Logo

Chers parents, on s’en tape de ce que votre enfant a entre les jambes

De l'absurdité des « gender reveal parties ».

Par
Bettina Zourli
Publicité

Aujourd’hui, j’aimerais qu’on réfléchisse toutes et tous à la raison pour laquelle nous accordons autant d’importance à ce que le nourrisson, fraîchement sorti du ventre de son parent, a entre les jambes. On ne bondit pas en apprenant que ses yeux sont bleus, qu’il a 10 cheveux sur le crâne, mais on a une réaction appropriée ET différente en fonction du sexe du bébé. Certains parents décident de ne pas savoir, d’autres reçoivent l’information et la gardent confidentielle, d’autres encore font une gender reveal party pour leurs ami.e.s et famille, un événement en grande pompe qui use et abuse des stéréotypes de genre.

« On naît mâle ou femelle (ou intersexué), on devient homme ou femme », écrit Colette Chilland dans son ouvrage Le sexe mène le monde. Qu’est-ce que ça veut donc bien dire ? Ça veut dire qu’au-delà d’un simple appareil génital, c’est tout un lot de croyances, de préjugés et de stéréotypes liés au genre que l’on appose sur un individu, au moment où l’on sait s’il dispose d’une vulve ou d’un pénis.

Publicité

Selon une étude menée par l’ELFE (étude longitudinale française depuis l’enfance), plus de 85% des parents français souhaitent connaître le sexe de leur futur bébé. Mais à quoi ça sert, au juste ?

Pourquoi les parents ont-ils besoin de connaître le sexe de leur progéniture ?

Quand j’ai abordé le sujet sur mon compte Instagram, l’immense majorité des parents ayant désiré connaître le sexe de leur enfant a utilisé le terme « se projeter ». « Personnellement, j’avais tellement de mal à me projeter maman que j’ai voulu savoir », écrit une abonnée sous ce post. D’autres hypothèses ont surgi dans les commentaires (hypothèses que je ne pouvais pas imaginer, n’étant pas mère moi-même) : « Je pense que ceux qui veulent savoir sont surtout des gens qui ressentent le besoin d’en savoir le plus possible concernant leur futur enfant, même si ces informations sont inutiles, ça reste des informations. »

Publicité

L’idée de se préparer est revenue à plusieurs reprises aussi, notamment dans le cas des parents féministes (qui sont les gens qui me suivent en général, j’ai rarement des machos dans mes abonné.e.s) à adopter une éducation pro-féministe pour minimiser les stéréotypes de genre, justement.

Pourquoi ce n’est pas juste « une envie personnelle » ?

D’ailleurs, il n’est plus si rare que des futur.e.s parents gardent l’information du sexe du bébé à naître pour eux, justement afin d’éviter de recevoir une nuée de robes roses ou de trucs bleus.

Car même si vous, parent, vous ne comptez pas plonger dans le stéréotype de la princesse et du pirate, il y a fort à parier que votre entourage le fera pour vous.

D’ailleurs, plusieurs témoignages recueillis sur mon compte sont simplement effarants, avec des parents qui entendent des phrases sans queue ni tête comme : « Mais comment vous allez faire, vous allez tout devoir acheter à la naissance ! » ou encore « C’est chiant que tu ne veuilles pas savoir le sexe, on galère à lui acheter des affaires, du coup ». Des exemples qui mettent bien en avant que pour les individus, le sexe ne sert à rien : ce qui compte, c’est bien tous les symboles qu’on a apposés autour du sexe. C’est donc en réalité le genre sociétal, qui doit correspondre à une logique binaire, qui importe.

Publicité

Les cinq sexes

En 1993, Anne Fausto-Sterling, biologiste spécialiste de la sexualité, publie son ouvrage choc Les cinq sexes, qu’elle qualifie elle-même de manifeste politique visant à faire réfléchir le corps médical concernant la binarité de traitement des êtres humains.

Elle met en effet en avant la proportion de personnes naissant intersexes (1,7% de la population environ) et ses nuances, qu’on peut regrouper en trois catégories : il y a les personnes “herms” (l’autrice est anglophone, je n’ai pas traduit les appellations choisies), à savoir les personnes possédant à la fois un ovaire et des testicules, les “merms”, qui sont des personnes possédant des testicules et quelques aspects de l’appareil dit “féminin” mais pas d’ovaires, et enfin les “ferms”, qui naissent avec des ovaires et certains aspects de l’appareil dit “masculin” mais pas de testicules.

Continuer à mettre sur un piédestal le sexe du bébé à la naissance participe implicitement de la violence faite aux personnes intersexes.

Publicité

En 2000, elle reviendra sur ses propos en disant que parler de cinq sexes est tout aussi réducteur puisqu’il faut en réalité considérer que le sexe est « un continuum modulable à l’infini ».

Encore aujourd’hui, les médecins refusent qu’on leur interdise d’intervenir concernant la “réassignation de sexe”. Cela signifie que les personnes qui naissent intersexuées en France subissent encore des mutilations, des opérations non justifiées d’un point de vue médical, afin de les faire rentrer un moule binaire, le fabuleux monde de la dichotomie pénis/vulve.

La France a d’ailleurs été condamnée par l’ONU à plusieurs reprises pour la mutilation des personnes intersexes.

Continuer à mettre sur un piédestal le sexe du bébé à la naissance (ou avant) participe implicitement de la violence faite aux personnes intersexes.

Publicité

Un intérêt médical à connaître le sexe du bébé

Une étude menée par des chercheurs à l’université de Cambridge au Royaume-Uni met en avant que, chez les souris (le sujet de l’étude), il y a une différence du fonctionnement du placenta entre les fœtus mâle et femelle. Les études menées sur les souris sont régulièrement utilisées pour faire des projections sur les humain.e.s, et dans le cas précis, les conclusions mettent en avant l’idée que les complications de grossesse seraient plus importantes s’il s’agit d’un foetus de sexe masculin.

Ça peut donc avoir un intérêt médical : toutefois, en France, il y a trois échographies obligatoires, destinées à vérifier que la grossesse se déroule normalement et sans risque.

Publicité

Ainsi, comme je le disais plus haut, cela peut avoir un intérêt médical, pour le ou la professionnel.le de santé, mais pour les individus, les parents, l’entourage des futur.e.s parents, cela ne change rien : connaître le sexe n’a aucun intérêt, et continuer à penser que c’est simplement un désir personnel n’aidera en tout cas pas à minimiser les préjugés limitants que l’on attribue à chaque genre et donc à chaque enfant à sa naissance.

Enfin, les gender reveal parties sont aussi devenues extrêmement dangereuses : comme écrit ici, « ce qui était surtout au début « un petit rassemblement intime » est devenu un show à l’américaine, avec « explosions, feux d’artifice et sauteurs en parachute », partagé à gogo sur Instagram ou YouTube. » Et parfois ça finit mal… Bref, arrêtez ça.

Publicité