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Cédric Klapisch : « Je n’ai jamais fait de grand film »

On a parlé de séries, de TikTok et même de female gaze avec le cinéaste français.

Par
Daisy Le Corre
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Le réalisateur français Cédric Klapisch était de passage à Montréal à l’occasion du festival Cinémania, en tant que coprésident du jury. Il en a aussi profité pour donner une classe de maître.

De notre côté, on a sauté sur l’occasion pour refaire le monde en sa compagnie et s’apitoyer sur l’état du cinéma en 2022. Scoop : l’espoir fait vivre et l’interview s’est avérée moins déprimante que prévu.

Vous avez participé à Cinémania, un festival montréalais dédié aux films francophones. En tant que réalisateur et spectateur, vous y croyez encore, au cinéma ?

C’est vrai qu’on traverse une réelle crise du cinéma, on ne peut pas le nier. Il y a eu plusieurs éléments déclencheurs : la pandémie de COVID, la fermeture des salles de cinéma et l’arrivée de certaines plateformes qui ont créé un réel abandon des salles. Le phénomène existe partout dans le monde !

Mais, malgré tout, je n’arrive pas à croire que les plateformes vont remplacer le plaisir d’aller dans une salle de cinéma. Je fais partie de celles et ceux qui croient que c’est un phénomène temporaire qu’on est en train de traverser en ce moment. Mais je n’en suis pas sûr non plus ! On est dans un moment de transition, c’est tout ce que je sais.

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On passe de plus en plus de temps devant nos écrans, et notamment à regarder des séries plus que des films. Qu’est-ce que cela vous inspire ? Les séries ont-elles détrôné le ciné ?

Là, maintenant, les jeunes ne regardent que des séries, à l’infini, c’est vrai. Mais je trouve que c’est une période intéressante qu’on vit car, en même temps, il y a TikTok, où le « court » est roi et de l’autre côté, il y a des séries avec des saisons qui n’en finissent pas, etc. Mais les gens ne cherchent pas la même chose sur TikTok ou dans une série ! Donc je crois qu’il faut faire confiance au fait que la création est multiforme et qu’il y a des effets de mode. C’était la même chose, à une époque, avec l’apparition des clips musicaux qui duraient deux ou trois minutes, on pensait que ça allait tuer tout le reste… La preuve que non.

Que pensez-vous des nouvelles technologies et des nouveaux outils mis à disposition de tou.te.s, comme TikTok, par exemple ? Est-ce que cela sert ou dessert l’industrie cinématographique, selon vous ?

Ça n’a jamais été aussi simple d’avoir des outils pour faire des films ! Je pense au film Festen, un grand film de cinéma, tourné avec une caméra pourrie. À l’heure actuelle, la jeune génération a des outils que moi, je n’avais pas à 20 ans : le son, le montage, la lumière, tout est simplifié aujourd’hui.

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Mais ce n’est pas parce qu’on a un stylo qu’on est écrivain et ce n’est pas parce qu’on a un téléphone portable ou une caméra qu’on est réalisateur ou réalisatrice. C’est dans les mains de tout le monde et en même temps, ce n’est pas donné à tout le monde de faire du cinéma.

Je pense surtout qu’il faut continuer à voir et à se nourrir des vieux films, c’est ça qui donne envie et qui pousse les gens à faire du cinéma. Il y en a plein sur La Cinetek d’ailleurs, il faut en profiter.

Ce n’est pas donné à tout le monde de faire du cinéma, certes. Mais est-ce que ce ne sont pas toujours les mêmes qui font du cinéma ? Est-ce qu’on ne voit pas toujours un peu la même chose, au final ? Ce qui crée peut-être une lassitude chez le public…

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Non, je pense que les gens qui ont des choses à dire, on les repère. Bizarrement, et à titre personnel, je trouve que l’argent lutte souvent contre la culture. Pour lutter contre le pouvoir de l’argent et des grosses productions qui finissent par toutes se ressembler, il n’y a que l’action culturelle qui est une arme. Ils ont abandonné l’arme culturelle aux États-Unis, car ce n’est pas commercial. En France, on se bat beaucoup pour cette notion de diversité culturelle. Défendre la diversité culturelle et l’éducation à l’image, c’est comme ça qu’on peut agir en faveur du cinéma aujourd’hui.

Il faut convaincre les jeunes que c’est intéressant aussi, les « vieux films », pour mieux embrasser la modernité. Il m’est impossible de savoir ce que sera le cinéma de demain, mais je garde espoir, j’ai confiance.

Quel film vous a vraiment plu, récemment ?

Je viens de voir Everything Everywhere All at Once et ça m’a fait plaisir de voir ça ! C’est un vrai film indépendant comme je n’en avais pas vu depuis longtemps. C’est un vrai truc créatif qui s’inscrit dans le film de genre, mais c’est une vraie création, un peu comme Parasite.

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Du coup, je me dis que la création n’est pas morte, quoi ! C’est intéressant de voir où tout ça mène.

Est-ce qu’il vous reste encore des choses à explorer, cinématographiquement ? Qu’est-ce que vous rêvez encore de faire ?

J’ai participé à la réalisation de la série Dix pour cent, c’est le côté collectif du projet que j’ai beaucoup aimé.

Mais oui, j’ai encore plein de choses à explorer dans le cinéma. Je n’ai jamais fait de grand film, et je le pense sincèrement ! Dans ce que je considère comme être un grand film, je n’en vois aucun que j’ai pu faire, où je me dis : « Oui, ça c’est un grand film. »

Mais c’est quoi, un grand film ?

Un grand film, c’est un film qui invente un langage. Ça peut être de nature très différente. Comme dans Everything Everywhere, ils ont vraiment inventé un langage, je trouve. C’est dans la lignée de Brazil, Dans la peau de John Malkovich, etc. Il y a une espèce de filiation, mais avec une nouvelle forme.

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Si je suis gentil avec moi-même, je dirais que j’ai peut-être ouvert une brèche (sur un grand film) avec L’Auberge espagnole… mais pour moi, ce n’est pas assez ! J’ai vraiment l’impression qu’il y a un truc que je dois faire et que je n’ai pas encore fait.

Est-ce que vous travaillez sur un nouveau film actuellement ?

Oui, j’ai un projet en gestation pour le moment. Je ne peux pas en dire plus, mais j’ai envie de créer autrement et je pense que la crise actuelle du cinéma peut nous stimuler dans le bon sens.

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?

De faire un bon film ! (rires) Mais sinon, juste de continuer, encore/En corps… Je crois beaucoup en la nouvelle génération, c’est vraiment intéressant le fait qu’il y ait de plus en plus de réalisatrices et notamment le female gaze, c’est une vraie avancée. Il faut que ça continue dans ce sens.

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