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Charlotte Puiseux : « Le handicap est une construction sociale »
Parmi ma pile de lectures de l’été, figurait De chair et de fer, Vivre et lutter dans une société validiste (éditions La Découverte), écrit par la docteure en philosophie Charlotte Puiseux, membre du collectif Les Dévalideuses. A la fois essai et récit personnel, ce livre analyse les discriminations subies par les personnes handicapées avec d’autant plus de poids, que son autrice est elle-même concernée. Connaissant le travail de recherche de Charlotte Puiseux, je m’attendais à un ouvrage sérieux, précis, militant. Pas forcément le profil d’une lecture de vacances, et pourtant. J’ai eu la bonne surprise de découvrir sa facette littéraire, car elle illustre son discours en racontant son histoire. Concret et pédagogique, son livre a l’avantage d’être accessible pour tous et restera une référence dans la littérature anti-validiste.
Comment pouvez-vous nous définir le validisme, sujet de votre livre ?
C’est un système d’oppression subi par les personnes handicapées, qui les place, toutes, dans un système où elles sont infériorisées, avec l’idée que leurs vies vaudraient moins que celles des valides [qui n’ont pas de handicap, ndlr]. Cela a des impacts dans tous les domaines : travail, loisirs, éducation, logement… Avec le validisme, il y a l’idée essentialiste que si les personnes handicapées ont accès à moins de choses, c’est qu’elles ne seraient pas assez capables, donc cette exclusion serait considérée comme normale. Or, le handicap est une construction sociale.
Dans votre livre, vous racontez que vous subissez le validisme dès la naissance, lorsqu’on conseille à vos parents de vous placer en établissement spécialisé pour ne pas s’attacher à vous…
Ce genre de discours était omniprésent dans les années 1980 et peut encore arriver aujourd’hui. Pourtant, la France est critiquée pour son système d’institutions spécialisées, notamment par l’ONU, qui le juge contraire aux droits humains. Avec l’héritage chrétien, on garde une vision très caritative du handicap, les personnes handicapées seraient ainsi objets de charité et non sujets de droits. Le milieu médical est aussi souvent peu bienveillant. On essaie de nous faire devenir valide le plus possible, sans nous écouter.
Dans vos exemples de validisme, vous abordez la difficulté d’avoir une vie amoureuse, mais aussi plusieurs enjeux féministes intersectionnels…
Être femme et handicapée c’est subir une double oppression. Chez les féministes valides, on combat l’hypersexualisation du corps des femmes. Mais, en tant que personne handicapée, nous sommes asexualisées. On ne nous considère pas comme des objets et sujets de désir. Pourtant, les femmes handicapées sont les plus touchées par les violences sexuelles. Cela s’inscrit dans une logique patriarcale : leur désexualisation profite aux agresseurs, qui paraissent parfois même comme des bienfaiteurs.
Les luttes féministes ont tout intérêt à se lier aux luttes anti-validistes, que cela soit sur la question de la déconjugalisation des aides sociales (pour permettre de quitter un foyer violent) ou encore la parentalité.
Vous évoquez aussi l’importance de lier lutte anti-validiste et anticapitalisme…
Le capitalisme rend les corps handicapés, en les poussant à la rentabilité. Que cela soit depuis la révolution industrielle avec les accidents du travail, ou aujourd’hui avec la multiplication des burn out. Et cette exaltation de la performance participe à la dévalorisation de tous les corps handicapés, qui sont donc jugés inutiles.
Dans votre livre, vous abordez l’un de vos sujets de recherche, le crip, qu’est-ce ?
Le « crip » est la réduction du mot « cripple » qui veut dire estropié. C’est un mot insultant que les personnes handicapées et queer se sont réappropriées. Le crip interroge le handicap à la lumière de concepts queers tels que la performativité par exemple. Ce concept permet dans le mouvement queer de dénoncer et jouer avec les rôles et stéréotypes genrés. Avec le crip, on réutilise cette notion pour pointer du doigt les idées reçues sur les personnes handicapées.
Le livre finit sur une touche d’optimisme, en abordant la notion de fierté…
Oui, j’insiste sur la fierté d’être soi, sortir du dénigrement que le validisme nous impose dès qu’on est identifiée comme handicapée… Pour cela, nous avons notamment besoin de représentations moins stigmatisantes et plus valorisantes.