La direction n’a pas voulu », souffle-t-elle.

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Depuis un mois, l’association a instauré une permanence téléphonique afin de poursuivre sa mission d’accompagnement auprès des retenus. « Nous n’avions pas le droit d’aller les voir. C’est très compliqué de les joindre car la plupart des cabines téléphoniques mises à disposition sont cassées ou dégradées », informe la jeune femme. Dans les CRA, le Covid-19 a donc une autre conséquences : réduire l’accès aux droits des personnes étrangères. Quand un individu est positif, l’audience est reportée ou le principal concerné ne peut être présent. Début janvier, le compte Twitter « A bas les CRA » décrit la situation suivante : « Au CRA du Mesnil-Amelot comme beaucoup de monde a le covid; les prisonniers ne sont plus transférés au tribunal pour leur audience devant le juge des libertés et de la détention. Le juge des libertés et de la détention prolonge la rétention pour tout le monde alors que les gens ne peuvent pas assister à leur audience (ni en visio). »

Des refus de tests Covid qui constituent un délit

Preuve que le droit des retenus est grignoté pendant la crise sanitaire, le refus de faire un test Covid-19 s’apparente désormais à un délit. Dans les CRA, nombreuses sont les personnes à dire non au dépistage de peur d’être directement expulsées. En effet, un test négatif est nécessaire pour être envoyé dans la plupart des pays – certains Etats des Balkans étant plus laxistes sur la question. Mais le refus d’un test s’apparente désormais à un délit de soustraction à l’exécution d’une mesure d’éloignement. Parmi les risques encourus : placement en garde à vue, voir une peine de prison qui peut être assortie d’une interdiction de retour sur le territoire. « Au bout de 90 jours de rétention – le délai maximum en CRA –, j’ai refusé de me soumettre à un test PCR. J’ai été placé en garde à vue avec deux ans d’interdiction de territoire français (ITF) », rapporte un Ivoirien, enfermé à Mesnil-Amelot depuis maintenant cinq mois. « Mon père habite en France et je n’ai plus de familles en Côte d’Ivoire », continue-t-il.

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La crise sanitaire a donc un autre effet : rallonger l’enfermement des retenus. Une rétention parfois dépourvue de sens puisque certains pays comme le Maroc ou l’Algérie ont suspendu les vols en raison de l’épidémie de Covid-19. L’enfermement en CRA n’a pour objet que d’organiser la reconduite à la frontière de la personne retenue, mais certaines ne peuvent pas être expulsées. Par conséquent, elles sont incarcérées pendant 90 jours pour ensuite être placées en garde à vue ou relâchées. Avant de retourner en CRA. « Dès mon arrivée ici, je leur ai dit que je préférais rentrer au Maroc, mais on m’a répondu que c’était impossible », peste un jeune Marocain. Trois jours avant notre entretien, il a été transféré au CRA du Mesnil-Amelot après un séjour de neuf mois à la prison de Bois-d’Arcy. Une pratique de plus en plus courante. «Je n’ai pas pu téléphoner à mes parents, ils ne savent même pas où je suis », dit-il, sa voix couverte par le vrombissement des avions dans le ciel.