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« Chair Tendre », enfin une série réaliste avec un personnage principal intersexe !
France TV Slash a mis en ligne fin septembre 2022, la première série française avec un personnage principal intersexe. Intitulée Chair tendre, cette série de 10 épisodes a reçu le prix de la meilleure série en compétition française au festival Séries Mania. Elle met en scène Sasha, une ado intersexe de 17 ans qui découvre son intersexuation cachée par ses parents et les médecins. Loé Petit et Lysandre Nury, les cofondateurices du Collectif Intersexe Activiste – OII France (CIA-OII France), ont accompagné cette série dans le processus d’écriture et sur le tournage, Lysandre jouant également le rôle de Loé.
Pouvez-vous nous présenter la série en quelques mots ?
Lysandre Nury : Chair Tendre raconte l’histoire de Sasha, une ado intersexe qui en changeant de lycée change d’identité, elle va à la fois à la rencontre de son identité de personne intersexe, mais aussi en tant qu’adolescente, pour découvrir qui elle est. C’est un teen drama qui s’adresse à tout le monde.
Loé Petit : Il est important de souligner que c’est une fiction avant tout, pas un essai documentaire, la série raconte une histoire et ne représente pas tous les vécus de personnes intersexes.
Comment avez-vous pu contribuer à la série ?
Loé Petit : En juin 2019, j’ai été contacté-e par Clara Laplace et Yaël Langmann [les productrice et scénariste-réalisatrice], qui voulaient présenter cette expérience intersexe avec exactitude. Je suis donc devenu-e consultant-e sur la série. J’ai travaillé sur plusieurs versions du scénario et aidé à apporter un côté réaliste sur le parcours d’une personne intersexe, en insistant par exemple pour que Sasha ait une vraie variation et un diagnostic posé par les médecins, avec une prise en charge précoce. Nous avons beaucoup travaillé les scènes avec le médecin.
Elles ont voulu que la personne qui représente le CIA et qui accompagne Sasha, soit joué par moi. J’ai refusé, mais je les ai orientées vers Lysandre, qui a de l’expérience en tant qu’acteur. »
Lysandre Nury : J’ai accepté de jouer le rôle de Loé. On m’a demandé d’apporter mon expérience de personne intersexe dans l’interprétation du rôle. J’ai pu ainsi retravailler certaines scènes entre Loé et Sasha, en rajoutant notamment de l’humanité et de la chaleur dans leur relation. En effet, si le personnage de Loé a une fonction de porte d’entrée vers la communauté intersexe dans l’idée aussi de sensibiliser le public à l’intersexuation, la réalité des rencontres entre personnes intersexes ne se résume pas à des questions-réponses, il y a une partie plus émotionnelle dans le fait par exemple de rencontrer pour la première fois une personne qui fait partie de cette communauté qu’on découvre.
Est-ce rare aujourd’hui d’avoir des personnes intersexes dans des fictions à l’écran ?
Loé Petit : Il y a déjà eu plusieurs films français avec des personnages intersexes (dont celui sur Herculine/Abel Barbin). Mais avec Chair Tendre, c’est la première fois qu’on a une série française contemporaine avec un personnage principal intersexe, sans approche mystique, et où les personnes intersexes sont associées au projet. Dans les séries, les personnages intersexes sont aujourd’hui souvent secondaires et réduits à un ressort scénaristique dans des séries médicales ou policières par exemple.
C’est difficile de se construire en l’absence de modèles qui nous ressemblent dans la fiction.
Lysandre Nury : C’est important d’avoir cette représentation d’une personne intersexe, qui soit cohérente et réaliste. C’est difficile de se construire en l’absence de modèles qui nous ressemblent dans la fiction. Quand on apprend qu’on est une personne intersexe, on est confronté à une grande solitude en premier lieu. Les médecins ne nous parlent pas d’intersexuation et de communauté, ils ne nous disent pas que d’autres personnes nous ressemblent, mais insistent au contraire sur le caractère très rare de nos caractéristiques, cela donne l’impression qu’on est seul au monde… Dans Chair Tendre, le personnage de Sasha va à la rencontre de la communauté intersexe, c’est important de montrer qu’elle n’est pas isolée ni un cas particulier. Cette représentation est aussi importante pour la société en général, pour qu’elle accepte que les personnes intersexes puissent exister sans avoir à se cacher ou subir des mutilations et traitements forcés dans le but que leurs corps soient normalisés.
La nouvelle loi de bioéthique n’a pas permis d’interdire les mutilations génitales et les traitements forcés sur les enfants intersexes.
Dans la série, la thématique des violences médicales est abordée à plusieurs reprises, quelle est la réalité aujourd’hui pour les personnes intersexes ?
Loé Petit : Les violences médicales n’ont pas été exagérées dans la série, c’est réaliste. La nouvelle loi de bioéthique n’a pas permis d’interdire les mutilations génitales et les traitements forcés sur les enfants intersexes.
Lysandre Nury : C’est un combat que continue de porter notre collectif, qui dénonce également les conditions de vie des personnes intersexes après ces parcours médicaux traumatisants.
La série a reçu un bon accueil des médias, pensez-vous que cela va contribuer à faire changer les choses ?
Loé Petit : La série a déjà dépassé 1 million de vues, ce n’est pas rien comme audience. C’est d’ailleurs inédit d’avoir une association réelle qui apparaisse ainsi dans une fiction. Cela a permis à notre collectif de recevoir plusieurs messages de personnes s’y reconnaissant et cherchant plus d’informations.
Lysandre Nury : Cette couverture médiatique permet d’imposer la question intersexe dans le débat public. Les articles ne se concentrent pas sur la série mais abordent aussi les enjeux politiques, j’ai bon espoir que cela contribue à faire avancer la société sur les questions intersexes, même si cela nous a aussi attiré l’attention des mouvements d’extrême-droite.
Les personnes intersexes sont nées avec des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions normatives binaires des corps masculins ou féminins. Ces caractéristiques peuvent être visibles à la naissance ou apparaître plus tard, notamment à la puberté. Les enfants intersexes représentent entre 1,7 % et 4% des naissances. Il existe plus de 40 variations intersexes.