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Classes UPE2A : un dispositif fragilisé qui accompagne les élèves étrangers

L’arrivée d’élèves ukrainiens sur les bancs des écoles franciliennes met un coup de projecteur sur les UPE2A.

Par
Audrey Parmentier
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L’arrivée de centaines d’élèves ukrainiens sur les bancs des écoles franciliennes met un coup de projecteur sur les UPE2A – destinées aux élèves allophones. Enseignants et syndicats s’interrogent sur les mesures qui pourraient remettre en cause son bon fonctionnement.

Mali, Colombie, Egypte…Une série de dessins punaisés au mur représentent différents pays. « Regardez celui-ci, il a été réalisé par une jeune Bangladaise âgée de 14 ans », pointe du doigt Pierre Ferry, professeur de français en UPE2A – « unité pédagogique pour élèves allophones arrivant ». Dans cette classe du collège-lycée Bergson (Paris 19e), neuf collégiens d’origine étrangère apprennent le français à coup de 16 heures par semaine. En parallèle, d’autres matières sont dispensées : le sport, la musique ou les mathématiques (26 heures au total).

Pour l’instant, l’effectif reste faible à cause de la pandémie de Covid-19 qui avait entraîné la fermeture des frontières. « Le dispositif peut accueillir jusqu’à une vingtaine d’enfants », précise Pierre Ferry. Néanmoins, les chaises vides pourraient trouver preneur ces prochains jours : « On s’attend à recevoir des collégiens ukrainiens », embraye le professeur aux cheveux grisonnants, vingt années d’expérience à son actif.

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À Paris, 265 élèves venus d’Ukraine ont été évalués au Centre académique pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage (Casnav) à Paris. « Lorsque les tests confirment le faible niveau en français, malgré parfois de bons résultats en maths, les élèves sont affectés dans le réseau des 55 UPE2A en école, 30 en Collège, 20 en lycée professionnel en 6 en lycée général. Il reste encore de la place, environ 400 en tout », indique Emmanuel Deschamps, responsable du Casnav.

Les UPE2A prévues par la circulaire de 2012 « organisant la scolarité des élèves allophones » concernaient 68 000 jeunes durant l’année scolaire 2018-2019. Ses ancêtres s’appelaient les classes d’initiation pour les non-francophones (CLIN) dans le premier degré et CLA (classe d’accueil dans le second degré). Depuis dix ans, ces classes ont été transformées en dispositifs sans entièreté administrative. Autrement dit, les élèves allophones sont rattachés à des classes banales et alternent entre enseignements spécialisés et plus classiques. Derrière cette décision, un objectif affiché : l’inclusion. « L’idée de départ est d’éviter la stigmatisation. Le problème, c’est que les classes ont été très peu dotées en moyens nécessaires. En Seine-Saint-Denis, nous voyons des enseignants qui ne parviennent pas à organiser l’inclusion. Ce système conduit à avoir moins d’allocations de poste, car ils ont moins d’heures chacun », détaille Maïtena Armagnague, professeure à l’Université de Genève et co-autrice de l’étude « Les dispositifs de scolarisation des enfants et jeunes migrants en France : des producteurs de ‘scolarités contraintes’ » publiée en 2019.

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Des disparités selon les départements et les établissements

Une tribune publiée dans Le Monde, le 1er mars 2022, rapporte la colère d’un collectif de signataires (professeurs, anciens élèves…). Ils dénoncent ces inclusions forcées « qui se substituent aux heures d’enseignement dédiées ». Selon Pierre Ferry, les conditions de travail restent optimales dans son établissement, mais il avoue que les mécanismes diffèrent d’un rectorat à l’autre. « Lorsque je travaillais à Aubervilliers (académie de Créteil), je ne bénéficiais que de douze heures de français dans le secondaire avec mes élèves et l’inclusion était plus systématique. Le cours de mathématiques ou un autre cours pouvait chevaucher des heures de français pourtant essentielles. À ce moment-là, je m’arrangeais en fonction des besoins de l’étudiant ».

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Delphine Zimmermann est enseignante dans le second degré en UPE2A NSA – destinée aux élèves étrangers mal ou non scolarisés – à Aubervilliers. Elle appartient au syndicat Snudi FO 93. Au total, elle dispose de 21 heures par semaine avec ses écoliers. « En NSA, nous avons quinze élèves maximum, car ils ont des besoins très spécifiques », affirme-t-elle. Alors que de nouveaux apprenants arrivent tout au long de l’année, Delphine Zimmermann dit pratiquer « la progression en spirale » un enseignement spécifique adapté au niveau de chacun dans un groupe fédérateur, solidaire, dans lequel on prend confiance pour progresser à son rythme. De son côté, Pierre Ferry parle de « pédagogie différenciée » : sur un même texte de français, des questions différentes vont être posées en fonction du niveau de l’enfant.

« Avant la circulaire de 2012, on avait maximum quinze élèves en classe d’initiation. Depuis cette circulaire, on peut être amener à suivre beaucoup plus de jeunes et l’enseignement adapté en UPE2A peut parfois devenir du saupoudrage, alors que les élèves ont plus de besoins spécifiques auxquels l’inclusion ne répond pas », constate Delphine Zimmermann.

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Afin d’éviter de voir les heures d’apprentissage grignotées, quelques gardes-fous existent. Par exemple, un élève doit bénéficier minimum de neuf heures d’enseignement par semaine. Or, dans le Val-de-Marne – qui dépend de l’académie de Créteil – ce n’est pas toujours le cas. Représentant du SNUIPP-FSU, Cyrille Micheletta, dénonce des mesures qui remettent en cause le bon fonctionnement des UPE2A : « Sept équivalent temps plein qui prenaient en charge dix UPE2A, ont été gelés – soit un cinquième des postes. On a renvoyé des professeurs pour lesquels l’institution a débloqué des moyens pour les former, et ils ont été transférés vers des classes banales. » Des postes sabrés qui tombent mal avec l’arrivée des jeunes Ukrainiens – au nombre de 315 concernant l’académie de Créteil, au 30 mars dernier. « Du coup, il y a eu un rétropédalage. On a obtenu le dégel de cinq demi-postes», annonce Cyrille Micheletta. De son côté, l’académie de Créteil restait injoignable.

Des décisions économiques au profit de l’éducatif ?

Pour l’enseignant de Vitry, le principe de l’inclusion mis en avant par le gouvernement précédent est dévoyé dans le 94. « On avance des principes généreux pour en faire des mesures comptables », tance-t-il. Si certains établissements ont gardé les UPE2A fixes, d’autres ont instauré une mobilité où le professeur intervient dans plusieurs écoles. « Quand les UPE2A sont fixes, elles font partie de la vie scolaire, mais si le collègue est balancé sur deux ou trois écoles, le lien n’est pas le même », remarque-t-il.

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Alors qu’est-ce qui motivent les autorités à détricoter le dispositif ? La réponse semble partagée entre économie et idéologie : « Déjà, il y a le souhait de récupérer des postes. A cela, s’ajoute peut-être une volonté de préparer la disparition du dispositif dans son fonctionnement actuel. J’ai l’impression qu’on dilue de plus en plus, qu’on transforme et qu’on perd le contact avec le terrain.» Cette crainte semble partagée par certains enseignants, dont une qui souhaite rester anonyme : « Pour l’instant, le système fonctionne extrêmement bien, mais j’ai peur de voir une évolution négative dans les prochaines années. »

Cependant, l’enseignante en UPE2A du Val-de-Marne ne remet pas en question le dispositif actuel, qu’elle estime efficace. « Avec l’ancien système, les élèves allophones se trouvaient mis à l’écart. Ils se mélangeaient rarement », se souvient-elle. Malgré ces améliorations, l’angoisse de voir les enseignants devenir des personnes ressources – se déplaçant d’école en école – reste présente. « Pour l’instant, ce n’est pas d’actualité », balaie rapidement cette femme pour qui l’UPE2A fait « office d’ascenseur ».

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« En Île-de-France, il faudrait une politique éducative spécifique »

Mi-mars, une UPE2A dans un lycée de Pantin a été gelée par le rectorat de Créteil. Enseignants, élus et associations de la ville ne comprennent pas cette décision. « Chaque année, il y a des besoins importants pour les élèves allophones à Pantin, les UPE2A étaient pleines ces dernières années dans ce lycée, d’autant que des ukrainiens vont devoir être accueillis tout au long de l’année», réagit Delphine Zimmermann. En contrepartie, la direction académique de Seine-Saint-Denis ouvrira une UPE2A au Lycée hôtelier François Rabelais de Dugny. « L’Île-de-France concentre l’essentiel des arrivées migratoires et du problème d’attractivité du métier d’enseignant. En plus de cela, il s’agit d’un territoire où les classes sont déjà surchargées à cause de la configuration démographique. Il faudrait une politique éducative spécifique à cette région », martèle Maïtena Armagnague. En parallèle, de nombreux établissements avec de bons résultats rechignent à ouvrir des UPE2A de peur de « gâcher leur label », selon la spécialiste notamment dans les territoires aisés, à forte visibilité.

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Installé à un bureau d’élève, Pierre Ferry fait la mou lorsqu’on lui demande s’il a peur de voir le dispositif disparaître. « Pour l’instant, nous n’avons pas eu de suppression de postes dans notre école, mais une heure d’EPS a sauté cette année dans les dotations globales », rembobine-t-il. Avant qu’il n’arrive, une heure de mathématiques avait déjà été sacrifiée.