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Clap de fin pour Violette and Co, la librairie féministe et LGBT de Paris
C’est l’heure de baisser le rideau. Le 12 février prochain, la librairie parisienne spécialisée féminisme, homosexualité, lesbianisme et question de genre, Violette and Co, fermera ses portes. L’occasion pour Catherine Florian et Christine Lemoine, les deux créatrices de l’institution, de nous accueillir une dernière fois.
Que dire ? Que retenir de ces dix-huit dernières années passées rue de Charonne, au cœur de l’est parisien ? Toutes ces années passées à lire, à relire, à sélectionner, à conseiller et à annoter tous ces romans, ces essais, ces BD et ces revues sur le féminisme, les féminismes, les réalités et les imaginaires lesbiens, gays, trans, queers, intersexes ? À écouter, à accueillir, à échanger ou à festoyer avec les auteurs et les autrices ? À organiser et à animer, lectures, ateliers, conférences et rencontres ? « Il y aurait tellement de choses à dire », retrace Catherine Florian, cofondatrice de la librairie.
« Financer une librairie porno dans un quartier familial »
Elle rejoue la partition. « On a commencé à réfléchir à ce projet en 2003, après la fermeture d’une autre librairie du genre, Pause Lecture, dans laquelle on aimait flâner ». Un an plus tard, le temps de mûrir le projet, de trouver ce lieu et de batailler avec les préjugés homophobes des banques et des administrations, qui craignaient à l’époque, je cite : « de financer une librairie porno dans un quartier familial », les deux amies finissent ENFIN par ouvrir.
Leur nom : Violette and Co, en hommage à l’une des plus ambitieuses auteures de la littérature, Violette Leduc, dont l’enseigne regorge de références. D’ailleurs, juste devant la caisse, un présentoir est entièrement dédié à l’écrivaine. « En plus, on est situé dans son quartier, à deux pas de la rue Paul Bert », indique l’ancienne éditrice de métier, qui ajoute « puis le violet, c’est aussi la couleur du féminisme et des lesbiennes ». Et désormais également de la façade de la petite librairie parisienne. « Le “and Co” de “Violette and Co”, c’est parce que nous sommes ouvertes à tous et à toutes ».
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Février 2004 donc, les portes en bois vitrées du 102 s’ouvrent. Victoire ! « On est alors la seule librairie indépendante féministe et LGBT de Paris », se rappelle Catherine Florian. Une aberration pour l’époque. Déjà parce qu’on est en 2004 et que les mentalités ne sont pas tout à fait les mêmes. Les insultes en raison de l’orientation sexuelle viennent à peine d’être interdites par la loi, au même titre que les propos antisémites ou racistes. À l’époque on est encore loin du mariage gay et du mouvement #Metoo. Loin de la caisse de résonance que permettent les réseaux sociaux, loin de la « libération de la parole », loin des podcasts féministes, etc… Dix-huit ans plus tard, les choses n’ont plus rien à voir. « Aujourd’hui, quand on accueille des stagiaires de 3ème, parler de “gays”, de “lesbiennes” ou de “trans”, ça ne leur fait ni chaud ni froid, ce n’est même plus un sujet pour eux », rapporte la libraire.
Engagées, pas militantes
Autre difficulté rencontrée lorsqu’on a ouvert et qui semble avoir été abolie aujourd’hui, celle de rassembler féministes et LGBT au sein d’un même lieu. « Il y avait des librairies gay et des enseignes féministes, mais aucune ne s’adressait aux deux », se remémore la cofondatrice. Et pour cause, historiquement, il y avait des dissensions entre ces deux groupes. Ces communautés se regardaient parfois de loin. Si on remonte dans les années 1970 par exemple, les féministes niaient le mouvement lesbien. Quand aujourd’hui, tout le monde ou presque marche dans la même direction. « De notre côté, on essayait déjà de s’entendre avec tout le monde, de faire comprendre qu’on était engagées, pas militantes, qu’on n’était rattachées à aucun parti, à aucun collectif. On ne défend pas une cause en particulier, à l’inverse, on a fait le choix d’embrasser toutes les approches », révèle la spécialiste. Ainsi, même quand elles ne sont pas fondamentalement d’accord avec tel ou tel mouvement ou avec tel ou tel propos, les deux libraires se raisonnent : « On est là avant tout pour informer ».
Côté clientèle, entre les premières années de Violette and Co et aujourd’hui, c’est également le jour et la nuit. « Ça s’est fait progressivement. Nos premiers clients étaient surtout des militantes qui faisaient partie de notre réseau, puis les gens du quartier qui se retrouvaient dans notre offre sont arrivés », décrit la littéraire. Ensuite, petit à petit, l’oiseau a fait son nid. Si bien qu’aujourd’hui, la librairie accueille vraiment tous les profils et tous les genres. Des gays, des lesbiennes, des bisexuels, des trans, des personnes queers, non-binaires, intersexes… Beaucoup de jeunes femmes qui s’engagent pour la cause féministe ou qui souhaitent sensibiliser leurs proches. Beaucoup de jeunes hommes aussi, des hétéros qui viennent s’informer sur les conseils de leurs copines ou de leurs sœurs. Des parents ou des instituteurs, qui souhaitent éduquer leurs enfants avec des livres non sexistes et non stéréotypés. Des curieux. « Hier, il y a une dame qui est venue parce qu’elle avait entendu parler de la polémique sur le pronom “iel” et qu’elle souhaitait comprendre ».
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Clap de fin
En 18 ans, la littérature féministe a également explosé, jusqu’à même devenir un argument de vente. Les maisons d’édition spécialisées se sont largement multipliées. Les rentrées littéraires offrent une visibilité de plus en plus importante aux femmes. Les LGBTQI+ aussi occupent désormais une place de choix en littérature. « Et ça, c’est encourageant, réjouissant », s’enthousiasme la fidèle lectrice. « Ça bouge ! »
Tout comme les années. Pour Catherine Florian et Christine Lemoine, l’heure de passer le flambeau a sonné. Les deux libraires souhaitent désormais se concentrer sur leur retraite et sur d’autres projets personnels. Ainsi, le 12 février prochain, soit 18 ans jour pour jour après leur ouverture, elles baisseront le rideau du 102 rue de Charonne pour de bon. « À partir du 13 février, nous commencerons à retourner les livres aux éditeurs et distributeurs, à trier, archiver, donner, vendre, jeter, recycler les documents, le mobilier, les objets divers et variés pour vider entièrement, avant le 31 mars, ce local que vous connaissez bien avec sa célèbre mezzanine où il y a eu tant d’événements », écrivent-elles dans leur dernière newsletter.
Des aurevoirs, mais peut-être pas des adieux. Les deux librairies poursuivent leurs discussions avec des personnes intéressées par une reprise de Violette and Co. Plus dans cet espace du XIe arrondissement, où elles n’ont pas renouvelé le bail, mais qui sait, peut-être ailleurs. S’il y a bien une chose qu’elles savent d’expériences, c’est que les choses ne sont pas figées. Qu’elles bougent…