Logo

Clara Luciani : « Ma musique est une main tendue à la danse et à l’insouciance »

Publicité

En juin 2018, j’assiste au concert d’Eddy de Pretto au Métropolis. J’entre dans la salle bondée, au tout début de la première partie. Sur scène, une femme grande, élancée, les cheveux longs avec une frange, l’allure souveraine, occupe la scène avec sa prestance et sa voix.

Prends garde

Sous mon sein, la grenade

Sous mon sein, là, regarde

Sous mon sein, la grenade

Au fil des couplets, des refrains et des mouvements de hanches, je me dis : « Mais, qui est cette femme qui semble faire de la musique juste pour moi ? »

Cette femme, c’est Clara Luciani.

Depuis juin 2018, à chaque nouvelle chanson, chaque nouveau clip, chaque nouvelle collaboration, chaque nouvel album, je me dis la même chose : « Clara, elle fait de la musique pour MOI. »

C’est avec cette déclaration, un peu intense j’en conviens, que je décide d’ouvrir mon entretien avec la chanteuse française, à quelques heures de son premier spectacle à Montréal dans le cadre des Francos.

« S’il n’y a personne dans la salle ce soir, je sais au moins que je jouerai pour toi. »

Publicité

« C’est adorable de me dire ça », me répond-elle, vraisemblablement touchée, avant d’admettre qu’elle se sent tout particulièrement angoissée pour son spectacle de ce soir. « Ça fait longtemps [quatre ans] que je n’ai pas joué au Québec, je ne sais pas à quoi ressemblera la réception, ni même si le public sera là ou s’il y a un intérêt. Donc que tu commences en me disant ça, ça me touche beaucoup et ça m’apaise un petit peu. Et s’il n’y a personne dans la salle ce soir, je sais au moins que je jouerai pour toi. »

Pourtant, c’est à guichet fermé que Clara Luciani a enflammé la scène du MTELUS devant un public conquis.

Publicité

Respire encore

Clara Luciani, c’est la Révélation scène aux Victoires de la musique en 2019, l’Interprète féminine en 2020, honneur renouvelé en 2022. C’est donc forte d’un magnifique succès public et critique qu’elle revient nous rendre visite, dans la foulée de son nouvel album Cœur, lancé en juin 2021.

« Si je pouvais m’adresser à la Clara de 2018, je lui dirais : “Tu n’as pas fini d’être surprise, il va y avoir plein de trucs incroyables qui vont t’arriver. Il va y avoir aussi une pandémie qui va te faire flipper, mais accroche-toi parce qu’il y tellement de belles choses à venir ! », me répond Clara, le sourire aux lèvres, quand je lui propose de revisiter les quatre années qui nous séparent de sa dernière venue en sol québécois.

Bien que la pandémie ait comporté son lot de défis (Clara est restée bloquée en Écosse), l’artiste a profité du premier confinement pour faire le point sur ses accomplissements.

« J’avais tellement la tête dans le guidon, je n’arrivais pas à voir que j’étais heureuse et que je vivais mon plus grand rêve »

Publicité

« J’avais tellement la tête dans le guidon, je n’arrivais pas à voir que j’étais heureuse et que je vivais mon plus grand rêve », raconte la jeune femme de 29 ans, originaire de Martigues dans le sud de la France. « Je travaillais trop, je n’avais pas du tout fait de pause depuis le premier EP. J’ai regardé des images des concerts, des festivals qu’on avait faits avec les gars [Alban Claudin aux claviers, Benjamin Porraz à la guitare, Mathieu Edward à la batterie et Pierre Elgrishi à basse]. Je me suis dit : “Wow, même si ça doit s’arrêter, on a quand même vécu un truc de dingue.” »

Mais rien ne s’est arrêté, au contraire. En juin 2021, l’album Cœur voit le jour, suivant son premier disque Sainte-Victoire, inaugurant en quelque sorte la nouvelle vague disco qui déferle un peu partout en musique.

« Je ne suis pas certaine que j’y resterai trop longtemps », lance la chanteuse, néanmoins très fière de ses chansons. « Quand je me suis mise au disco, c’était un truc un peu en marge, mais là, c’est devenu le truc à la mode. Et moi, j’aime pas m’enliser dans une mode. Ça fige les trucs dans un instant T. »

Publicité

Drôle d’époque

Bien que les chansons de Clara connaissent un immense succès partout sur leur passage, le succès n’est pas arrivé du jour au lendemain.

« Mon parcours a été fait sur mesure, fait valoir la chanteuse. Je crois que je ne suis pas assez solide émotionnellement pour vivre un choc comme celui de passer de l’anonymat à la popularité en une nuit. Tout a été fait pour que je puisse rester sereine et équilibrée. Mon cheminement relève presque du parcours initiatique. »

La chanteuse explique que chaque petite expérience vécue depuis ses débuts (elle s’est d’abord fait connaître au sein du groupe La Femme) lui ont permis d’acquérir les outils nécessaires pour se lancer en solo et basculer dans cette nouvelle vie, qu’elle qualifie de « séisme ».

Publicité

« Je crois que tout s’est fait pour que je réalise la chance que j’ai, croit-elle. Quand c’est trop simple dans la vie, je pense que l’on peut devenir blasée. Moi, je crois que je ne serai jamais blasée parce que j’ai eu sept ans de galère avant que ma première chanson [La Grenade] ne passe à la radio. »

« On parle à Clara comme on parle à une amie, généreuse, douce et bienveillante. »

La galère, les petits boulots, les doutes, les cheveux qu’on s’arrache : Clara sait ce que c’est. « Je connais beaucoup d’artistes (quoique ça s’applique à plein de domaines) qui partent de l’idée selon laquelle c’est normal ce qui leur arrive et que tout leur est dû. Moi, je sais que je suis protégée de ça. Ce n’est pas un concours de celui qui aura tout le plus vite. Le vrai intérêt, c’est de garder ces choses-là longtemps… »

… et de les savourer quand elles arrivent, que je me permets d’ajouter. En effet, les réflexions de Clara résonnent fort en moi et tombent à point nommé, dans une période où je me questionne fréquemment sur la notion de privilège dans l’univers professionnel.

Publicité

« Il y a des gens qui acquièrent des choses en cinq minutes, du jour au lendemain, mais ça ne veut pas dire qu’ils vont les garder plus longtemps que nous », ajoute la jeune femme avec connivence.

On parle à Clara comme on parle à une amie, généreuse, douce et bienveillante.

Amour toujours

Derrière sa grande humilité, Clara Luciani peut se vanter de cumuler d’impressionnants succès.

« La grenade, le hit de son album Sainte-Victoire, a atteint les 100 millions d’écoutes cumulées sur YouTube et les sites en ligne, le méga-tube Respire encore, sorti il y a à peine un an, est déjà autour de 35 millions », peut-on lire dans La Presse.

Publicité

Je dis souvent à la blague que sur les 100 millions d’écoutes de La Grenade, il doit y en avoir au moins 50 % qui proviennent de mon propre Spotify.

Mais au-delà des chiffres, des statistiques et des clics, que désire l’artiste au fond d’elle ?

« J’aimerais fédérer un espèce de câlin général »

« [Avec ma musique], je souhaite injecter de la douceur dans le monde, un peu de tendresse, quoi. J’aimerais fédérer un espèce de câlin général, raconte Clara. On a vécu des trucs tellement durs. Moi, je n’ai pas de solution. Je n’ai pas non plus d’avis sur tout ce qui nous arrive collectivement, entre les pandémies, les guerres, la merde écologique. On est bombardé de tout ça et c’est beaucoup, surtout pour les gens hypersensibles. Le seul truc que je puisse faire, c’est injecter un peu d’insouciance dans cet instant-là. »

Clara Luciani, pourtant bien consciente de la gravité de nombreux enjeux sociaux, politiques, écologiques et autres, croit que c’est ok de prendre un moment pour soi, sans penser à tout ce qui va mal. Rien d’irresponsable, plutôt une manière de se déconnecter un instant pour se préserver et éventuellement, s’engager et poser des actions concrètes.

Publicité

« C’était un peu l’idée de L’invitation au voyage de Baudelaire, explique-t-elle. Mes chansons, j’aimerais qu’elles puissent être une main tendue à la danse et à l’insouciance, le temps d’une petite parenthèse, d’un petit refuge de quelques instants. »

Une parenthèse, un refuge, un antidote à la morosité : c’est exactement ce qu’a offert Clara Luciani (et Pierre Lapointe, le temps de leur magnifique duo Qu’est-ce qu’on y peut) au public montréalais.

Manifestement émue de se retrouver devant nous, Clara Luciani s’est révélée solide, triomphante, souriante et énergique. Souveraine même.

Publicité

Vous dire le bonheur qui exultait par tous les pores de nos peaux déconfinées lorsque la chanteuse a largué, telle une bombe de joie, sa chanson Respire encore.

Il faut qu’ça bouge, il faut qu’ça tremble, il faut qu’ça transpire encore

Dans le bordel des bars le soir

Débraillés dans le noir

Il faudra réapprendre à boire

Il faudra respirer encore

La danse, la fête, la légèreté : un moment-parenthèse comme Clara sait les créer, qui a su conquérir nos cœurs. Pas juste le mien, je suis prête à partager.